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Le Grand Meaulnes, Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 12 - Le cahier de devoirs mensue

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 12 - Le cahier de devoirs mensue

Dans la maison pleine de tristes souvenirs, où des femmes, tout le jour, berçaient et consolaient un tout petit enfant malade, le vieux M. de Galais ne tarda pas à s'aliter. Aux premiers grands froids de l'hiver il s'éteignit paisiblement et je ne pus me tenir de verser des larmes au chevet de ce vieil homme charmant, dont la pensée indulgente et la fantaisie alliée à celle de son fils avaient été la cause de toute notre aventure. Il mourut, fort heureusement, dans une incompréhension complète de tout ce qui s'était passé et, d'ailleurs, dans un silence presque absolu. Comme il n'avait plus depuis longtemps ni parents ni amis dans cette région de la France, il m'institua par testament son légataire universel jusqu'au retour de Meaulnes, a qui je devais rendre compte de tout, s'il revenait jamais... Et c'est au Sablonnières désormais que j'habitai. Je n'allais plus à Saint-Benoist que pour y faire la classe, partant le matin de bonne heure, déjeunant à midi d'un repas préparé au Domaine, que je faisais chauffer sur le poêle, et rentrant le soir aussitôt après l'étude. Ainsi je pus garder près de moi l'enfant que les servantes de la ferme soignaient. Surtout j'augmentais mes chances de rencontrer Augustin, s'il rentrait un jour aux Sablonnières. Je ne désespérais pas, d'ailleurs, de découvrir à la longue dans les meubles, dans les tiroirs de la maison, quelque papier, quelque indice qui me permit de connaître l'emploi de son temps, depuis le long silence des années précédentes--et peut-être ainsi de saisir les raisons de sa fuite ou tout au moins de retrouver sa trace... J'avais déjà vainement inspecté je ne sais combien de placards et d'armoires, ouvert, dans les cabinets de débarras, une quantité d'anciens cartons de toutes formes, qui se trouvaient tantôt remplis de liasses de vieilles lettres et de photographies jaunies de la famille de Galais, tantôt bondés de fleurs artificielles, de plumes, d'aigrettes et d'oiseaux démodés. Il s'échappait de ces boîtes je ne sais quelle odeur fanée, quel parfum éteint, qui, soudain, réveillaient en moi pour tout un jour les souvenirs, les regrets, et arrêtaient mes recherches... Un jour de congé, enfin, j'avisai au grenier une vieille petite malle longue et basse, couverte de poils de porc à demi rongés, et que je reconnus pour être la malle d'écolier d'Augustin. Je me reprochai de n'avoir point commencé par là mes recherches. J'en fis sauter facilement la serrure rouillée. La malle était pleine jusqu'au bord des cahiers et des livres de Sainte-Agathe. Arithmétiques, littératures, cahiers de problèmes, que sais-je?... Avec attendrissement plutôt que par curiosité, je me mis à fouiller dans tout cela, relisant les dictées que je savais encore par coeur, tant de fois nous les avions recopiées! "L'Aqueduc" de Rousseau, "Une aventure en Calabre" de P.L. Courier, "Lettre de George Sand à son fils"... Il y avait aussi un "Cahier de Devoirs Mensuels". J'en fus surpris, car ces cahiers restaient au Cours et les élèves ne les emportaient jamais au dehors. C'était un cahier vert tout jauni sur les bords. Le nom de l'élève, Augustin Meaulnes, était écrit sur la couverture en ronde magnifique. Je l'ouvris. A la date des devoirs, avril 1890... Je reconnus que Meaulnes l'avait commencé peu de jours avant de quitter Sainte-Agathe. Les premières pages étaient tenues avec le soin religieux qui était de règle lorsqu'on travaillait sur ce cahier de compositions. Mais il n'y avait pas plus de trois pages écrites, le reste était blanc et voilà pourquoi Meaulnes l'avait emporté.

Tout en réfléchissant, agenouillé par terre, à ces coutumes, à ces règles puériles qui avaient tenu tant de place dans notre adolescence, je faisais tourner sous mon pouce le bord des pages du cahier inachevé. Et c'est ainsi que je découvris de l'écriture sur d'autres feuillets. Après quatre pages laissées en blanc on avait recommencé à écrire. C'était encore l'écriture de Meaulnes, mais rapide, mal formée, à peine lisible; de petits paragraphes de largeurs inégales, séparés par des lignes blanches. Parfois ce n'était qu'une phrase inachevée. Quelquefois une date. Dès la première ligne, je jugeai qu'il pouvait y avoir là des renseignements sur la vie passée de Meaulnes à Paris, des indices sur la piste que je cherchais, et je descendis dans la salle à manger pour parcourir à loisir, à la lumière du jour, l'étrange document. Il faisait un jour d'hiver clair et agité. Tantôt le soleil vif dessinait les croix des carreaux sur les rideaux blancs de la fenêtre, tantôt un vent brusque jetait aux vitres une averse glacée. Et c'est devant cette fenêtre, auprès du feu, que je lus ces lignes qui m'expliquèrent tant de choses et dont voici la copie très exacte...

