#111 - Vincent Bolloré, l'homme le plus puissant de France (1)
[00:00:17] Bonjour à toutes et à tous. C'est moi, Ingrid. J'espère que vous allez bien. Personnellement, je suis très contente parce qu'en France, en ce moment, il fait super beau, il y a du soleil, il fait chaud et ça me met de bonne humeur. Pour ceux qui écouteront ce podcast un peu plus tard, sachez que je l'enregistre au mois de mai 2022. Et en France, on a un dicton qui dit : « en avril, ne te découvre pas d'un fil, mais en mai fais ce qu'il te plait. » En gros, ça veut dire que, en avril, il y a encore des risques d'avoir froid. Donc il faut bien garder le manteau, le pull, bref, des vêtements chauds, vous comprenez. Par contre, en mai, ça y est, c'est la liberté. On peut sortir les shorts, les robes, les tongs. Vous savez, les tongs, c'est ces petites sandales avec une sangle, avec quelque chose entre les deux orteils. Vous voyez ? Euh… On ne dit pas tongs dans toutes les parties de France, je pense. Mais en tout cas, moi, je dis ça comme ça. Bref, tout ça pour vous dire qu'il fait beau et que Hugo en a profité pour partir en vacances. Bon, je sais pas s'il est parti pour ça, mais en tout cas, il a de la chance parce que ses vacances tombent pendant le début du printemps, voire le début de l'été. Donc c'est pour ça que, aujourd'hui, comme vous l'aurez compris, je suis toute seule pour vous présenter ce podcast.
[00:01:53] Comme Hugo n'est pas disponible et qu'on ne voulait pas vous faire attendre, on s'est dit que c'était l'occasion pour que je vous parle d'un sujet dont je voulais vous parler depuis longtemps. Comme les deux dernières fois, c'est un sujet un peu franco-français. Quand on dit que quelque chose est « franco-français », ça veut dire que, bah, ça concerne que la France et les Français. A priori, ça ne devrait pas intéresser des personnes qui ne sont pas françaises. Mais vous, c'est différent parce que je sais que vous êtes très intéressés par l'actualité et la société françaises. Alors aujourd'hui, je vais vous parler de celui que j'appelle l'homme le plus puissant de France. Pas de panique, je ne vais pas encore parler du nouveau président de la République. On a déjà beaucoup parlé des élections présidentielles avec Hugo. Donc je vous… vais vous changer un peu de sujet. Non, je vais vous parler plutôt d'un monsieur qui s'appelle Vincent Bolloré. Vincent Bolloré, c'est une des plus grandes fortunes de France. Il est à la tête d'une multinationale qui s'appelle le groupe Bolloré. Mais si je dis qu'il est puissant, alors ce n'est pas seulement parce qu'il est riche. C'est plutôt parce que c'est un grand propriétaire de médias. Il est propriétaire de chaînes de télévision, de radios, de journaux et puis même de maisons d'édition, etc… Je vous en dirai plus tout à l'heure. Et surtout, il est puissant parce qu'il utilise ses médias pour faire passer des messages politiques.
[00:03:42] En effet, Vincent Bolloré est un catholique conservateur qui a des idées bien arrêtées sur la société française. Alors « avoir une idée arrêtée« , ça veut dire qu'on a une opinion très marquée et que personne ne peut nous faire changer d'avis. En l'occurrence, la vision de Vincent Bolloré pour la France, c'est en gros la même que celle d'Éric Zemmour, son protégé. Il défend l'idée que la France devrait retrouver ses racines chrétiennes. Oui, j'avoue en dernière partie de cet épisode, on parlera quand même des élections présidentielles puisque c'est impossible de parler de Vincent Bolloré sans parler de son soutien à Éric Zemmour. Éric Zemmour, vous savez, je crois qu'on vous a parlé, mais un petit peu, de lui dans l'épisode 108, avec Hugo. Et donc il était candidat de l'extrême droite aux élections présidentielles. On parlera de lui tout à l'heure, plutôt à la fin du podcast. Donc avant, il faut qu'on fasse déjà le bilan sur qui est Vincent Bolloré. Alors, dans une première partie, je vais vous expliquer d'où vient sa fortune, comment il a réussi à gagner autant d'argent et donc à acquérir du pouvoir économique. Et dans une deuxième partie, je vous parlerai plus des médias qu'il possède. Et enfin, à la fin, on parlera de ses idées et de comment il a essayé d'influencer (il essaye toujours d'influencer) la politique française. Euh, n'hésitez pas à commenter. Je vous le dis maintenant, je sais pas trop à quel rythme parler. Vous m'avez parfois dit que je parlais beaucoup trop lentement et puis parfois le contraire. Je sais pas, je fais des efforts, mais n'hésitez pas à continuer à commenter. Ça peut m'aider à améliorer pour les prochaine fois. Voilà. Eh bien c'est parti ? On commence !
