Chapitre 2
Tous les jours, mon ami m'apprend quelque chose.
Grâce à mon mouton, le petit prince demande :
– C'est bien vrai que les moutons mangent les arbustes ?
– Oui. C'est vrai.
– Ah ! Je suis content ! Ils mangent aussi les baobabs alors.
– Mais, les baobabs ne sont pas des arbustes. Ce sont des arbres gigantesques.
– Mais avant de grandir, ils sont petits.
– C'est exact. Pourquoi veux-tu que les moutons mangent les petits baobabs ?
Mon ami m'explique que comme partout ailleurs, des mauvaises herbes poussent sur sa planète. Et chez lui, ces mauvaises herbes sont des baobabs. Le sol de sa planète en est infesté. Et si l'on s'y prend trop tard, on ne peut plus s'en débarrasser. Le baobab est un arbre puissant capable de faire exploser les planètes trop petites. Pour le petit prince, c'est sa discipline. Tous les matins, après sa toilette, il nettoie sa planète. Il arrache les baobabs.
Un jour, le petit prince me demande :
– Si les moutons mangent des arbustes, ils mangent aussi des fleurs ?
– Un mouton mange tout ce qu'il rencontre.
– Même les fleurs avec des épines ?
– Oui.
– Alors, elles servent à quoi les épines ?
À ce moment-là, je suis énervé parce que ma réparation n'avance pas et que l'eau s'épuise. Je suis inquiet et je réponds n'importe quoi :
– Les épines, ça ne sert à rien ! C'est de la méchanceté de la part des fleurs.
– Je ne crois pas. Les fleurs sont faibles et naïves.
– Je m'occupe de choses sérieuses moi !
– Quoi ? Des choses sérieuses ? Tu parles comme les grandes personnes !
J'ai honte. Il continue à parler :
– Tu confonds tout ! Je connais une planète où il y a un monsieur qui n'a jamais respiré une fleur, il n'a jamais regardé une étoile, il n'a jamais aimé personne. Il n'a fait que des additions toute sa vie et il répète sans cesse : « Je suis un homme sérieux, moi. » Mais, ce n'est pas un homme, c'est un champignon !
Le petit prince est très en colère.
– Il y a des millions d'années que les fleurs fabriquent des épines. Il y a des millions d'années que les moutons mangent quand même les fleurs. Et ce n'est pas sérieux de chercher à comprendre pourquoi les fleurs ont des épines qui ne servent à rien ? Ce n'est pas plus sérieux et plus important que les additions ? Et si moi je connais une fleur unique au monde, qui n'existe nulle part sauf dans ma planète, et qu'un petit mouton peut la tuer d'un coup, comme ça, ce n'est pas important ? Si quelqu'un aime une fleur qui n'existe qu'à un exemplaire dans les millions et millions d'étoiles, ça suffit pour qu'il soit heureux quand il les regarde. Mais, si le mouton mange la fleur, c'est pour lui, comme si brusquement toutes les étoiles s'éteignaient ! Et ce n'est pas important ?
Le petit prince ne peut plus parler, il pleure. Plus rien n'a alors d'importance, je dois consoler le petit prince. Je dis :
– La fleur que tu aimes n'est pas en danger. Je vais dessiner une muselière à ton mouton.
Le petit prince me raconte son histoire et j'apprends à connaître cette fleur. Il y a d'autres fleurs sur la planète du petit prince : elles sont simples, apparaissent le matin et disparaissent le soir. Mais, un jour, une graine particulière germe. Le petit prince la remarque. La brindille qui pousse ne ressemble pas aux autres brindilles. Le petit prince a peur de voir pousser un baobab, mais en réalité c'est une fleur. Mais, elle prend tout son temps : elle veut être parfaite au moment où elle se montrera. Elle est coquette ! Enfin, un matin, elle se montre et elle dit :
– Ah, je me réveille à peine. Je m'excuse, je suis toute décoiffée.
– Que vous êtes belle, répond le petit prince, plein d'admiration.
– N'est-ce pas…
Cette fleur n'est pas modeste, mais le petit prince la trouve émouvante.
– Je crois que c'est l'heure du petit déjeuner. Pouvez-vous penser à moi ? demande la fleur.
Et le petit prince part chercher de l'eau. Un autre jour, elle dit :
– J'ai horreur des courants d'air. Le soir, vous me mettrez sous globe. Il fait très froid chez vous.
Cette fleur est vaniteuse, mais le petit prince prend au sérieux des mots sans importance et devient très malheureux.
– Je n'aurais pas dû écouter cette fleur. Les fleurs, il faut les respirer et les regarder, mais il ne faut jamais les écouter. Je n'ai rien compris. J'aurais dû la juger sur ses actes et non sur les mots. Je n'aurais jamais dû m'enfuir. Mais, j'étais trop jeune pour savoir l'aimer.
Le petit prince profite d'une migration d'oiseaux sauvages pour partir. Il range sa planète et il ramone ses volcans. En effet, sur sa planète il y a trois volcans. Deux sont en activité : c'est pratique pour faire chauffer son petit déjeuner et un est éteint, mais il pense « On ne sait jamais. » Le petit prince arrache aussi quelques pousses de baobabs. En allant arroser sa fleur, il a envie de pleurer et il dit :
– Adieux.
Mais, la fleur tousse :
– Je te demande pardon. Je t'aime et je n'ai rien dit. Nous avons été sots tous les deux. Tâche d'être heureux.
Le petit prince veut lui mettre son globe, mais elle dit :
– Je ne suis pas si enrhumé que ça.
– Et les bêtes ?
– Je peux bien supporter deux ou trois chenilles. Elles me tiendront compagnie. Et pour les grosses bêtes, j'ai mes griffes.
Et elle montre ces quatre épines.