#109 - Bienvenue dans l'ère de l'inattention (3)
Hugo: [00:24:50] Non, pour moi, c'est vraiment quelque chose de problématique parce que je sais que je fonctionne très mal, en fait, comme ça. Et c'est ça qui est intéressant aussi, c'est… Je pense que toi, comme c'est quelque chose que tu as depuis très longtemps et qui est naturel, tu as réussi à en faire une force, en fait. Mais pour moi, c'est vraiment un handicap parce que je n'arrive pas du tout à fonctionner de cette manière donc… C'est une chose sur laquelle je dois travailler et on donnera quelques conseils, je pense, à la fin de l'épisode pour travailler sur ça.
Ingrid: [00:25:21] Ouais, on fera ça.
Ingrid: [00:25:34] Alors maintenant donc je vais vous parler un petit peu de ce qu'il se passe dans le cerveau quand on est concentré ou quand on est motivé, donc ce qu'il se passe pour toutes les personnes, et puis vous expliquer un petit peu en quoi c'est un peu différent pour les personnes qui, comme moi, ont un trouble de l'attention. Donc attention, Hugo, tu es prêt ? Parce que là je vais essayer l'explication scientifique !
Hugo: [00:26:03] C'est parti, je t'écoute attentivement.
Ingrid: [00:26:06] Ok, donc, d'après ce que j'ai compris en faisant toutes mes recherches et en parlant avec des spécialistes, la concentration, ça se passe au niveau du lobe préfrontal, donc c'est une partie du cerveau et elle se fait grâce à la dopamine. Donc la dopamine, c'est un neurotransmetteur. Donc, comme son nom l'indique, en fait, c'est un message qui est envoyé d'un neurone à l'autre. On l'appelle souvent l'hormone du plaisir, donc en fait, ce n'est pas une hormone, mais ça fonctionne comme une hormone. Il faut être… avoir un niveau, quand même, de connaissance scientifique pour faire la différence. Mais en gros, c'est une molécule chimique, un petit ingrédient, que le cerveau fabrique au moment où il ressent du plaisir, ou bien au moment où il pense qu'il va faire quelque chose de plaisant. Et c'est-à-dire par exemple, manger. Manger, c'est typiquement quelque chose qui permet au cerveau de produire de la dopamine. Et la dopamine, elle sert à beaucoup de choses. Elle sert notamment à permettre l'attention, la concentration. Mais elle joue aussi un rôle dans le mouvement, dans la régulation de la douleur, la régulation des émotions. Voilà, il y a vraiment plein de choses. En fait, la dopamine, elle, est essentielle pour fonctionner correctement. C'est un mécanisme qui s'appelle… Donc il y a un mécanisme qui s'appelle le mécanisme de la récompense, qui est tout un circuit comme ça, qui fait que quand on fait quelque chose qui est essentiel à la survie ou à la reproduction, donc typiquement manger et avoir des relations, c'est les deux choses qui sont essentielles pour que l'espèce survive, ça envoie un message au cerveau que tout va bien. On peut fonctionner, on peut continuer à voir des choses plus sur le long terme. Puis le cerveau se rappelle que ces différentes choses qu'on a faites ont été positives. Et du coup, ensuite, le simple fait de penser qu'on va faire ces choses, ça envoie de la dopamine et donc ça permet de dire “ok, c'est bon, tout va bien, on fonctionne correctement.” On peut du coup rester alerte. C'est ce qui permet par exemple… Avoir un bon taux de dopamine dans le cerveau, c'est ce qui permet d'éviter les dangers, d'éviter les douleurs futures. Donc forcément, c'est lié à la motivation, à la concentration, etc., parce qu'il nous faut avoir rempli ces besoins primaires qui en fait nous transmettent du plaisir, pour réussir à être en bonne condition, pour faire des choses qui nous ne donnent pas un plaisir immédiat, mais qui vont nous permettre de survivre dans le futur. Et c'est là qu'il y a une différence entre les personnes qui sont neurotypiques donc qui ont pas un problème spécial…
Hugo: [00:29:30] Donc en fait, si j'ai bien compris les personnes qui ont un problème d'attention, en fait, c'est un problème de dopamine, c'est ça ?