[00:06:05] Vincent Bolloré est riche, très riche. Il fait partie des quinze premières fortunes de France. Sa famille possède, comme je vous le disais, une multinationale qui s'appelle tout simplement le groupe Bolloré. Pour Vincent Bolloré, pour sa famille et pour son entreprise, l'année 2022 était d'ailleurs une année importante. Et ce pour trois raisons. Alors, la première raison, c'est que Vincent Bolloré vient de fêter ses 70 ans. La deuxième raison, c'est que le groupe Bolloré a fêté cette année ses 200 ans. Et enfin, pourquoi cette année est importante ? Parce que, à cette double occasion pour ce double anniversaire, Vincent Bolloré a pris officiellement sa retraite. Depuis quelques mois, ce sont ses fils qui ont repris la direction du groupe. L'un est PDG. Alors PDG c'est « Président directeur général ». C'est comme le CEO en anglais. Et l'autre de ses fils est Vice-président. Mais attention, j'ai dit qu'il a pris officiellement sa retraite parce que, en réalité, même si ses fils ont les postes de direction, c'est bien Vincent Bolloré qui continue à être aux commandes puisqu'il est toujours l'actionnaire principal du groupe. L'actionnaire principal d'une société, c'est celui qui, en gros, met le plus d'argent et donc qui a souvent le plus grand pouvoir de décision. D'ailleurs, souvent, l'actionnaire a un vote plus… Enfin, plus on a d'actions dans une entreprise, plus on a un pouvoir de vote au conseil d'administration. Bon, c'est schématique ce que je dis, mais en gros, Vincent Bolloré, c'est toujours lui le big boss de l'entreprise, c'est lui qui est au sommet de la pyramide financière, c'est le patriarche. Et puis, a priori, dans la famille, personne ne s'oppose à son pouvoir. Et c'est plutôt logique, parce que, concrètement, si la famille est aussi riche aujourd'hui, eh bien c'est grâce à lui. Pour comprendre le rôle qu'il a joué dans l'enrichissement de sa famille, il faut revenir dans le passé.
[00:08:38] Il y a 200 ans, en 1822, un homme appelé Nicolas le Marié a fondé la papeterie Odet. C'est une petite usine de papier donc, construite dans un coin désert, dans une ville qui s'appelle Eugué… Ergué-Gabéric en Bretagne. Oui, Ergué-Gabéric, c'est bien ça. Donc la famille Bolloré est bretonne et d'ailleurs elle est toujours très attachée à ses racines bretonnes. Donc plus tard, cette usine, donc papeterie Odet, sera dirigée par René-Guillaume Bolloré. C'est le petit neveu de Nicolas le marié. Et à partir de ce moment-là, la société va grandir et elle va passer entre les mains de plusieurs générations de Bolloré. Parfois, c'est de père en fils, de frère en frère, mais toujours d'un homme Bolloré à un autre homme, Bolloré. C'est pour ça que depuis presque 200 ans, la direction est toujours entre les mains d'une personne qui s'appelle Monsieur Bolloré.
[00:09:53] Alors, dans la première moitié du XXᵉ siècle, donc autour de la Première Guerre mondiale, la papeterie devient une entreprise familiale industrielle de taille moyenne. Elle s'agrandit et elle se spécialise dans la production de papier fin. Le papier fin, c'est le type de papier qui est utilisé par exemple pour les sachets de thé ou encore pour les feuilles de papier à rouler des cigarettes. D'ailleurs, peut-être que vous avez déjà vu cette marque qui s'appelle « OCB ». C'est une marque de, bah, de feuilles à rouler des cigarettes. Eh bien, le B de OCB, c'est pour Bolloré, ça a été lancé par cette famille. Depuis, la marque a été revendue à une autre multinationale, mais pendant longtemps, les feuilles de papier OCB, c'était le produit phare du groupe.
