#112 - Le lycée français 2.0 (2)
Ingrid: [00:13:20] Ouais et au collège, c'était vingt-cinq, peut-être quelque chose comme ça. Je pense que ça a dû changer parce que plus les années passent, plus il y a d'élèves dans les classes, moins il y a de profs. Mais ouais… Toi, ça t'avait… ça t'avait fait un choc, il y avait une grosse différence quand tu es entré en seconde ?
Hugo: [00:13:37] Ouais, moi je sais que j'appréhendais un peu parce que j'étais dans… Donc au collège j'étais plutôt dans un collège de banlieue et après, au lycée, je suis allé au lycée du centre ville, un lycée assez bourgeois. Je connaissais pas grand monde qui allait dans ce lycée. J'allais pas retrouver de camarades de collège. Donc je sais que j'appréhendais, j'avais un peu peur. Et pour moi, le lycée, c'était le… c'était le symbole de la liberté absolue parce que contrairement au collège, on pouvait sortir quand on n'avait pas d'heures de cours, on pouvait sortir entre deux cours alors que, au collège, c'était impossible. Au collège, si on avait une heure de pause entre deux cours, on devait rester dans le collège. On n'avait pas le droit de sortir alors qu'au lycée, on pouvait sortir, aller boire un café à côté. Donc ça, pour moi, c'était vraiment devenir adulte. Et puis il y avait d'autres différences. Je ne sais pas si toi, dans ton lycée, il y avait une salle fumeur, mais moi il y en avait une. Donc je crois que maintenant, c'est interdit, il me semble.
Ingrid: [00:14:42] Euh ouais, maintenant c'est interdit. Moi, en fait, on fumait dans la cour du lycée (donc la cour, la partie extérieure, mais qui était dans l'enceinte du lycée) mais seulement jusqu'à ma seconde. À partir de la première, il y a la loi Evin (donc la loi Evin, c'est la grande loi pour limiter le tabac) qui est passée en France. Et à ce moment-là, c'était plus autorisé dans les lycées. Mais je pense que t'as un an ou deux ans de plus que moi, donc ça a dû…
Hugo: [00:15:13] Ouais. Moi, je ne sais pas si j'ai connu la fin de la salle fumeur au lycée. Mais j'en ai vraiment un souvenir impérissable. C'était une espèce d'aquarium, en fait.
Ingrid: [00:15:23] Ouais, ça devait être horrible ! Des lycéens qui fument toute la journée…
Hugo: [00:15:27] Mais c'était vraiment the place to be, donc c'était l'endroit cool. Il fallait être dans cet aquarium et fumer des cigarettes.
Ingrid: [00:15:35] Même si tu fumes pas, c'était le tabagisme passif.
Hugo: [00:15:38] Exactement, exactement. Mais pourtant, c'était une salle, en plus, qui permettait de passer d'un autre côté du lycée, en fait. Ce n'était pas juste une salle fumeur. Donc parfois, on passait à travers cette salle juste pour aller, voilà, dans une autre aile du lycée et instantanément, on était sûr de sentir la cigarette pour le restant de la journée.
Ingrid: [00:16:02] Les bons ados français !
Hugo: [00:16:03] Les bons ados français. Mais la cigarette, c'est vraiment quelque chose qui faisait partie de l'identité lycéenne française. Peut-être que c'est un peu moins vrai maintenant, je sais pas.
Ingrid: [00:16:12] Je sais pas. Je sais pas, mais le prix du paquet a doublé donc bon ça, c'est autre chose, un autre thème. Mais euh… nous, à l'époque, c'était vachement plus accessible. Je ne sais pas comment ça se passe maintenant.
Hugo: [00:16:23] C'est vrai, c'est vrai que c'est très cher maintenant. J'espère qu'on ne sonne pas comme des vieux dinosaures, mais voilà. Donc maintenant il est interdit de fumer dans les lycées. Il y a un autre truc qui a été interdit, c'est les distributeurs de snacks et de boissons. Moi, je me souviens qu'il y avait un distributeur dans mon lycée. Et ça aussi, c'était le truc très cool, d'aller s'acheter du Coca ou alors un Kinder entre deux cours. Et ça a été interdit, en fait, à la fin de ma seconde. Donc peut-être que toi tu n'as pas connu le distributeur au lycée.
Ingrid: [00:16:55] Ah non, pas du tout. Ça, me… Ça me dit rien. Non, nous, on devait…
Hugo: [00:16:59] C'était interdit.
Ingrid: [00:17:00] On sortait du lycée, on allait au grec à côté. C'était la seule… Fumer des clopes et manger des grecs !
