Chapitre 2, Premiers pas dans le «Monde»
Georges Duroy est heureux : il a envie de courir, de rêver, de penser à l'avenir qui s'ouvre à lui. Cependant, la série d'articles que lui demande Walter le pousse à rentrer chez lui. Il habite sur le boulevard Boursault, dans un petit immeuble de six étages, peuplé par des ouvriers et des petits bourgeois. Ce soir-là, il le trouve sale et n'a plus qu'une seule envie : fuir d'ici et se loger comme un homme riche. Arrivé dans sa chambre, il s'installe à sa fenêtre : elle donne sur la gare des Batignolles. Il veut commencer à écrire, mais se rend compte qu'il n'a qu'un cahier de papier à lettres. Tant pis, il écrit : « Souvenirs d'un Chasseur d'Afrique ».
Mais, la suite ne vient pas : ses yeux restent fixés sur la feuille blanche. Il voudrait commencer par le début, son arrivée en Algérie, mais les phrases sonnent mal. Puis, il décide de décrire Alger, en vain. Il fait alors le tour de sa chambre : ses vêtements de tous les jours, usés, sont jetés sur le lit, les murs sont recouverts de papier à fleurs et pleins de tâches. Cette odeur de misère lui redonne de la force pour se remettre au travail et en finir avec cette vie. Il cherche ses mots, mais, il se sent épuisé et incapable : c'est fini, il n'y arrivera pas ce soir.
Il se met à penser à ses parents : ils vivent en Normandie, près de Rouen. Son père et sa mère tiennent une guinguette : À la Belle-Vue. Ils ont voulu que leur fils devienne un monsieur : il a donc été au collège, mais après avoir raté le baccalauréat, il est parti pour le service avec l'intention de devenir officier, colonel, général. L'état militaire ne lui a pas plu et il a tout quitté pour tenter de faire fortune à Paris. Durant son service, il a su se montrer malin et ses camarades disaient de lui : « C'est un débrouillard, il saura se tirer d'affaire. » Et en effet, ce qui primait chez lui, c'était son désir d'arriver.
Le lendemain matin, il se réveille de bonne heure et se met aussitôt à son bureau. Rien ne vient encore, mais il ne veut pas se décourager : « C'est que je n'ai pas l'habitude. C'est un métier à apprendre. Je vais demander à Forestier de m'aider. »
Il se rend chez les Forestier, mais il croise son ami sortant de la maison qui lui demande :
— Te voilà ? Si tôt ? Que voulais-tu ?
— C'est que… Je n'arrive pas à écrire l'article que m'a demandé Walter. Ce n'est pas étonnant, étant donné que je n'ai jamais écrit… Il faut de la pratique. J'ai des idées, mais je ne parviens pas à les exprimer. Donc, je voulais te demander un coup de main. Tu pourrais me donner une leçon de style…
— Ce matin, je n'ai pas le temps. Tu trouveras ma femme : elle pourra t'aider aussi bien que moi, je lui ai appris.
— Mais, il est tôt, je ne peux pas me présenter devant elle.
— Oui, elle est levée. Tu la trouveras dans mon cabinet de travail. Vas-y ! Tu ne vas pas me forcer à remonter pour lui expliquer la situation ?
— Merci ! Je lui dirai que tu m'as forcé.
— Ne t'inquiète pas ! Et, n'oublie pas de venir à trois heures au journal !
Mme Forestier l'accueille :
— Alors, parlez. Que voulez-vous ? demande-t-elle.
Duroy hésite :
— Voilà… vraiment… J'ai travaillé tard hier soir… pour cet article… Mais, je n'ai pas l'habitude… Je venais demander de l'aide à Forestier.
— Et, il vous a dit de venir me trouver… C'est gentil, ça.
— Oui, Madame. Moi, je n'osais pas…
— Oh, ça va être charmant de collaborer. Je suis ravie. Asseyez-vous à ma place, nous allons écrire un bel article. Que voulez-vous raconter ?
— Mais, je ne sais pas… Je voulais raconter mon voyage depuis le commencement.
