#109 - Bienvenue dans l'ère de l'inattention (4)
Ingrid: [00:39:14] Oula, tu m'en demandes beaucoup là. Je sais pas. Ouais, ça doit être ça, l'argent, ouais.
Hugo: [00:39:18] Bref, il me semble que c'est les pies qui ont tendance à être attirées par les objets en argent. Donc voilà, ce syndrome de l'objet brillant. Donc ça, c'est vraiment le problème de notre civilisation aujourd'hui. Notre contrôle cognitif est sur-stimulé. Il y a beaucoup d'interférences. Et une grande partie de ces interférences aujourd'hui sont programmées. Ce n'est pas des interférences comme un lion qui se présente à quelques mètres de vous, mais c'est les notifications que vous avez sur votre téléphone, par exemple. Des interférences qui sont programmées par des gens qui comprennent parfaitement bien comment notre cerveau fonctionne. Ce qui fait que c'est très difficile d'ignorer ces interférences et de rester concentrés sur nos objectifs.
Ingrid: [00:40:06] Ah et ça, ça rejoint un peu cette histoire de dopamine, non ? Ils en parlaient dans le livre ?
Hugo: [00:40:11] Oui, effectivement, ils parlaient aussi de la dopamine, et notamment d'une étude qui a été faite en 2009 sur des macaques, donc une espèce de singes. Dans cette étude, les macaques recevaient, on leur présentait des informations et on évaluait la quantité de dopamine qui était sécrétée dans leur cerveau et on comparait ça ensuite en leur présentant de la nourriture. Donc on comparait les shots de dopamine provoqués par une nouvelle information ou consommer de la nourriture. Et en fait, on s'est rendu compte que les quantités étaient très… enfin, les scientifiques qui ont fait cette expérience se sont rendu compte que les quantités étaient très similaires. Et ce que disent les neuroscientifiques, en fait, c'est que nous, les humains, nous sommes des animaux qui cherchons en permanence de l'information et l'information nous donne autant de plaisir que la nourriture. Parce que, comme tu l'as expliqué, c'est lié à ce mécanisme de survie. Donc c'est vraiment quelque chose d'essentiel pour nous. Et c'est pour ça qu'on est tellement accros à nos smartphones parce qu'ils nous donnent accès en permanence à toute l'information disponible dans le monde, dans le monde entier. Et c'est très difficile de se débarrasser de cette addiction. On connaît, on sait tous ce qu'il faut faire : il faut désactiver les notifications, ne pas avoir son téléphone toujours sur soi, le mettre dans une autre pièce, etc. Mais on aime tellement ça, ça nous donne tellement de plaisir que c'est très difficile de suivre ces conseils.
[00:41:46] Et il avait une autre… Adam Gazzaley a une théorie que j'ai trouvée très intéressante dans ce livre, qui concerne le foraging. Donc on n'a pas de… J'ai cherché, mais on n'a pas de verbe, en fait, pour ça. En français, on dit « chercher de la nourriture ». Alors, je vais essayer d'expliquer ça de manière claire parce que j'avais déjà essayé et c'était pas très clair. Les animaux comme les éc… On va prendre l'exemple des écureuils. Un écureuil cherche de la nourriture, donc il va chercher des noisettes dans un arbre. Et au bout d‘un certain temps, quand il a déjà trouvé peut-être 50% des noisettes qui étaient dans cet arbre, il y a un arbitrage qui se fait de manière inconsciente où l'écureuil se dit que ça va être plus facile de trouver des noisettes en allant dans l'arbre qui est juste à côté qu'en restant pour chercher les 50% de noisettes restantes. Et il y a des mathématiciens qui ont fait des modèles, en fait, avec des courbes, qui permettent de prévoir ça. Donc à partir de quelle quantité de nourriture pour un animal, c'est plus intéressant de passer soit à l'arbre suivant, soit à la prairie suivante pour continuer à manger. Et la théorie qui est développée dans ce livre, c'est que nous, les humains, on a la même chose avec l'information. Et moi, ça m'a vraiment parlé, cette théorie, parce que c'est exactement mon comportement quand je suis sur Internet et que je fais des recherches, je ne sais pas si c'est la même chose, Ingrid, mais je cherche quelque chose dans Google et je vais ouvrir quinze pages. Donc j'ouvre un onglet, le suivant, le suivant, le suivant. Je commence à lire la première page et au bout de quelques minutes, j'ai pas fini l'article mais je vais passer à l'article suivant. Etc. etc. Est-ce que c'est quelque chose que tu fais aussi ?
