L'Académie française est vénère !
Ça, vous voyez, c'est une carte d'identité française.
Pratique, non ?
Heureusement, depuis le 2 août dernier, on en a une nouvelle qui ressemble à ça.
Elle est au format carte bancaire, biométrique, plus sécurisée.
La grande classe, quoi !
Donc c'est super, tout le monde est content.
Enfin, non, pas tout le monde.
Pas l'Académie française.
L'Académie française, elle est vénère
parce qu'elle déteste cette nouvelle carte d'identité.
Ah oui, « vénère », c'est un mot d'argot pour dire « énervé ».
C'est du verlan, quand on change l'ordre des syllabes d'un mot : énervé => vénère.
C'est comme « cimer » pour « merci ».
J'explique ça parce que
c'est une vidéo pour les étrangers qui apprennent le français,
pas pour vous mes chers compatriotes !
Mais avant de vous expliquer pourquoi,
je voulais vous dire que vous pouvez télécharger la transcription de cette vidéo
en vous inscrivant à notre liste email.
Il suffit de cliquer sur le lien dans la description.
D'ailleurs, en plus de la transcription, vous trouverez
une liste de vocabulaire avec les expressions de cette vidéo
et un quiz pour vérifier si vous avez bien compris tous les points.
C'est totalement gratuit et vous pouvez vous désinscrire à tout moment.
Alors, pour commencer, l'Académie française, qu'est-ce que c'est ?
C'est une institution qui a été créée au XVIIe siècle pour
Elle est composée d'une quarantaine de membres qu'on appelle les Immortels.
Ce qu'il faut savoir, c'est que l'Académie française n'a aucune autorité officielle,
contrairement par exemple à
la Commission d'enrichissement de la langue française
qui, elle, peut décider la création de nouveaux mots ou termes techniques.
Les Immortels n'ont aucun pouvoir de décision et tant mieux
parce qu'il y a une seule linguiste parmi eux,
donc leur expertise est assez limitée.
Mais ça ne les empêche pas de donner leur avis
sur tout ce qui touche de près ou de loin au français.
Par exemple, après plusieurs mois de pandémie,
ils ont essayé de convaincre 66 millions de Français
de dire « la covid » au lieu de « le covid »,
pour eux, c'était ça, l'urgence sanitaire.
Ok mais quel rapport avec la nouvelle carte d'identité ?
Eh bien, cette fois, le problème selon l'Académie,
c'est que sur cette nouvelle carte d'identité,
les informations sont écrites en français ET en anglais.
Vous voyez là, à côté de nom, « surname »,
et pour « sexe », « sex » sans « e » à la fin !
Ça, pour l'Académie française, c'est tout simplement un cauchemar.
Je vais citer Hélène Carrère d'Encausse, son Secrétaire perpétuel
(j'ai dit « son Sécrétaire » et pas « sa » parce que madame Carrère d'Encausse
est contre la féminisation des titres et des professions)
Alors oui, j'avais prévu de faire cette vidéo pour me moquer des Immortels.
Mais je dois avouer que pour une fois, ils ont quelques arguments intéressants.
Déjà, il faut comprendre pourquoi l'État français
a décidé d'ajouter les traductions en anglais sur la carte d'identité.
C'est un document très important
donc c'est pas le genre de décision qui est prise à la légère.
« À la légère », vous connaissez ?
Changer la carte nationale d'identité,
c'est pas une décision que l'État prend à la légère.
En fait, il était obligé de le faire
pour respecter une directive européenne adoptée en 2019.
Cette directive impose aux États membres de l'Union européenne
de traduire le nom du document d'identité
dans au moins une autre langue d'un État membre.
L'objectif de cette directive, c'était de faciliter les contrôles d'identité
et donc les déplacements, les voyages dans l'Union européenne.
Oui parce qu'au cas où vous ne le saviez pas,
les citoyens européens peuvent voyager dans l'Union sans passeport,
juste avec leur carte nationale d'identité.
Et c'est vrai que
quand votre carte d'identité ressemble à une carte de bibliothèque comme la nôtre,
ça peut être une bonne idée de traduire le nom du document.
Mais selon l'Académie française,
il y a deux problèmes graves avec cette nouvelle carte d'identité.
Le 1er, c'est que la directive impose seulement de traduire le nom du document,
c'est-à-dire « carte nationale d'identité ».
Donc pourquoi faire du zèle en traduisant toute la carte ?
L'État français a fait du zèle.
Rien ne l'obligeait à traduire toutes les informations sur la carte d'identité.
Et ça, comme vous l'avez entendu quand j'ai cité Hélène Carrère d'Encausse,
c'est un signe de faiblesse.
Ça « affaiblit le poids de la langue française ».
Ça montre que l'État reconnaît la domination de l'anglais
non seulement dans l'Union européenne,
mais aussi sur son propre territoire !
Parce que oui,
la carte d'identité peut être utilisée pour voyager dans l'Union européenne,
mais elle sert surtout à prouver son identité en France
où la seule langue officielle est le français !
Et puis, selon l'Académie française,
c'est un mauvais signal pour la francophonie.
