Chapitre 3
Le petit prince se trouve dans la région des astéroïdes 325, 326, 327, 328, 329 et 330. Il veut donc les visiter pour s'instruire.
Le premier est habité par un roi. Il est habillé de pourpre et d'hermine et siège sur un trône très simple et majestueux.
En voyant le petit prince, il dit :
– Ah, voilà un sujet !
Le roi est content d'avoir enfin un sujet. Mais, le petit prince ne sait pas que pour un roi, tous les hommes sont des sujets.
– Approche-toi.
Le petit prince veut s'asseoir, mais la planète est recouverte par le manteau du roi. Alors, le petit prince se tient debout devant le roi. Comme il est fatigué, il baille. Mais, le roi dit :
– Il est interdit de bailler devant le roi !
– Je ne peux pas m'en empêcher. J'ai beaucoup voyagé, je suis fatigué.
– Alors, je t'ordonne de bailler.
Le roi ne peut supporter la désobéissance. C'est un monarque absolu.
– Est-ce que je peux m'asseoir ?
– Je t'ordonne de t'asseoir !
Le petit prince est étonné. La planète du roi est très petite. Sur quoi peut-il régner ?
– Sire, je vous demande pardon de vous interroger…
– Je t'ordonne de m'interroger.
– Sire, sur quoi régnez-vous ?
– Sur tout ! Ma planète et les étoiles.
– Et les étoiles vous obéissent ?
– Bien sûr.
– Sire, pouvez-vous ordonner un coucher de soleil ?
– Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner. L'autorité repose d'abord sur la raison. J'ai le droit d'exiger l'obéissance parce que mes ordres sont raisonnables.
– Et mon coucher de soleil, alors ?
– Tu l'auras en temps voulu. Ce sera ce soir, vers sept heures quarante.
Le petit prince s'ennuie déjà.
– Je n'ai plus rien à faire ici, je m'en vais.
– Non, ne pars pas !
– Donnez-moi l'ordre de partir avant une minute et vous serez obéi.
Le roi ne répond pas. Le petit prince part. Il pense :
« Les grandes personnes sont bien étranges. »
Le petit prince visite une autre planète. Elle est habitée par un businessman. Cet homme est trop occupé pour lever la tête devant le petit prince.
– Bonjour, votre cigarette est éteinte, dit le petit prince.
– Trois et deux font cinq. Cinq et sept douze. Douze et trois quinze. Bonjour. Quinze et sept vingt-deux. Vingt-deux et six vingt-huit. Pas le temps de la rallumer. Vingt-six et cinq trente et un. Ouf ! Ça fait donc cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un.
– Cinq cents millions de quoi ?
– Hein ? Tu es encore là ? Cinq cents millions de … je ne sais plus… j'ai tellement de travail ! Je suis sérieux, moi, je ne m'amuse pas !
– Cinq cents millions de quoi ? répète le petit prince qui ne renonce jamais à une question.
– J'habite ici depuis cinquante-quatre ans et je n'ai été dérangé que trois fois. Je suis sérieux moi, je n'ai pas le temps de flâner. Donc, je disais cinq cent un millions…
– Millions de quoi ?
Le businessman comprend que le petit prince ne le laissera pas et il dit :
– Millions de petites choses que l'on voit dans le ciel.
– Des mouches ?
– Mais non. Des petites choses qui brillent.
– Des abeilles ?
– Non ! Des petites choses dorées qui font rêver les fainéants. Mais, moi, je suis sérieux. Je n'ai pas le temps de rêver.
– Ah ! Des étoiles !
– Oui, des étoiles !
– Et que fais-tu de cinq cents millions d'étoiles ?
– Cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un. Je suis sérieux, moi, je suis précis !
– Et que fais-tu de ces étoiles ?
– Rien. Je les possède.
– Et à quoi te sert-il de posséder les étoiles ?
– Ça me sert à être riche.
– Et à quoi te sert-il d'être riche ?
– À acheter d'autres étoiles.
– Mais que fais-tu des étoiles ?
– Je les gère. Je les compte et les recompte. C'est difficile. Je suis un homme sérieux. J'écris sur un bout de papier le nombre de mes étoiles et j'enferme ce papier dans un tiroir.
– C'est tout ?
Le petit prince ne trouve pas ça sérieux du tout. Mais, le petit prince a sur les choses sérieuses des idées très différentes des idées des grandes personnes.
– Moi, je possède une fleur que j'arrose tous les jours. Je possède trois volcans que je ramone toutes les semaines. C'est utile à ma fleur et à mes volcans que je les possède. Mais, tu n'es pas utile aux étoiles.
Le businessman ne sait que répondre et le petit prince repart en pensant : « Les grandes personnes sont vraiment extraordinaires. »
Le petit prince visite ensuite une vaste planète. Elle est habitée par un vieux monsieur qui écrit d'énormes livres.
– Tiens voilà un explorateur, dit-il en voyant le petit prince. D'où viens-tu ?
– Quel est ce gros livre ? Que faites–vous ?
– Je suis géographe.
– Qu'est-ce qu'un géographe ?
– C'est un savant qui connaît où se trouvent les mers, les fleuves, les villes, les montagnes et les déserts.
– C'est intéressant ça. C'est un véritable métier, dit le petit prince.
Le petit prince regarde autour de lui : il n'a jamais vu une planète si majestueuse. Le petit prince est curieux :
– Elle est bien belle votre planète ! Est-ce qu'il y a des océans ?
– Je ne sais pas, dit le géographe.
– Et des villes et des fleuves et des déserts ?
– Je ne le sais pas non plus.
– Mais, vous êtes géographe !
– Oui, mais je ne suis pas explorateur. Je manque d'explorateurs. Ce n'est pas le géographe qui compte les villes, les fleuves et les montagnes. Le géographe est trop important pour flâner. Il ne quitte jamais son bureau. Mais, il y reçoit les explorateurs. Il les interroge et note leurs souvenirs. Quand les souvenirs semblent intéressants, on exige de l'explorateur qu'il fournisse des preuves. Par exemple, pour une grosse montagne, on demande de grosses pierres. Mais, toi tu viens de loin ?
– Oh, chez moi, ce n'est pas très intéressant. C'est tout petit. Il y a trois volcans : deux volcans en activité et un éteint. J'ai aussi une fleur.
– Nous ne notons pas les fleurs.
– Pourquoi ? C'est le plus joli !
– Parce que les fleurs sont éphémères.
– Qu'est-ce que ça signifie ?
– Les géographies sont des livres sérieux. Il est rare qu'une montagne change de place ou qu'un océan se vide. Nous écrivons les choses éternelles.
– Mais que signifie « éphémère » ?
– Ça signifie « qui est menacé de disparition prochaine ».
– Ma fleur est menacée de disparition prochaine ?
– Bien sûr !
Le petit prince regrette d'avoir laissé sa fleur éphémère toute seule. Il pense : « Elle n'a que quatre épines pour se défendre. »
– Que me conseillez–vous de visiter ?
– La planète Terre, dit le géographe. Elle a bonne réputation.