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Le Grand Meaulnes, Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 13 - ÉPILOGUE

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 13 - ÉPILOGUE

Le temps passa. Je perdais l'espoir de revoir jamais mon compagnon, et de mornes jours s'écoulaient dans l'école paysanne, de tristes jours dans la maison déserte. Frantz ne vint pas au rendez-vous que je lui avais fixé, et d'ailleurs ma tante Moinel ne savait plus depuis longtemps où habitait Valentine. La seule joie des Sablonnières, ce fut bientôt la petite fille qu'on avait pu sauver. A la fin de septembre, elle s'annonçait même comme une solide et jolie petite fille. Elle allait avoir un an. Cramponnée aux barreaux des chaises, elle les poussait toute seule, s'essayant à marcher sans prendre garde aux chutes, et faisait un tintamarre qui réveillait longuement les échos sourds de la demeure abandonnée. Lorsque je la tenais dans mes bras, elle ne souffrait jamais que je lui donne un baiser. Elle avait une façon sauvage et charmante en même temps de frétiller et de me repousser la figure avec sa petite main ouverte, en riant aux éclats. De toute sa gaieté, de toute sa violence enfantine, on eût dit qu'elle allait chasser le chagrin qui pesait sur la maison depuis sa naissance. Je me disais parfois: "Sans doute, malgré cette sauvagerie, sera-t-elle un peu mon enfant". Mais une fois encore la Providence en décida autrement. Un dimanche matin de la fin de septembre, je m'étais levé de fort bonne heure, avant même la paysanne qui avait la garde de la petite fille. Je devais aller pêcher au Cher avec deux hommes de Saint-Benoist et Jasmin Delouche. Souvent ainsi les villageois d'alentour s'entendaient avec moi pour de grandes parties de braconnage: pêches à la main, la nuit, pêches aux éperviers prohibés... Tout le temps de l'été, nous partions les jours de congé, dès l'aube, et nous ne rentrions qu'à midi. C'était le gagne-pain de presque tous ces hommes. Quant à moi, c'était mon seul passe-temps; les seules aventures qui me rappelassent les équipées de jadis. Et j'avais fini par prendre goût à ces randonnées, à ces longues pêches le long de la rivière ou dans les roseaux de l'étang. Ce matin-là, j'étais donc debout, à cinq heures et demie, devant la maison, sous un petit hangar adossé au mur qui séparait le jardin anglais des Sablonnières du jardin potager de la ferme. J'étais occupé à démêler mes filets que j'avais jetés en tas, le jeudi d'avant. Il ne faisait pas jour tout à fait; c'était le crépuscule d'un beau matin de septembre; et le hangar où je démêlais à la hâte mes engins se trouvait à demi plongé dans la nuit. J'étais là silencieux et affairé lorsque soudain j'entendis la grille s'ouvrir, un pas crier sur le gravier. "Oh! Oh! Me dis-je, voici mes gens plus tôt que je n'aurais cru. Et moi qui ne suis pas prêt!..." Mais l'homme qui entrait dans la cour m'était inconnu. C'était, autant que je pus distinguer, un grand gaillard barbu habillé comme un chasseur ou un braconnier. Au lieu de venir me trouver là où les autres savaient que j'étais toujours, à l'heure de nos rendez-vous, il gagna directement la porte d'entrée. "Bon! Pensai-je; c'est quelqu'un de leurs amis qu'ils auront convié sans me le dire et ils l'auront envoyé en éclaireur". L'homme fit jouer doucement, sans bruit, le loquet de la porte. Mais je l'avais refermée, aussitôt sorti. Il fit de même à l'entrée de la cuisine. Puis, hésitant un instant, il tourna vers moi, éclairée par le demi-jour, sa figure inquiète. Et c'est alors seulement que je reconnus le grand Meaulnes. Un long moment je restai là, effrayé, désespéré, repris soudain par toute la douleur qu'avait réveillée son retour. Il avait disparu derrière la maison, en avait fait le tour, et il revenait, hésitant. Alors je m'avançai vers lui, et sans rien dire, je l'embrassai en sanglotant. Tout de suite, il comprit: "Ah! dit-il d'une voix brève, elle est morte, n'est-ce pas?" Et il resta là, debout, sourd, immobile et terrible. Je le pris par le bras et doucement je l'entraînai vers la maison. Il faisait jour maintenant. Tout de suite, pour que le plus dur fût accompli, je lui fis monter l'escalier qui menait vers la chambre de la morte. Sitôt entré; il tomba à deux genoux devant le lit et, longtemps, resta la tête enfouie dans ses deux bras. Il se releva enfin, les yeux égarés, titubant, ne sachant où il était. Et, toujours le guidant par le bras, j'ouvris la porte qui faisait communiquer cette chambre avec celle de la petite fille. Elle s'était éveillée toute seule pendant que sa nourrice