Quel intérêt ont les gens à parler le français
si même en France, on traduit tout en anglais ?
Encore quelques décisions comme celle-là
et vous verrez que dans cinquante ans, le français aura été remplacé par l'anglais !
Bien sûr, cette peur n'a rien de nouveau.
Ça fait des siècles que des Académiciens ou d'autres lettrés
nous disent que le français est menacé de « remplacement ».
Au début, c'était par l'italien, puis ça a été l'anglais
et aujourd'hui, on entend la même chose avec l'arabe.
Mais n'importe quel linguiste vous dira que cette peur est infondée
et qu'elle n'a aucune base scientifique.
Le 2nd problème, il est plus pertinent à mon avis, c'est le choix de l'anglais.
Le Royaume-Uni a officiellement quitté l'Union européenne.
Il reste seulement deux États membres qui ont l'anglais comme langue officielle
(l'Irlande et Malte),
et ils ne représentent qu'1% des habitants de l'UE.
Donc pourquoi ne pas avoir choisi l'allemand, l'italien ou l'espagnol par exemple ?
Et pourquoi uniquement l'anglais ?
Nos voisins allemands et autrichiens ont décidé de traduire
en anglais ET en français,
mais nous, on leur a pas renvoyé l'ascenseur.
« Renvoyer l'ascenseur », c'est une autre expression familière.
Un ascenseur, vous savez, c'est une cabine pour monter ou descendre
d'un étage à l'autre dans un bâtiment.
Quelqu'un vous a fait une faveur, donc vous lui en faites une à votre tour.
La France n'a pas renvoyé l'ascenseur à l'Allemagne et à l'Autriche.
Alors oui, d'un côté, ça semble logique de choisir l'anglais.
C'est souvent la première langue étrangère
que les citoyens de l'Union européenne apprennent à l'école,
et c'est de loin celle qui est la plus largement comprise.
Donc avoir ces informations en anglais sur les documents d'identité,
ça facilite la vie des agents de contrôle dans les aéroports etc.
D'ailleurs, ça fait presque quarante ans
que notre passeport est traduit en anglais
et ça a jamais choqué qui que ce soit.
Mais contrairement à notre nouvelle carte d'identité,
notre passeport européen est traduit dans dix langues en plus de l'anglais.
Et ça, c'est une critique plus légitime à mon avis.
Cette nouvelle carte d'identité ne prend pas en compte
la richesse des langues parlées dans l'Union européenne.
C'est pour ça qu'un collectif d'écrivains et d'artistes a proposé que
chaque région française choisisse une langue différente.
Par exemple, en région parisienne,
les gens pourraient avoir leur carte d'identité traduite en lithuanien,
en Bretagne, elle serait en espagnol,
et en Corse, je sais pas moi, en tchèque, par exemple.
Bon, c'est une idée séduisante sur le papier mais à mon avis,
elle poserait pas mal de problèmes logistiques…
Et puis, si on choisissait d'autres langues que l'anglais,
sur quels critères on devrait se baser ?
Le nombre d'habitants du pays ?
Son poids dans l'économie européenne ?
Le nombre de Coupes d'Europe gagnées par son équipe de foot ?
Et comment éviter de vexer les petits pays
dont la langue n'apparaîtrait sur aucune autre carte d'identité ?
Alors bien sûr, on pourrait dire que
l'Académie française est dans son registre habituel à pleurer
« le déclin de notre pauvre français, jadis langue officielle de la diplomatie » !
Mais je trouve que, pour une fois, elle soulève aussi une question intéressante.
Pas de savoir s'il faut traduire ou non la carte d'identité,
mais de savoir quelle(s) langue(s) on doit choisir.
Est-ce qu'on adopte la solution pragmatique avec l'anglais,
ou la solution « symbolique » avec d'autres langues européennes ?
Plus largement, ça permet de se demander ce qu'est une langue.
Est-ce que c'est juste un outil de communication,
ou aussi une partie de notre identité ?
Je suis curieux de savoir ce que vous en pensez
donc si vous avez le temps,
laissez un petit commentaire pour participer au débat !
Et dites-moi aussi si votre carte d'identité est traduite
dans une ou plusieurs autres langues pour qu'on puisse comparer.
Maintenant, qu'est-ce qui va se passer avec cette nouvelle carte d'identité ?
Ça fait déjà plusieurs mois que l'Académie française
demande au gouvernement de retirer les traductions.
Mais jusqu'ici, elle n'a reçu aucune réponse.
Apparemment, le gouvernement est comme le reste des Français :
il n'en a rien à faire des recommandations des Immortels !
Donc là, ils sont passés aux choses sérieuses.
Ils ont envoyé un ultimatum au Premier ministre Jean Castex.
Il a deux mois pour changer la carte d'identité,
sinon l'Académie saisira le Conseil d'État,
qui est la Juridiction suprême de l'ordre administratif.
Si ça arrive, ça sera la première fois que l'Académie française attaque l'État.
Personnellement, j'ai très envie de voir ça
du coup j'espère que Jean Castex va ignorer leur ultimatum !
Affaire à suivre donc.
Et en attendant, moi, je vous dis à bientôt pour une prochaine vidéo !