#110 - Qui vote pour qui ? (2)
Ingrid: [00:15:04] Ouais, c'est vrai que par rapport à ce que tu disais sur la stature présidentielle, c'est le seul qui a bénéficié de cette de cette image. Finalement, je regardais les critères qui ont fait que les personnes ont voté pour chaque candidat et absolument aucun autre candidat n'a bénéficié d'une impression d'être un éventuel bon Président alors que pour d'autres, c'était plutôt le programme. Mais pour Emmanuel Macron, c'est le seul qui a, vraiment pour qui on a voté pour la personne.
Hugo: [00:15:41] C'est vrai. C'est ce qui pénalise d'ailleurs souvent Marine Le Pen. Même parmi ses électeurs, il y a beaucoup de personnes qui pensent qu'elle n'a pas les épaules, qu'elle n'a pas la stature pour être Présidente de la République, parce qu'elle manque d'expérience, parce que voilà.
Ingrid: [00:15:57] C'est une femme.
Hugo: [00:15:57] C'est une femme, donc ça aussi, ça la pénalise effectivement. Mais il y a des personnes qui adhèrent totalement à ses idées, à son programme, mais qui considèrent qu'elle n'a pas la stature d'une Présidente de la République.
Ingrid: [00:16:12] Ouais. On est en encore vraiment sur une figure du Président qui est très…
Hugo: [00:16:20] Très masculine.
Ingrid: [00:16:22] Ouais. Qui est vraiment symbolique, qui a beaucoup de symboles importants. Mais donc ceux qui ont voté pour Emmanuel Macron. Donc maintenant, on sait pourquoi. Mais qui sont ces personnes exactement ? Donc, à partir des sondages et des statistiques, on peut établir un profil sociologique de ceux qui votent pour Emmanuel Macron. Donc d'abord, on peut commencer par la catégorie d'âge, puisqu'on en a déjà un peu parlé. C'est simple : plus on est âgé, plus on vote pour Emmanuel Macron. Il est largement au-dessus des autres chez les plus de 50 ans et il faisait carrément 40 % dès le premier tour chez les plus de 70 ans. Donc là, ça reprend ce qu'on disait : les plus de 70 ans sont ceux qui votent le plus et ils votent en masse pour Emmanuel Macron. Donc, si on prenait en compte que les votes des jeunes, par exemple, il n'aurait même pas été au second tour. Voilà. Il fait son pire score chez les 25 à 34 ans. Donc chez des personnes comme nous, toi et moi, Hugo. Les 25-34 ans, c'est globalement les jeunes actifs. Hum. Après il a une bonne aussi popularité chez les cadres. Au deuxième tour, les cadres ont voté pour lui à 73%. Donc les cadres, c'est les personnes qui travaillent dans des entreprises, à des postes de direction ou à des bons postes. C'est ceux qui gagnent plutôt bien leur leur vie et qui…
Hugo: [00:18:06] Les managers.
Ingrid: [00:18:06] C'est ça, on… C'est ça, c'est un bon terme : manager. Et puis après, au contraire (si je puis dire, au contraire), il y a une autre catégorie qui vote beaucoup pour Emmanuel Macron, c'est les étudiants de moins de 25 ans. Pas tous. On verra après que les étudiants votent aussi pour une autre personne. Je fais du suspens. Mais globalement, par exemple, les étudiants qui sont en école de commerce, les étudiants qui étudient, je sais pas, l'économie. Il y en a, il y a certains types de filières où Emmanuel Macron est largement majoritaire. Ensuite, il a aussi du succès chez les Parisiens, qui ont voté pour lui à 85 % au deuxième tour, en Île-de-France en général, donc la région parisienne. Et il est aussi le plus populaire chez les Français de l'étranger. Hein, chez toi Hugo.
Hugo: [00:19:07] Effectivement.
Ingrid [00:19:08] Un petit peu moins qu'en 2017, ça a baissé. En 2017, c'était 89 %. Il était à fond derrière lui. Maintenant, c'est 86%. Excepté dans en Russie, en Russie, c'est Marine Le Pen au second tour qui a battu Emmanuel Macron avec 58 %. Mais c'est plutôt facile à expliquer. Voilà, si vous avez suivi un peu, Marine Le Pen et elle est très proche du pouvoir russe et a défendu Vladimir Poutine pendant très très longtemps. Voilà donc, lors de sa première élection en 2017, Emmanuel Macron avait déclaré qu'il ferait tout pour que les Français n'aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes. Au vu des résultats, il a complètement échoué. La scène politique française a été profondément bouleversée. «Bouleversé», tu as déjà expliqué ce mot en introduction, n'est-ce pas ?
Hugo: [00:20:11] Un grand changement ?