était en bas et, délibérément, s'était assise dans son berceau. On voyait tout juste sa tête étonnée, tournée vers nous. "Voici ta fille", dis-je. Il eut un sursaut et me regarda. Puis il la saisit et l'enleva dans ses bras. Il ne put pas bien la voir d'abord, parce qu'il pleurait. Alors, pour détourner un peu ce grand attendrissement et ce flot de larmes, tout en la tenant très serrée contre lui, assise sur son bras droit, il tourna vers moi sa tête baissée et me dit: "Je les ai ramenés, les deux autres... Tu iras les voir dans leur maison". Et en effet, au début de la matinée, lorsque je m'en allai, tout pensif et presque heureux vers la maison de Frantz, qu'Yvonne de Galais m'avait jadis montrée déserte, j'aperçus de loin une manière de jeune ménagère en collerette, qui balayait le pas de sa porte, objet de curiosité et d'enthousiasme pour plusieurs petits vachers endimanchés qui s'en allaient à la messe... Cependant la petite fille commençait à s'ennuyer d'être serrée ainsi, et comme Augustin, la tête penchée de côté pour cacher et arrêter ses larmes continuait à ne pas la regarder, elle lui flanqua une grande tape de sa petite main sur sa bouche barbue et mouillée. Cette fois le père leva bien haut sa fille, la fit sauter au bout de ses bras et la regarda avec une espèce de rire. Satisfaite, elle battit des mains... Je m'étais légèrement reculé pour mieux les voir. Un peu déçu et pourtant émerveillé, je comprenais que la petite fille avait enfin trouvé là le compagnon qu'elle attendait obscurément. La seule joie que m'eût laissée le grand Meaulnes, je sentais bien qu'il était revenu pour me la prendre. Et déjà je l'imaginais, la nuit, enveloppant sa fille dans un manteau, et partant avec elle pour de nouvelles aventures.

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 13 - ÉPILOGUE Le Grand meaulnes - dritter Teil - Kapitel 13 - EPILOGUE Le Grand meaulnes - part three - chapter 13 - EPILOGUE Le Grand Meaulnes - قسمت سوم - فصل 13 - EPILOGUE

Le temps passa. Time passed. Je perdais l'espoir de revoir jamais mon compagnon, et de mornes jours s'écoulaient dans l'école paysanne, de tristes jours dans la maison déserte. I lost hope of ever seeing my companion again, and dreary days passed in the peasant school, sad days in the deserted house. Frantz ne vint pas au rendez-vous que je lui avais fixé, et d'ailleurs ma tante Moinel ne savait plus depuis longtemps où habitait Valentine. Frantz did not come to the rendezvous I had set for him, and besides, Aunt Moinel had not known for a long time where Valentine lived. La seule joie des Sablonnières, ce fut bientôt la petite fille qu'on avait pu sauver. The only joy of Les Sablonnières was soon the little girl who had been saved. A la fin de septembre, elle s'annonçait même comme une solide et jolie petite fille. At the end of September, she announced herself as a solid and pretty little girl. Elle allait avoir un an. She was going to be one year old. Cramponnée aux barreaux des chaises, elle les poussait toute seule, s'essayant à marcher sans prendre garde aux chutes, et faisait un tintamarre qui réveillait longuement les échos sourds de la demeure abandonnée. |||||||||||||||||||||clamor|||||||||dwelling| Clinging to the bars of the chairs, she pushed them all alone, trying to walk without taking care of the falls, and made a din that woke the deaf echoes of the abandoned house for a long time. Lorsque je la tenais dans mes bras, elle ne souffrait jamais que je lui donne un baiser. When I held her in my arms, she never hurt that I give her a kiss. Elle avait une façon sauvage et charmante en même temps de frétiller et de me repousser la figure avec sa petite main ouverte, en riant aux éclats. She had a wild and charming way of wagging at the same time and pushing my face with her little open hand, laughing loudly. De toute sa gaieté, de toute sa violence enfantine, on eût dit qu'elle allait chasser le chagrin qui pesait sur la maison depuis sa naissance. With all her gaiety, with all her childish violence, she seemed to be driving away the grief that had afflicted the house since her birth. Je me disais parfois: "Sans doute, malgré cette sauvagerie, sera-t-elle un peu mon enfant". I said to myself sometimes: "Without doubt, in spite of this savagery, will she be a little my child". Mais une fois encore la Providence en décida autrement. But once again Providence decided otherwise. Un dimanche matin de la fin de septembre, je m'étais levé de fort bonne heure, avant même la paysanne qui avait la garde de la petite fille. One Sunday morning at the end of September, I had