Hugo: [00:17:09] Ouais. Ça c'est un bon résumé de la scolarité des lycéens français.
Ingrid: [00:17:14] Mais une autre chose qui change peut-être un peu plus, liée à la scolarité, c'est que, au lycée, à partir de… donc en seconde, c'est encore un peu similaire au collège, mais à partir de la première, donc l'année suivante, ça commence à changer vraiment beaucoup puisqu'on est divisés en filières. Enfin, on était parce que maintenant, c'est plus pareil. Mais si on prend nos années à nous et le système qui a duré jusqu'à 2020, jusqu'au moment du Covid : au collège, on avait tous les mêmes cours, à part quelques options. En seconde, on avait encore tous les mêmes cours, mais on commençait à faire notre choix pour l'année suivante. Et la première et la terminale qui sont les deux années du bac (puisqu'on passe des épreuves sur deux années), on était divisés à l'époque en plusieurs filières : donc scientifique, économique et sociale et littéraire. Plus en techno, il y avait sciences sciences, comment..? Sciences et technologie de la gestion, et sciences de l'ingénieur. Voilà des choses comme ça. Mais donc en… Disons la grande majorité, 50 % des lycéens, enfin des jeunes de cet âge, était divisés entre scientifique, économique et social et littéraire. Toi Hugo, tu étais en ?
Hugo: [00:18:40] Alors tu peux deviner peut-être ?
Ingrid: [00:18:41] Économique et sociale.
Hugo: [00:18:42] Exactement, économique et sociale !
Ingrid: [00:18:45] Et moi ? Tu peux deviner ?
Hugo: [00:18:47] Toi, je dirais soit économique et sociale, donc ES, soit littéraire. J'aurais tendance à dire littéraire.
Ingrid: [00:18:53] Ouais, j'étais en littéraire.
Hugo: [00:18:55] Ouais, donc, vous l'avez deviné, la filière scientifique, c'était principalement des maths, de la physique et de la biologie, des matières scientifiques. En économique et sociale, on avait majoritairement de l'histoire-géographie et des sciences humaines et économiques. Et en littéraire, vous aviez plutôt…
Ingrid: [00:19:15] C'était d'abord la philosophie, en terminale, c'était le plus important. Et on avait la littérature qu'aucun autre n'avait, il me semble.
Hugo: [00:19:25] Et les langues étrangères aussi, non ?
Ingrid: [00:19:27] Beaucoup de langues étrangères. Et aussi l'histoire-géo qui avait un coefficient important. Coefficient, c'est ce qui indique l'importance de chaque matière au bac et en général aussi le nombre d'heures qu'on va avoir. Donc, nous, en littéraire le plus important, le coefficient le plus important et le plus d'heures qu'on avait, c'était la philosophie. Mais il y avait aussi une grande importance pour les matières que j'ai citées avant. Et moi, je m'étais, pardon, mais juste moi je m'étais battue pour, ce que tu me disais, soit je m'étais battue pour aller en L parce que je voulais vraiment faire ça, mais que j'avais des assez bonnes notes pour aller en S et que S, bah c'est un peu la voie royale qu'on me disait. Et donc voilà, j'avais un peu saboté mes résultats en physique chimie pour que la prof de physique chimie m'aide à aller en L parce que vraiment je trouvais que ça avait l'air trop intéressant.
Hugo: [00:20:23] C'est vrai parce qu'en fait, l'objectif de ces filières au départ, c'était d'aider les élèves à commencer à se spécialiser avant leurs études supérieures. Mais ce qui s'est passé dans la réalité, c'est qu'il y a eu une sorte de hiérarchie implicite des filières. On considérait que la meilleure filière, c'était la filière S, ensuite la filière ES et la filière L, que c'était plutôt pour les lycéens qui réussissaient moins bien que les autres. Alors qu'en fait beaucoup de lycéens choisissaient la filière L par affinité, comme c'était l'objectif au départ. Mais voilà, progressivement, au fil des années, il y avait cette hiérarchie qui s'était mise en place. Et c'est ça qui a motivé aussi la réforme du lycée.
Ingrid: [00:21:11] Ouais, donc, la réforme Blanquer. Blanquer, du nom du ministre de l'Education de l'époque qui vient juste de partir.