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 12 - Le cahier de devoirs mensue Le Grand meaulnes - part three - chapter 12 - The monthly homework notebook

Dans la maison pleine de tristes souvenirs, où des femmes, tout le jour, berçaient et consolaient un tout petit enfant malade, le vieux M. de Galais ne tarda pas à s’aliter. In the house full of sad memories, where women, all day long, rocked and comforted a very little sick child, the old M. de Galais was soon in bed. Aux premiers grands froids de l’hiver il s’éteignit paisiblement et je ne pus me tenir de verser des larmes au chevet de ce vieil homme charmant, dont la pensée indulgente et la fantaisie alliée à celle de son fils avaient été la cause de toute notre aventure. At the first cold weather of winter it died out peacefully, and I could not help shedding tears at the bedside of that charming old man, whose indulgent thought and fantasy allied to that of his son had been the cause of all our adventure. Il mourut, fort heureusement, dans une incompréhension complète de tout ce qui s’était passé et, d’ailleurs, dans un silence presque absolu. He died, very happily, in complete incomprehension of all that had happened and, moreover, in an almost absolute silence. Comme il n’avait plus depuis longtemps ni parents ni amis dans cette région de la France, il m’institua par testament son légataire universel jusqu’au retour de Meaulnes, a qui je devais rendre compte de tout, s’il revenait jamais... Et c’est au Sablonnières désormais que j’habitai. As he had not long been friends or relatives in this region of France, he instituted by will his universal legatee until the return of Meaulnes, to whom I had to give an account of everything, if he ever came back. .. And it is at Sablonnières now that I lived. Je n’allais plus à Saint-Benoist que pour y faire la classe, partant le matin de bonne heure, déjeunant à midi d’un repas préparé au Domaine, que je faisais chauffer sur le poêle, et rentrant le soir aussitôt après l’étude. I went to Saint-Benoist no more than to do the class, leaving early in the morning, having lunch at noon for a meal prepared at the estate, which I heated on the stove, and returning in the evening immediately after the meal. study. Ainsi je pus garder près de moi l’enfant que les servantes de la ferme soignaient. Thus I was able to keep near me the child whom the servants of the farm were nursing. Surtout j’augmentais mes chances de rencontrer Augustin, s’il rentrait un jour aux Sablonnières. Above all, I increased my chances of meeting Augustin, if he returned one day to the Sablonnières. Je ne désespérais pas, d’ailleurs, de découvrir à la longue dans les meubles, dans les tiroirs de la maison, quelque papier, quelque indice qui me permit de connaître l’emploi de son temps, depuis le long silence des années précédentes--et peut-être ainsi de saisir les raisons de sa fuite ou tout au moins de retrouver sa trace... J’avais déjà vainement inspecté je ne sais combien de placards et d’armoires, ouvert, dans les cabinets de débarras, une quantité d’anciens cartons de toutes formes, qui se trouvaient tantôt remplis de liasses de vieilles lettres et de photographies jaunies de la famille de Galais, tantôt bondés de fleurs artificielles, de plumes, d’aigrettes et d’oiseaux démodés. I did not despair, moreover, to discover in the furniture, in the drawers of the house, some paper, some clue that allowed me to know the use of his time, since the long silence of previous years- and perhaps to grasp the reasons for his escape or at least to find his trace ... I had already inspected I do not know how many cupboards and cabinets, open, in the closets, a a quantity of old cartoons of all shapes, which were sometimes filled with bundles of old letters and yellowed photographs of the family of Galais, sometimes crowded with artificial flowers, feathers, egrets and old-fashioned birds. Il s’échappait de ces boîtes je ne sais quelle odeur fanée, quel parfum éteint, qui, soudain, réveillaient en moi pour tout un jour les souvenirs, les regrets, et arrêtaient mes recherches... Un jour de congé, enfin, j’avisai au grenier une vieille petite malle longue et basse, couverte de poils de porc à demi rongés, et que je reconnus pour être la malle d’écolier d’Augustin. There escaped from these boxes I do not know what faded odor, what an extinct perfume, which suddenly awakened in me for a whole day the memories, the regrets, and stopped my research ... A day off, finally, I I saw in the attic an old little trunk, long and low, covered with half-gnawed pork-hair, and which I recognized as Augustin's schoolboy's trunk. Je me reprochai de n’avoir point commencé par là mes recherches. I reproached myself for not having begun my research there. J’en fis sauter facilement la serrure rouillée. I made it easy to blow the rusty lock. La malle était pleine jusqu’au bord des cahiers et des livres de Sainte-Agathe. The trunk was full to the edge of the notebooks and books of St. Agatha. Arithmétiques, littératures, cahiers de problèmes, que sais-je?... Arithmetic, literature, problem books, what do I know? ... Avec attendrissement plutôt que par curiosité, je me mis à fouiller dans tout cela, relisant les dictées que je savais encore par coeur, tant de fois nous les avions recopiées! With tenderness rather than curiosity, I began to delve into all this, rereading the dictations that I still knew by heart, so many times we copied them! "L’Aqueduc" de Rousseau, "Une aventure en Calabre" de P.L. "The Aqueduct" of Rousseau, "An adventure in Calabria" of PL Courier, "Lettre de George Sand à son fils"... Il y avait aussi un "Cahier de Devoirs Mensuels". Courier, "Letter from George Sand to his son" ... There was also a "Monthly Homework Book". J’en fus surpris, car ces cahiers restaient au Cours et les élèves ne les emportaient jamais au dehors. I was surprised, because these notebooks remained in the Course and the pupils never took them outside. C’était un cahier vert tout jauni sur les bords. It was a green notebook, yellowed at the edges. Le nom de l’élève, Augustin Meaulnes, était écrit sur la couverture en ronde magnifique. The name of the student, Augustin Meaulnes, was written on the cover in magnificent round. Je l’ouvris. I opened it. A la date des devoirs, avril 1890... Je reconnus que Meaulnes l’avait commencé peu de jours avant de quitter Sainte-Agathe. At the homework date, April 1890 ... I recognized that Meaulnes had started it a few days before leaving St. Agatha. Les premières pages étaient tenues avec le soin religieux qui était de règle lorsqu’on travaillait sur ce cahier de compositions. The first pages were kept with the religious care that was standard when working on this book of compositions. Mais il n’y avait pas plus de trois pages écrites, le reste était blanc et voilà pourquoi Meaulnes l’avait emporté. But there were not more than three written pages, the rest was white and that's why Meaulnes had won.