got up very early, even before the peasant woman who was in charge of the little girl. Je devais aller pêcher au Cher avec deux hommes de Saint-Benoist et Jasmin Delouche. I had to go fishing in Cher with two men from Saint-Benoist and Jasmin Delouche. Souvent ainsi les villageois d'alentour s'entendaient avec moi pour de grandes parties de braconnage: pêches à la main, la nuit, pêches aux éperviers prohibés... Tout le temps de l'été, nous partions les jours de congé, dès l'aube, et nous ne rentrions qu'à midi. ||||||||||||||||||||||hawks|||||||||||||||||||| Often the villagers around me got along with me for large parts of poaching: peaches in hand, at night, fishing hawks prohibited ... All the time of the summer, we left the days off, as soon as dawn, and we did not return till noon. C'était le gagne-pain de presque tous ces hommes. It was the livelihood of almost all these men. Quant à moi, c'était mon seul passe-temps; les seules aventures qui me rappelassent les équipées de jadis. As for me, it was my only hobby; the only adventures that reminded me of the equipments of yore. Et j'avais fini par prendre goût à ces randonnées, à ces longues pêches le long de la rivière ou dans les roseaux de l'étang. And I ended up taking a liking to these hikes, these long fishing along the river or in the reeds of the pond. Ce matin-là, j'étais donc debout, à cinq heures et demie, devant la maison, sous un petit hangar adossé au mur qui séparait le jardin anglais des Sablonnières du jardin potager de la ferme. That morning I was up at half-past five in front of the house, under a little shed on the wall that separated the English garden from Les Sablonnières from the vegetable garden of the farm. J'étais occupé à démêler mes filets que j'avais jetés en tas, le jeudi d'avant. I was busy unraveling my nets, which I had thrown into heaps on the Thursday before. Il ne faisait pas jour tout à fait; c'était le crépuscule d'un beau matin de septembre; et le hangar où je démêlais à la hâte mes engins se trouvait à demi plongé dans la nuit. It was not quite daylight; it was the twilight of a beautiful September morning; and the shed where I hastily unraveled my craft was half dipped in the night. J'étais là silencieux et affairé lorsque soudain j'entendis la grille s'ouvrir, un pas crier sur le gravier. I was silent and busy when suddenly I heard the gate open, one step on the gravel. "Oh! "Oh! Oh! Oh! Me dis-je, voici mes gens plus tôt que je n'aurais cru. I tell myself, here are my people sooner than I thought. Et moi qui ne suis pas prêt!..." And I'm not ready! ... " Mais l'homme qui entrait dans la cour m'était inconnu. But the man who entered the courtyard was unknown to me. C'était, autant que je pus distinguer, un grand gaillard barbu habillé comme un chasseur ou un braconnier. It was, as far as I could distinguish, a big bearded fellow dressed like a hunter or a poacher. Au lieu de venir me trouver là où les autres savaient que j'étais toujours, à l'heure de nos rendez-vous, il gagna directement la porte d'entrée. Instead of coming to find me where others knew I was still, at the time of our appointments, he went directly to the front door. "Bon! "Good! Pensai-je; c'est quelqu'un de leurs amis qu'ils auront convié sans me le dire et ils l'auront envoyé en éclaireur". I thought; it is someone of their friends whom they will have invited without telling me and they will have sent him in scout ". L'homme fit jouer doucement, sans bruit, le loquet de la porte. The man made the latch of the door play softly and noiselessly. Mais je l'avais refermée, aussitôt sorti. But I had closed it, immediately out. Il fit de même à l'entrée de la cuisine. He did the same at the entrance to the kitchen. Puis, hésitant un instant, il tourna vers moi, éclairée par le demi-jour, sa figure inquiète. Then, hesitating a moment, he turned toward me, enlightened by the half-light, his anxious face. Et c'est alors seulement que je reconnus le grand Meaulnes. And only then did I recognize the great Meaulnes. Un long moment je restai là, effrayé, désespéré, repris soudain par toute la douleur qu'avait réveillée son retour. For a long time I remained there, frightened, desperate, suddenly resumed by all the pain that had awakened his return. Il avait disparu derrière la maison, en avait fait le tour, et il revenait, hésitant. He had disappeared behind the house, had gone around, and he returned, hesitating. Alors je m'avançai vers lui, et sans rien dire, je l'embrassai en sanglotant. Then I went to him, and without saying anything, I kissed him sobbing. Tout de