[00:10:54] Dans les années 70, quand le père de Vincent Bolloré est aux commandes, l'entreprise bat de l'aile. « Battre de l'aile« , ça, c'est une bonne expression. Ça veut dire ne pas aller très bien, ne plus fonctionner correctement. C'est une métaphore en fait, ça fait référence à un oiseau qui n'aurait plus qu'une seule aile pour avancer. C'est une expression qu'on peut utiliser dans plusieurs contextes. Par exemple, c'est beaucoup utilisé pour des couples. Un couple qui bat de l'aile, c'est un couple qui ne fonctionne plus très bien, qui aurait besoin d'une petite thérapie de couple. Bref. Donc j'étais dans les années 70 avec Michel. Michel, le père de Vincent, il est ruiné et il perd presque l'entreprise. C'est là que Vincent Bolloré intervient.
[00:11:47] En 1981, il prend la direction de la boîte avec son frère Michel-Yves. Michel-Yves, il est ingénieur, donc lui, il s'occupera de la partie industrielle. Vincent, lui, il va s'occuper de redresser les finances de la société. À ce moment-là, même s'il est encore jeune, il a de l'expérience dans le domaine bancaire et financier. Il est diplômé en droit des affaires et il utilise donc ses connaissances en finance pour sauver l'entreprise. Et… Eh ben, je vous le donne en mille : ça fonctionne ! En 1987, à 35 ans, Vincent Bolloré reçoit le prix du Manager de l'année par Le Nouvel Economiste et il sera surnommé « le Petit Prince du cashflow.» Bon, j'avoue que je ne sais pas très bien expliquer ce que c'est « cashflow », mais en gros il était très doué pour faire fructifier l'argent. Je suis en train de me dire que si j'avais fait un podcast en conversation avec Hugo, peut-être qu'il aurait bien su expliqué « cashflow », je lui demanderai dès qu'il rentre de vacances. Bon alors, comment est-ce que Vincent Bolloré a fait pour redresser les finances de l'entreprise ? Il a mis en place deux stratégies.
[00:13:15] La première stratégie, c'est de miser sur la production de produits de niche. Un produit de niche, c'est un produit qui correspond à un petit segment de marché très ciblé. En choisissant ce type de produits, l'entreprise prend un positionnement unique et elle devient essentielle à d'autres entreprises. Par exemple, au lieu de produire des sachets de thé ou du papier à rouler des cigarettes, ce qui est beaucoup trop commun, les deux frères se mettent à produire du papier ultrafin. En gros, c'est un papier très, très spécifique qui est utilisé dans l'industrie. Comme ça, ils deviennent un fournisseur essentiel et expérimenté pour d'autres entreprises. Les autres entreprises, au lieu de vouloir racheter le groupe Bolloré, elles préfèrent travailler avec eux.
[00:14:15] Et puis, il y a une deuxième stratégie qui est payante pour Vincent Bolloré. Cette deuxième stratégie, c'est de diversifier les activités du groupe et de le transformer en ce qu'on appelle un conglomérat. Un conglomérat, c'est un assemblage de plusieurs éléments qui, a priori, ne vont pas ensemble. Ce mot peut être utilisé pour désigner plein de choses différentes, pas seulement pour les entreprises. À la base, c'est même en termes de géologie, donc de l'étude des pierres. Ça désigne un genre de pierres composées de plein de petites hautes pierres qui ne vont pas ensemble. Bref, vous avez compris. Donc le groupe devient un conglomérat puisque, au lieu de se concentrer seulement sur la production de papier, ils vont aussi se lancer dans les transports, la logistique ou la distribution d'énergie. Et plus récemment, c'est notre sujet, dans les médias. Un des avantages de ce type d'organisation est que si un des secteurs est en crise, les autres activités peuvent compenser les pertes.
[00:15:32] Aujourd'hui, le groupe Bolloré est composé d'au moins 5 filiales, qui elles-mêmes sont découpées en plusieurs filiales et ainsi de suite. Une filiale, c'est une entreprise qui est contrôlée par une autre et l'autre, on l'appelle la société-mère. C'est un peu comme un arbre généalogique, mais d'une entreprise. Le contrôle se fait à travers des actions et ça fait finalement un genre de millefeuille financier, dans lequel il est parfois compliqué de se retrouver. Un millefeuille, vous savez, c'est une pâtisserie faite avec plein de couches de pâte feuilletée. En France, on utilise souvent ce mot comme métaphore pour une organisation complexe. On parle parfois de millefeuille administratif ou de millefeuille territorial. Par exemple, quand François Hollande, il me semble, a fait une réforme des régions, c'était l'objectif, c'était de simplifier ce qu'on appelait le « millefeuille territorial ».