Ingrid: [00:20:12] Voilà. Donc, le 10 avril dernier, le premier tour a confirmé la liquidation de Les Républicains, le parti traditionnel de droite, et du Parti socialiste, le parti traditionnel de gauche, comme piliers du dispositif de pouvoir établi depuis des décennies.
Hugo: [00:20:33] C'est vrai d'ailleurs, ces deux, les deux candidats de ces partis ont fait des scores inférieurs à 5%. Maintenant..
Ingrid: [00:20:38] Ridicules.
Hugo: [00:20:40] C'était vraiment une humiliation pour leur parti et ça les met en difficulté au niveau financier parce qu'il faut savoir que l'Etat français rembourse les frais de campagne, mais seulement si le candidat fait au moins 5% au premier tour. Donc pour que l'Etat couvre, paye, tout ce que vous avez dû financer pour les meetings de campagne, les affiches etc, il faut faire au moins 5%. Là, comme la candidate du PS, Anne Hidalgo et la candidate des Républicains, Valérie Pécresse, ont fait moins de 5%, eh bien, c'est leur parti, et elles aussi, parce qu'elles en ont payé une partie de leur poche, qui vont devoir, voilà, financer complètement leur campagne. Et leur campagne ne va pas être remboursée par l'Etat français. Donc c'est une situation assez compliquée pour ces deux partis.
Ingrid: [00:21:36] Surtout pour le Parti socialiste, je pense, parce qu'ils ont pas autant de donateurs, de personnes qui les soutiennent, qui vont faire, qui vont envoyer des chèques pour aider à rembourser. Donc on verra mais c'est possiblement la mort du Parti socialiste qui s'annonce.
Hugo: [00:21:55] Ouais, ça va être compliqué dans les années à venir[/simple_tooltip].
Hugo: [00:22:09] Alors maintenant, on va passer à l'adversaire d'Emmanuel Macron, Marine Le Pen, qui était au second tour face à lui. Donc, contrairement à Emmanuel Macron, Marine Le Pen, elle, a gagné des électeurs par rapport à 2017. Il y a plus de personnes qui ont voté pour elle qu'en 2017. Et ça, c'est une chose que les analystes ont un peu de mal à expliquer ou disons qu'il y a différentes théories pour essayer de comprendre cette montée de l'extrême droite en France. Pourquoi maintenant l'extrême droite se retrouve systématiquement au second tour ? Quelque chose qui était assez exceptionnel avant. Alors déjà, il faut savoir qu'il y a aussi des castors du côté de Marine Le Pen. Donc moi, vous avez compris que je suis le responsable Castors dans cet épisode. Donc cette fois, il y a une partie des électeurs de Marine Le Pen qui ont voté pour elle pour faire barrage à Emmanuel Macron. Eux, ce qu'ils voulaient, c'était tout sauf Emmanuel Macron. Donc Marine Le Pen incarnait la seule alternative possible. Donc là aussi, c'est difficile à estimer, mais selon les sondages, on imagine aussi qu'environ la moitié des personnes qui ont voté pour Marine Le Pen l'ont fait, pas forcément par conviction, mais pour faire barrage à Emmanuel Macron. Ça, ça a été particulièrement visible, encore une fois dans les DROM-COM. Par exemple, en Guadeloupe, 70% des électeurs ont voté pour Marine Le Pen et 61% en Martinique, alors qu'au premier tour, c'est… Dans les DROM-COM, c'était Jean-Luc Mélenchon qui était arrivé largement en tête. Donc Jean-Luc Mélenchon, c'est l'extrême gauche, Marine Le Pen, c'est en théorie l'opposé total, l'extrême droite. Mais dans les DROM-COM beaucoup d'électeurs de Jean-Luc Mélenchon, se sont reportés sur Marine Le Pen pour faire barrage à Emmanuel Macron. Et en général, cette popularité de l'extrême droite, ça montre que la stratégie de Marine Le Pen est payante. Alors, la stratégie de Marine Le Pen et de son parti depuis maintenant une dizaine d'années, c'est la dédiabolisation du Rassemblement national. Donc «dédiaboliser» : vous avez peut-être reconnu le mot «diable» dans ce mot. Donc le diable, c'est Lucifer, l'ange déchu. Le contraire d'un ange, le diable. Dédiabolisation, dédiaboliser, ça veut dire essayer de donner une image plus positive à quelqu'un ou quelque chose. Donc le Rassemblement national essaye de montrer que c'est un parti comme les autres, que c'est un parti normal qui devrait pouvoir prétendre à l'élection présidentielle et qui est diabolisé en fait par les médias, qui a une très mauvaise image à cause des médias. Donc la stratégie depuis une dizaine d'années, c'est de lutter contre cette image et ça a plutôt bien fonctionné, comme je l'ai dit, parce que Marine Le Pen réalise des scores qui sont de plus en plus élevés. Donc de plus en plus de Français ont l'impression que le Rassemblement national et Marine Le Pen sont, représentent une alternative tout à fait normale et constituent un parti normal au même titre que La République en marche d'Emmanuel Macron.