Hugo: [00:21:23] Exactement, exactement. Donc c'est un ministre qui était plutôt populaire au départ mais qui a rapidement perdu en popularité. Et le symbole de ça, c'est qu'il s'est présenté là, aux élections législatives pour être élu député, et il a perdu dès le premier tour, il a été éliminé dès le premier tour. C'est la première fois qu'il se présentait à une élection parce que quand il a été nommé ministre, il a été nommé par le Premier ministre, mais il n'y a pas besoin de gagner une élection pour devenir ministre. Là, c'était sa première élection et il a été éliminé immédiatement, ce qui montre qu'il était finalement assez impopulaire. Et ça, c'était en grande partie à cause de sa gestion de la crise sanitaire. Beaucoup de profs, de parents d'élèves et de directeurs d'établissements scolaires se sont plaints de Jean-Michel Blanquer et… en disant qu'il avait très très mal géré l'organisation des cours et des examens pendant la crise du Covid, qu'il n'avait pas beaucoup de respect pour les profs etc. Donc voilà, il est devenu assez impopulaire. Mais c'est quand même lui qui a poussé cette réforme qu'on attendait depuis très longtemps. Alors peut-être qu'Ingrid tu peux nous expliquer un peu pourquoi on a fait cette réforme.
Ingrid: [00:22:41] Alors, l'objectif de la réforme c'était de… bon, comme tu le disais déjà, d'éviter qu'il y ait des filières qui soient beaucoup plus considérées (comme la filière scientifique) et d'autres au contraire qui soient un peu, comme on dit, « des voies de garage », c'est-à-dire que c'est un chemin qui ne mène à rien. Et c'était aussi l'objectif de mieux préparer les lycéens à… aux études supérieures et au monde du travail, en les spécialisant beaucoup plus rapidement sur des matières qui étaient des matières que eux allaient choisir. Donc c'était un objectif qui répondait à des inquiétudes sur le fait que le baccalauréat perdait de la valeur. On a beaucoup dit que plus le temps passe, plus les années passent et plus le bac est facile à voir, qu'il est même donné, donc offert gratuitement aux lycéens sans qu'ils aient besoin de travailler et qu'ensuite ça ne leur permet pas de réussir spécialement leurs études ou quoi. La preuve en est que quand en première année de licence, donc la première année d'études, 60 % seulement des étudiants vont jusqu'au bout et réussissent leurs examens pour continuer en deuxième année. Donc voilà, c'était l'objectif. Mais ensuite, déjà, quelle est cette réforme ? Peut-être avant de dire tout ce qui… J'ai du mal à dire les objectifs parce que j'ai déjà en tête le fait que ça n'a pas du tout fonctionné et que c'est très critiqué ! Mais petit à petit, on va y arriver. Peut-être qu'on peut d'abord expliquer en quoi ça consiste.
Hugo: [00:24:29] Alors, la réforme Blanquer, donc ça concerne à la fois la scolarité au lycée et l'examen final, le baccalauréat. Donc, concernant la scolarité au lycée, les filières ont disparu. Maintenant, il n'y a plus la filière scientifique, économique et sociale, et littéraire. Mais à la place, il y a ce qu'on appelle « un tronc commun.» Le tronc, c'est… Ça s'écrit T R O N C, c'est comme avec un arbre. Un arbre, la partie principale de l'arbre, c'est le tronc. Donc il y a un tronc qui ensuite se divise en branches. Là, c'est pareil au lycée maintenant, il y a un tronc commun, c'est-à-dire des matières que tous les lycéens doivent étudier. Ces matières, c'est le français, l'histoire-géographie, l'enseignement moral et civique, une langue vivante 1 et une langue vivante 2, l'éducation physique et sportive (le sport), les humanités numériques et scientifiques (alors ça, ça n'existait pas à mon époque, je ne sais pas exactement ce que c'est)
Ingrid: [00:25:32] Moi non plus !
Hugo: [00:25:32] Et pour finir, la matière reine, la philosophie. Donc ça, c'est le tronc commun, les matières que tous les lycéens doivent étudier. Mais ensuite, en première, ils doivent choisir trois spécialités parmi cette liste donc : écologie, agronomie et territoire, histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques (ça, c'est une spécialité), humanités, littérature et philosophie (ça aussi, c'est une autre spécialité), arts, mathématiques, numérique et sciences informatiques, langues et littératures étrangères, etc., etc. Je ne vais pas toutes les faire parce qu'il y en a pas mal. Donc en première, les élèves choisissent trois spécialités. Comme ça, ils doivent commencer à s'orienter. Ils doivent commencer à se demander ce qu'ils vont vouloir étudier plus tard, après le lycée. Ils doivent commencer à faire des choix et voir un peu quelles matières leur plaisent le plus. Donc, ils choisissent trois spécialités en première et en terminale, ils en gardent seulement deux. Et ces deux spécialités, ils vont devoir ensuite les passer au bac. On va en reparler un peu plus tard. Ça, c'est la nouvelle organisation. Il n'y a plus ces trois filières, mais à la place, il y a un menu avec des spécialités à la carte à choisir.