— Alors, racontez-le à moi et je choisirai que garder.
Elle lui pose des questions et il répond. Puis, elle l'interrompt :
— Supposons que vous adressez vos impressions à un ami.
Mme Forestier dicte alors tout un récit. Cette idée lui plaît beaucoup. Elle conclut l'article par la formule « La suite à demain ».
— Maintenant, signez !
Après une hésitation, Duroy appose sa signature sur son premier feuillet. Il ne parle plus. C'est elle qui rompt le silence :
— Que pensez-vous de mon amie Mme de Marelle ?
— Je la trouve… très séduisante.
— N'est-ce pas ? Si vous saviez comme elle est drôle ! C'est une bohème !
C'est pour cela que son mari ne l'aime guère.
— Tiens, elle est mariée ? Que fait son mari ?
— Oh, il est inspecteur de la ligne du Nord. Il n'est à Paris que huit jours par mois. Allez donc la voir un de ces jours.
Duroy aurait voulu rester encore, mais la porte s'ouvre et un homme entre, c'est le comte de Vaudrec.
Duroy quitte l'appartement.
À trois heures, il a rendez-vous à La Vie Française. Il retrouve Forestier qui le fait entrer dans le bureau du patron. Duroy lui présente son article, puis Forestier rappelle à M. Walter sa promesse d'embaucher Duroy.
Le lendemain, Duroy est excité de voir son premier article publié. Il se réveille très tôt pour acheter son exemplaire de La Vie Française. Quelle joie d'y lire son nom ! Il va ensuite à son ancien travail pour donner sa démission et toucher son salaire.
Plus tard, au journal, Forestier lui demande la suite de ses aventures en Afrique :
— J'avais cru avoir le temps…
— Tu dois être plus précis. Si tu crois que tu vas être payé à ne rien faire, tu te trompes. Je vais dire à Walter que ce sera pour demain. On doit battre le fer quand il est chaud ! Maintenant, tu vas suivre Saint-Potin et aller avec lui découvrir les secrets du métier. C'est un excellent reporter !
Une fois dans la rue, les deux hommes s'arrêtent pour boire un verre. Saint-Potin fait la critique du patron et de sa femme, de Norbert de Varenne et de Rival. Quand arrive le tour de Forestier, il dit :
— Celui-là, il a de la chance d'avoir la femme qu'il a, c'est tout.
— Ah ? Qu'est-ce qu'elle a sa femme ? demande Duroy intéressé.
— Oh ! C'est la maîtresse d'un vieux nommé Vaudrec. Il l'a dotée et mariée.
Apprenant cela, Duroy se sent mal et interrompt le bavard :
— Il me semble que nous avons des choses à faire.
Duroy doit écrire son article. Devant sa feuille blanche et sans idée, il décide de retrouver Mme Forestier.
Le lendemain matin, il ne s'attend pas à trouver M. Forestier dans le cabinet de travail. Madeleine aussi est là. Duroy expose le motif de sa venue et Forestier se met en colère :
— Tu te fiches du monde ! Tu t'imagines que je vais faire ton travail et que tu vas passer à la caisse à la fin du mois ? Elle est bonne, celle-là !
— Je vous demande pardon mille fois. Merci encore Madame, pour votre aide hier. Je serai au bureau à trois heures.
Il rentre chez lui et se met à écrire la suite de son aventure. Son style est mauvais et d'ailleurs, le lendemain matin, sa chronique n'est pas publiée dans le journal. Duroy est furieux. Au bureau, on lui dit que le papier est à refaire. Trois fois, il essaie. Mais, il comprend qu'il a besoin de l'aide de Forestier. En attendant, il fait son métier de reporter : il va rencontrer les députés, les ministres, les concierges, les agents de police, les ambassadeurs… tous ceux qui font la vie politique d'un pays. Duroy devient donc rapidement un remarquable reporter, une vraie valeur pour le journal. Mais, comme il dépense tout son argent dans les cafés et les restaurants, il est toujours pauvre.