Ingrid: [00:43:36] Ben oui. Oui, tout à fait. Eh ben complètement. Après, moi, je le faisais déjà avant, avant internet. Avec regarder par la fenêtre, lire un livre, être dans mes pensées. Donc voilà, pour moi, c'est pas spécialement nouveau. Mais effectivement, Internet, ça fou… Ça favorise ça complètement. Et d'ailleurs, les journalistes écrivent leur article en pensant à ça quand même. C'est… L'information principale… Ce qu'on met à la fin de l'article, en général, on sait que ça ne va pas être lu. Donc voilà, c'est construit de manière à ce que les personnes aient l'information principale au début.
Hugo: [00:44:18] C'est la même chose pour les vidéos YouTube, on sait que la plupart des gens vont regarder seulement les 20 % de la vidéo. Avec les podcasts, c'est un peu plus long, mais je sais aussi que là, on a perdu une grande partie de l'audience, à ce niveau du podcast. Donc merci à ceux qui sont encore là et qui vont nous écouter jusqu'au bout, j'en suis sûr !
Ingrid: [00:44:40] On vous donnera un nouveau petit mot. Vous allez voir.
Hugo: [00:44:42] On vous donne un mot, effectivement, pour les commentaires. Donc j'ai trouvé que sa théorie était assez intéressante. Et est-ce que tu as la même chose avec les livres ? Est-ce que tu es aussi du genre à commencer 10 livres en même temps et à ne pas les finir ?
Ingrid: [00:44:56] Oui, après, j'ai aussi ce côté… J'ai soit… Enfin, j'ai aussi l'hyper concentration avec les livres. Donc parfois, je suis obsédée par un bouquin. Un bouquin, c'est donc informel pour dire “un livre.” Et je ne fais que ça pendant des semaines. Mais de manière générale, maintenant, j'ai une liseuse, donc c'est mieux. Liseuse électronique, donc c'est les appareils sur lesquels on peut avoir tous ses livres. Comme ça en fait, bah j'en ai toujours une quinzaine qui sont ouverts. Et puis de temps en temps, je me dis « oh tiens celui-là… » Soit je lis une page et c'est fini, soit on ne sait pas ce qui m'arrive et je lis tout le livre d'un coup sans m'arrêter. Voilà, c'est ce que je disais. Il y a deux modes.
Hugo: [00:45:45] Effectivement. Moi c'est… Avant, j'étais vraiment du genre à lire un seul livre du début à la fin. Et là, encore une fois, je pense que c'est depuis la pandémie. J'ai beaucoup de mal à finir un livre et j'en ai cinq qui sont commencés et que je… Voilà, je passe de l'un à l'autre en fonction de mon humeur. Donc…
Ingrid: [00:46:05] Tu sais que ça me parait incroyable parce que j'ai toujours fait ça ! Mais depuis que j'ai appris à lire, quoi.
Hugo: [00:46:11] Non moi avant, c'était vraiment un livre à la fois.
Ingrid: [00:46:14] Je pensais que tout le monde faisait ça !
Hugo: [00:46:18] Non, non, non, non. Donc, pour conclure sur cette partie, la conclusion de ce livre, que je vous invite vraiment à lire si c'est un sujet qui vous intéresse (je ne pense pas qu'il ait été traduit en français, malheureusement mais peut-être que ce sera le cas, c'est un livre assez récent), on est programmés pour être distraits parce que c'est vraiment quelque chose qui nous a permis d'évoluer, de survivre jusqu'à maintenant. Mais notre environnement a changé beaucoup plus rapidement. Aujourd'hui, il nous pose de nouveaux défis et on a besoin de s'adapter à cet environnement et de se préparer si on veut être capable de garder notre capacité de concentration.
Ingrid: [00:46:58] Et du coup, est-ce que… Tu voulais parler de quelque chose par rapport au fait de faire plusieurs choses à la fois ou ?