Ingrid: [00:25:56] Hum, ouais, c'est sûr que maintenant la stratégie, enfin le discours de s'opposer à Marine Le Pen seulement en disant qu'elle est d'extrême droite et que c'est le diable en fait, que c'est pire que tout, que c'est l'horreur, ça ne fonctionne plus parce qu'elle a réussi à aller chercher certains, certaines populations qui se sentent délaissées. Donc on constate quand on regarde par exemple la carte de France du deuxième tour suivant le résultat par ville que la France est en quelque sorte coupée en deux, donc elle n'est pas coupée en deux, par exemple nord sud. Non, c'est plutôt qu'il y a une opposition entre d'un côté les métropoles, donc métropole, dans le sens les grandes villes, plutôt les conglomérats de villes, par exemple l'Île-de-France, c'est une métropole. L'Ile de France, c'est la région parisienne, avec Paris au centre et des villes moyennes autour qui dépendent de la ville principale où il y a beaucoup de travail, des transports en commun et puis une grande offre culturelle, etc etc. Les métropoles c'est Paris, Toulouse, Lyon, Lille. Voilà, il y en a pas mal. Et si on regarde la carte, il y a une opposition entre ces zones-là et les campagnes. Les campagnes dans le sens d'une part, les zones rurales vraiment où il y a de l'agriculture etc. et aussi ce qu'on appelle les périphéries. Les périphéries, c'est ce qui est juste en sortant des métropoles, là où il n'y a plus accès aux transports en commun, là où il n'y a plus vraiment de connexions avec les villes. Et c'est des villes, des petites villes ou des villages ou les gens sont plus isolés ou ils ne vont pas aller jusqu'à Paris le weekend, aller jusqu'à Lyon le weekend. Donc il y a vraiment une opposition entre ces différentes zones plus citadines et plus campagne. Marine Le Pen a fait ses meilleurs scores dans les communes rurales. Une commune, c'est un synonyme de ville. C'est une désignation administrative pour dire une ville. Donc elle a fait ses meilleurs scores dans les communes rurales et dans les petites communes. Pour le deuxième tour, dans ce qu'on appelle les zones rurales, c'était vraiment du 50-50 entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Pourquoi est-ce qu'elle a une telle popularité dans ces zones alors que elle-même, il faut rappeler, c'est une châtelaine. «Châtelaine», c'est un mot qui veut dire quelqu'un qui habite dans un château. La famille le Pen c'est une famille d'une grande fortune et elle est héritière en fait. Mais elle réussit quand même à parler à l'électorat populaire. Et cette année, notamment, en 2022, son thème de campagne principal, ça a été le pouvoir d'achat. Le pouvoir d'achat, c'est la capacité qu'on a de compr… De… Pardon, j'ai pas…
Hugo: [00:29:21] Comprar.
Ingrid: [00:29:23] Ça m'arrive souvent, mais en podcast normalement… C'est que je suis en train de parler de manière si naturelle que je fais mon mix habituel dans… Le pouvoir d'achat. Voilà. Donc c'est la capacité des personnes à pouvoir s'acheter des choses et vivre correctement. C'est un peu l'équilibre entre les salaires et le prix des denrées, des aliments. C'est beaucoup le carburant, l'essence pour se déplacer en voiture. Ça a été la première cause de désespoir et de colère par rapport au pouvoir d'achat. Donc Marine Le Pen, elle, a parlé pratiquement que de ça pendant les derniers mois de la campagne présidentielle. Cette thématique du pouvoir d'achat, elle résonne particulièrement dans l'électorat, donc, comme j'ai dit, des campagnes, mais aussi dans l'électorat ultramarin, c'est à dire dans l'électorat de l'Outre-mer, des territoires qui ne sont pas en France métropolitaine, les DROM-COM. Pourquoi ? Parce que ce sont des territoires qui sont pauvres. Les plus pauvres de France. Où les jeunes sont très fortement touchés par le chômage et où la précarité est importante. Elle a fait une campagne en plus, pour revenir donc sur Marine Le Pen, très ancrée dans les territoires, avec un tour de France et des meetings dans les communes rurales, dans les DROM-COM aussi. Et pendant en fait que d'autres candidats étaient beaucoup sur les chaînes nationales et faisaient une campagne à l'échelle du pays tout entier, Marine Le Pen s'est beaucoup déplacée pour aller voir les gens dans les plus petites villes. Et puis enfin, je vais terminer pour ce petit profil social des électeurs de Marine Le Pen. En termes de catégories, elle fait son meilleur score chez les ouvriers et chez les jeunes actifs de 25 à 34 ans. En revanche…