Ingrid: [00:29:36] Ouais, c'est ça. En fait, donc, le problème d'attention, et donc c'est pour ça qu'il est cognitif… Moi c'est bien ce qu'on m'a dit, il y a une spécialiste qui m'a dit c'est pas un problème « mental », entre guillemets, vous ne pouvez rien faire, c'est le fonctionnement du cerveau, c'est comme ça. En fait, il y a une… C'est le système dopaminergique qui a… qui ne fonctionne pas correctement. C'est, d'ailleurs, entre parenthèses, c'est un peu le… c'est lié à la maladie de Parkinson, qui a aussi un problème du système dopaminergique, et aussi quelques autres problèmes cognitifs, en général c'est ça. Et du coup, en fait, chez les personnes qui ont un trouble de l'attention, parfois, en fait, quand la dopamine passe, elle passe beaucoup trop vite. Donc elle passe plus vite donc, plus fort, donc ça, c'est plutôt cool, parce que ça veut dire que quand on fait des choses qui sont plaisantes, on les ressent en fait beaucoup plus, de façon encore plus plaisantes que les autres. Mais on épuise directement tout son stock de dopamine. Donc les personnes qui ont un trouble de l'attention ont encore plus besoin que les autres (les autres aussi, mais c'est complètement décuplé) d'avoir sans cesse de la nouveauté, puisque la nouveauté donne cette… enfin, produit de la dopamine. Et aussi, ils sont plus sujets à, par exemple, des problèmes d'addiction, puisqu'il y a plusieurs choses… Alors l'addiction, ça peut être les drogues, ça peut être des choses assez fortes, mais ça peut être aussi tout simplement le café, qui est très très addictif et qui envoie vraiment de… enfin, qui permet de produire de la dopamine. Et…
Hugo: [00:31:21] Je confirme. Grosse grosse dose de dopamine avec le café.
Ingrid: [00:31:26] Ouais. Mais il faut faire attention, on en reparlera après.
Hugo: [00:31:29] Avec modération.
Ingrid: [00:31:31] Voilà. Mais du coup ouais, en fait, c'est… Les personnes qui ont un trouble de l'attention ont besoin de produire, enfin d'aller chercher de la dopamine, plus régulièrement que les autres puisque les quantités dans le cerveau s'épuisent très rapidement. Et c'est pour ça qu'elles ont notamment, donc on a, tendance à avoir seulement deux temporalités : une temporalité qui est “maintenant, tout de suite”, d'où l'impulsivité, et une temporalité qui est “jamais.” Donc c'est beaucoup plus difficile quand on n'a pas un niveau de dopamine régulier dans le cerveau, de se dire : « Ah ça maintenant, tout de suite, ça m'apporte aucun plaisir, mais plus tard, il va y avoir une récompense ». En fait, le système de récompense sur le long terme ne fonctionne pas. Donc voilà.
Hugo: [00:32:24] D'accord. Donc c'est aussi pour ça, peut-être que tu peux être une bonne journaliste, mais écrire un livre ou un roman, ça sera un peu plus compliqué, vu le temps que ça demande.
Ingrid: [00:32:35] Ouais. Ben tu te rappelles que dans… Quand on a fait l'épisode 100, j'ai dit qu'un de mes objectifs, c'était de terminer un roman. Mais c'est « terminer », parce que j'ai plein d'histoires en tête. J'ai déjà commencé à écrire plein de, plein de petites histoires, mais c'est jamais en fait… Dès que je passe le stade de l'idée ou du moment d'inspiration, c'est fini. Ciao ! Et puis en plus, j'ai tendance à du coup, tout supprimer parce que c'est bon, c'est plus mon obsession du moment, ou ça m'apporte plus de bonheur sur le coup et du coup j'arrête. Mais je me soigne. Donc j'espère qu'avec tout ce que je mets en place et toute cette compréhension, je vais pouvoir aller au-delà. Et ouais, et avant de finir sur ça, enfin sur cette petite explication, je voulais aussi, ouais, préciser que j'ai vu donc en fait : cette particularité génétique, au temps des chasseurs-cueilleurs, au temps des Hommes…
Hugo: [00:33:39] Ah ça, il faut expliquer, les chasseurs cueilleurs !
Ingrid: [00:33:41] Ah oui. Donc ça, c'est avant que les Hommes, les humains, se sédentarisent, donc s'installent dans des maisons et dans des lieux fixes, ils étaient chasseurs cueilleurs, donc ils bougeaient énormément et ils se nourrissaientde la chasse. Donc de tuer des animaux.
Hugo: [00:34:02] Tuer des animaux.
Ingrid: [00:34:02] Et surtout de la cueillette, de ramasser en fait des… ce que la nature pouvait donner. Donc c'était avant…
Hugo: [00:34:11] Des fruits, des légumes.
