CIAO 2009-01-14
« Tchao Berri ». C'est ainsi, en une et en pleine page avec photo à l'appui, que le journal Libération annonce la mort de Claude Berri, producteur et réalisateur de cinéma, qui est mort lundi dernier. Ne nous laissons pas tromper par cette familiarité, il s'agit d'un hommage, d'un coup de chapeau. L'expression pourrait presque être traduite par « Adieu Berri », mais l'émotion passe dans la désinvolture de la formule. Celle-ci, bien sûr, s'explique. Clin d'œil et citation, elle évoque Tchao Pantin , l'un des célèbres films produits par Claude Berri. Il s'agit d'une interjection d'origine italienne, couramment employée en français comme signal de départ. On est donc nettement dans le registre de la langue parlée. Le mot n'existe à l'écrit que comme transcription du langage parlé. On le trouve donc dans des dialogues écrits ou dans des circonstances qui attestent d'une langue assez décontractée, sans être vulgaire, d'ailleurs. C'est le mot qu'on peut employer entre copains quand on se quitte. Il porte ce genre de familiarité amicale, et peut d'ailleurs s'adresser à une seule personne aussi bien qu'à un groupe que l'on quitte : « Allez, ciao ! ».
Encore un mot sur l'origine du terme. Il est emprunté à la langue vénitienne, à un italien bien particulier. C'est une déformation de sciavo (esclave), utilisé pour quitter une compagnie à la manière dont le français classique disait « serviteur », c'est-à-dire « je suis votre serviteur ». Venise en rajoute donc dans cette rhétorique de la politesse : « je suis votre esclave ».
Le mot apparaît en français dans les années 50, et comme son orthographe est fort différente de sa prononciation – tout au moins pour un Français – elle a connu quelques variations. En français, parfois, on l'écrit en transcrivant les sons littéralement : « tchao ». Le titre du film Tchao Pantin adopte d'ailleurs cette graphie, peut-être pour être comprise du plus grand nombre. Le mot est plus mystérieux quand il s'orthographie « ciao ». Il est intéressant de voir combien la langue parlée change rapidement en ce qui concerne ces codes, ces façons de parler qui correspondent à une communication qu'on établit ou qu'on rompt. Il est très important de se dire quelque chose pour bien signaler qu'on se quitte mais qu'on se reverra, qu'on se quitte mais pas parce qu'on ne s'aime pas ou qu'on est fâchés. Il y a donc une charge symbolique forte autour de ces mots qu'on échange. Et ces mots, surcodés d'une certaine façon, identifient à la fois la situation et le groupe auquel on appartient, ce qui fait qu'ils se modifient très vite, qu'ils sont très sujets aux modes. « Ciao » est déjà, dans ce domaine, un mot assez ancien, peut-être employé par des jeunes d'aujourd'hui, mais qui l'était déjà par les jeunes de la génération précédente. Ce n'est pas une invention d'aujourd'hui, alors qu'on en trouve beaucoup. La plus fréquente est peut-être « à plus », expression bizarre, abréviation de « à plus tard », qui charme justement par son aspect vague et presque intemporel. « À plus tard », ça veut à la fois dire à demain et à la semaine prochaine, mais ça installe le départ comme provisoire.
En revanche, « ciao », selon le contexte dans lequel le mot est prononcé, peut vouloir dire à plus tard… ou à jamais. Souvent, le mot exprime également, non pas un au revoir, mais un adieu définitif.
Coproduction du Centre national de Documentation Pédagogique. http://www.cndp.fr/