Tout en réfléchissant, agenouillé par terre, à ces coutumes, à ces règles puériles qui avaient tenu tant de place dans notre adolescence, je faisais tourner sous mon pouce le bord des pages du cahier inachevé. While reflecting, knelt on the ground, to those customs, to those puerile rules which had held so much place in our adolescence, I made turn under my thumb the edge of the pages of the unfinished notebook. Et c’est ainsi que je découvris de l’écriture sur d’autres feuillets. And that's how I discovered writing on other leaflets. Après quatre pages laissées en blanc on avait recommencé à écrire. After four pages left blank we had started writing again. C’était encore l’écriture de Meaulnes, mais rapide, mal formée, à peine lisible; de petits paragraphes de largeurs inégales, séparés par des lignes blanches. It was still Meaulnes's writing, but quick, badly formed, barely readable; small paragraphs of unequal widths, separated by white lines. Parfois ce n’était qu’une phrase inachevée. Sometimes it was just an unfinished sentence. Quelquefois une date. Sometimes a date. Dès la première ligne, je jugeai qu’il pouvait y avoir là des renseignements sur la vie passée de Meaulnes à Paris, des indices sur la piste que je cherchais, et je descendis dans la salle à manger pour parcourir à loisir, à la lumière du jour, l’étrange document. From the first line, I thought there could be information on Meaulnes's past life in Paris, clues on the track I was looking for, and I went down to the dining room to browse at leisure in the light of the day, the strange document. Il faisait un jour d’hiver clair et agité. It was a clear and agitated winter day. Tantôt le soleil vif dessinait les croix des carreaux sur les rideaux blancs de la fenêtre, tantôt un vent brusque jetait aux vitres une averse glacée. Sometimes the bright sun drew the crosses of the tiles on the white curtains of the window, sometimes a sudden wind cast an icy downpour on the windows. Et c’est devant cette fenêtre, auprès du feu, que je lus ces lignes qui m’expliquèrent tant de choses et dont voici la copie très exacte... And it is in front of this window, near the fire, that I read these lines which explained to me so many things and of which here is the very exact copy ...