Hugo: [00:47:04] Ouais, il parlait aussi du multitasking. Faire plusieurs choses à la fois. C'est assez intéressant parce que, en réalité, on est incapable de faire plusieurs choses à la fois, plusieurs choses en parallèle. Ce qu'on fait, c'est qu'on passe d'une tâche à l'autre, plus ou moins rapidement. C'est possible dans le cas où une de ces tâches est faite de manière assez inconsciente, ne demande pas beaucoup de concentration. Par exemple, si vous écoutez un podcast en conduisant. Conduire, vous connaissez le trajet, ça vous demande pas beaucoup d'attention, donc vous faites ça de manière presque inconsciente (même si c'est assez dangereux !). Et vous êtes plutôt concentrés sur le podcast que vous écoutez. Mais s'il y a une voiture qui vous coupe la route ou quelque chose d'inattendu qui se passe sur la route, votre cerveau va complètement passer à… va se concentrer sur la conduite. Vous allez arrêter d'écouter ce podcast, vous n'entendrez plus ce qui est dit, pour vous concentrer à 100 % sur ce qui est en train de se passer, le danger qui est devant vous. Donc ça, j'ai trouvé que c'était assez intéressant. Et le fait que ce… le multitasking (là encore, on n'a pas de bonnes traductions en français… le fait de faire plusieurs choses à la fois ! )…
Ingrid: [00:48:18] On dit être multitâche, mais du coup, c'est un adjectif. Et donc on n'a pas, on ne peut pas mettre… C'est vrai, c'est intéressant, ça. Il faut qu'on invente le mot.
Hugo: [00:48:30] Et, être multitâche, on l'utilise plutôt pour un appareil, non, en général ? Un appareil, une machine, qui peut faire plusieurs choses à la fois. Mais pour une personne, je trouve ça un peu bizarre, non ? Moi, je ne dirais pas que je suis multitâche. Tu dirais que tu es multitâche ?
Ingrid: [00:48:42] Je pense que je l'ai déjà entendu, mais du coup, c'est comme si c'était une qualité intrinsèque. Intrinsèque, c'est très compliqué comme mot mais… essentielle d'une personne en fait. Alors que, d'après ce que tu viens de nous dire, personne n'est en soi multitâche, mais je l'ai déjà entendu. Il faudrait chercher, voir peut-être…
Hugo: [00:49:04] On dirait plus, je pense, polyvalent, peut-être ?
Ingrid: [00:49:08] Ouais, mais polyvalent, ce serait plutôt qui est capable de faire beaucoup de choses, mais pas forcément en même temps. C'est… La tâche, c'est vraiment l'activité du moment, ce qu'on doit faire à un moment donné. Ce n'est pas vraiment une capacité, ce n'est pas vraiment une compétence, la tâche. C'est plutôt un devoir.
Hugo: [00:49:32] C'est vrai. C'est vrai. Donc en fait, ce multitasking, à défaut de meilleur mot, c'est… encore une fois, c'est une chose qu'on adore faire, parce qu'à chaque fois qu'on passe à une nouvelle tâche, ça nous envoie un shot de dopamine, surtout si c'est une tâche qui est plus intéressante que celle qu'on est en train de faire. Mais d'un autre côté, ça a un coût, ça a un prix, parce qu'à chaque fois qu'on passe d'une tâche à l'autre, on perd beaucoup de temps pour se reconcentrer sur ce qu'on est en train de faire. Et c'est… maintenant… je sais que c'était très à la mode il y a quelques années, mais maintenant, de plus en plus, on parle de “single tasking.” Faire une seule chose à la fois. Et les études montrent qu'en général, c'est plus productif de se concentrer sur une seule chose, de la terminer avant de passer à quelque chose d'autre, mais ça, c'est pour les personnes « normales », entre guillemets. Et pour les personnes comme Ingrid, c'est peut-être plus efficace de pratiquer le multitasking.
Ingrid: [00:50:36] Disons que ouais, c'est plus que c'est…. Ouais, c'est… En fait, ce n'est pas possible de faire autrement pour les personnes comme moi. Je vais expliquer après là, toute… On donnera quelques petits conseils. Mais effectivement, ce que tu dis, ça me fait penser à… J'ai vu une théorie. Alors, c'est une théorie hein, c'est pas prouvé ou c'est pas un concept scientifique, mais qu'avec les réseaux sociaux et l'ère d'Internet où on peut ouvrir toutes ces fenêtres etc., il y a certaines personnes « normales », donc neurotypiques, qui ont un genre de, une sorte de, trouble de l'attention acquis, comme si l'environnement les faisait devenir, fonctionner, de manière différente. Et… Et voilà, et du coup, bah leur cerveau n'est pas fait pour être comme ça. Donc c'est quand même « pire », entre guillemets, quand tout d'un coup, on… ça nous tombe dessus à cause de l'environnement que quand on est comme ça depuis l'enfance et que, disons, on a appris un peu à fonctionner avec ça. Mais voilà, est-ce que… Est-ce que du coup, on peut peut-être passer à des conseils ? Chacun notre tour, dire ce qu'on a vu, ce qu'on a conclu ?