Ingrid: [00:34:12] Ouais, des fruits…
Hugo: [00:34:12] Donc c'est le verbe « cueillir ». Le verbe, “cueillir.” Et le nom, “la cueillette.” Chasseurs cueilleurs, quelqu'un qui chasse et qui cueille.
Ingrid: [00:34:23] Exactement. Ouais. Et du coup, à cette époque, les personnes qui aujourd'hui ont… Enfin, les personnes qui avaient cette particularité génétique étaient essentielles parce que c'était des personnes qui prenaient plus de risques et qui allaient explorer plus facilement pour trouver des nouveautés. Et puis ensuite, quand on s'est sédentarisé, donc quand on s'est installé de manière fixe, et puis quand il y a eu des règles de société, puis le salariat, le monde ouvrier, etc., c'est devenu un enfer, en fait, d'avoir cette particularité. Mais aujourd'hui, je pense, et je ne suis pas la seule à le penser, que dans notre nouveau monde où on a beaucoup plus de place pour la créativité, pour voilà, différentes formes de cultures, de… pour enfin ouais ce qui… toutes les nouvelles technologies etc., finalement c'est un peu le retour, la vengeance. Le monde d'aujourd'hui, finalement, est quand même adapté, à condition de le savoir et de ne pas vouloir rentrer dans une case qui n'est pas la nôtre. Et je pense que ça peut faire une bonne transition, non ? Parce que toi, ça me rappelle un peu ce que tu me disais du livre que tu as lu, non ?
Hugo: [00:35:44] Effectivement. Donc le livre que j'ai lu s'intitule The Distracted Mind. Il a été écrit par Adam Gazzaley et Larry Rosen, qui est psychologue. Et Adam Gazzaley, il est neuroscientifique. Et la problématique de ce livre, c'est le fait que le cerveau que nous avons, c'est toujours celui de ces fameux chasseurs cueilleurs. Il a très peu évolué. Par contre, l'environnement dans lequel nous vivons a beaucoup changé. Et maintenant, on peut avoir l'impression que notre cerveau est inadapté à ce nouvel environnement dans lequel on vit.
[00:36:24] Alors, ce qui est intéressant, c'est la façon dont notre cerveau fonctionne, et Adam Gazzaley décrit ça très très bien. En fait, on a une capacité à analyser et à réagir à notre environnement. Donc ça, c'est un cycle en fait, qui s'appelle perception-action. On perçoit, on voit quelque chose et on réagit à ce qu'on voit, à ce signal. Et c'est justement ce mécanisme de survie, dont tu as parlé, qui a vraiment été essentiel à notre, à notre survie, jusqu'ici, et à notre évolution. Mais on a aussi une capacité qui est plutôt top down, donc du haut vers le bas. Et c'est celle de se fixer un but, de se fixer un objectif, et ensuite de le réaliser. Et ça, c'est plutôt ce qui nous a permis de développer notre civilisation, d'envoyer des gens sur la lune, etc. Et c'est ce qui nous différencie aussi des autres animaux, en grande partie. Et pour réaliser, justement, ces objectifs, on a une faculté qui est le contrôle cognitif, dont tu as parlé aussi, qui s'assure qu'on va pouvoir réaliser nos plans, les faire dans les temps, les mener à bien. Et si on n'avait pas cette faculté, en fait, on ne ferait que réagir à notre environnement. Donc ce contrôle cognitif, c'est vraiment une capacité qui est une faculté qui est essentielle chez nous. Mais le problème maintenant, c'est que cette faculté est sur-sollicitée. Elle est sur-stimulée, parce que dans notre environnement, il y a énormément de signaux, de distractions.
[00:38:17] Et l'autre problème, c'est que notre capacité à faire des plans s'est développée (donc c'est pour ça que collectivement, en tant que civilisation, on fait de plus en plus, on a de plus en plus de projets, on arrive à organiser des choses à une échelle incroyable) mais par contre, notre contrôle cognitif a très peu évolué. Donc on est capables de faire des plans, mais on a beaucoup de mal à les réaliser. Et ça, je le vois à notre échelle chez InnerFrench. J'ai une excellente capacité à faire de nombreux plans, mais après, les mener à bien, c'est un peu plus difficile, notamment parce que je suis souvent distrait. Dans le monde de l'entrepreneuriat, il y a ce qu'on appelle “le syndrome de l'objet brillant.” Donc, dès qu'on voit quelque chose qui brille, quelque chose de nouveau, on a envie d'aller vers ça, de l'essayer. Un peu comme les pies, ces oiseaux qui sont attirés par les objets, en argent il me semble ?