suite, il comprit: "Ah! Immediately, he understood: "Ah! dit-il d'une voix brève, elle est morte, n'est-ce pas?" he said in a short voice, "she's dead, is not it?" Et il resta là, debout, sourd, immobile et terrible. And he stood there, standing, deaf, motionless and terrible. Je le pris par le bras et doucement je l'entraînai vers la maison. I took him by the arm and gently I dragged him to the house. Il faisait jour maintenant. It was daylight now. Tout de suite, pour que le plus dur fût accompli, je lui fis monter l'escalier qui menait vers la chambre de la morte. Immediately, in order that the hardest thing be accomplished, I had him climb the staircase leading to the dead man's room. Sitôt entré; il tomba à deux genoux devant le lit et, longtemps, resta la tête enfouie dans ses deux bras. As soon as entered; he fell on his knees in front of the bed and for a long time remained with his head buried in his arms. Il se releva enfin, les yeux égarés, titubant, ne sachant où il était. He got up at last, his eyes lost, staggering, not knowing where he was. Et, toujours le guidant par le bras, j'ouvris la porte qui faisait communiquer cette chambre avec celle de la petite fille. And, still guiding him by the arm, I opened the door which made this room communicate with that of the little girl. Elle s'était éveillée toute seule pendant que sa nourrice était en bas et, délibérément, s'était assise dans son berceau. She had awakened by herself while her nanny was downstairs and deliberately sat in her cradle. On voyait tout juste sa tête étonnée, tournée vers nous. We could just see his amazed head, turned towards us. "Voici ta fille", dis-je. "Here is your daughter," I say. Il eut un sursaut et me regarda. He gave a start and looked at me. Puis il la saisit et l'enleva dans ses bras. Then he grabbed her and took her in his arms. Il ne put pas bien la voir d'abord, parce qu'il pleurait. He could not see her at first, because he was crying. Alors, pour détourner un peu ce grand attendrissement et ce flot de larmes, tout en la tenant très serrée contre lui, assise sur son bras droit, il tourna vers moi sa tête baissée et me dit: "Je les ai ramenés, les deux autres... Tu iras les voir dans leur maison". Then, to divert a little this great tenderness and this flood of tears, while holding tight against him, sitting on his right arm, he turned to me his head down and said: "I brought them back, the other two ... you will go to see them in their house ". Et en effet, au début de la matinée, lorsque je m'en allai, tout pensif et presque heureux vers la maison de Frantz, qu'Yvonne de Galais m'avait jadis montrée déserte, j'aperçus de loin une manière de jeune ménagère en collerette, qui balayait le pas de sa porte, objet de curiosité et d'enthousiasme pour plusieurs petits vachers endimanchés qui s'en allaient à la messe... Cependant la petite fille commençait à s'ennuyer d'être serrée ainsi, et comme Augustin, la tête penchée de côté pour cacher et arrêter ses larmes continuait à ne pas la regarder, elle lui flanqua une grande tape de sa petite main sur sa bouche barbue et mouillée. And indeed, at the beginning of the morning, when I went away, all thoughtful and almost happy towards the house of Frantz, which Yvonne de Galais had once shown me deserted, I perceived from afar a way of young housewife in a collar, which swept the pace of his door, an object of curiosity and enthusiasm for several little cowboys in their Sunday best who went to mass ... However the little girl was beginning to be bored to be so tight, and as Augustin, her head tilted aside to hide and stop her tears continued not to look at her, she flanked him a big pat of her small hand on her bearded, wet mouth. Cette fois le père leva bien haut sa fille, la fit sauter au bout de ses bras et la regarda avec une espèce de rire. This time the father raised his daughter high, made her jump at the end of her arms and looked at her with a kind of laughter. Satisfaite, elle battit des mains... Je m'étais légèrement reculé pour mieux les voir. Satisfied, she clapped her hands ... I had gone back slightly to see them better. Un peu déçu et pourtant émerveillé, je comprenais que la petite fille avait enfin trouvé là le compagnon qu'elle attendait obscurément. A little disappointed and yet amazed, I understood that the little girl had finally found the companion she was waiting darkly. La seule joie que m'eût laissée le grand Meaulnes, je sentais bien qu'il était revenu pour me la prendre. The only joy that the great Meaulnes had left me, I felt that he had come back to take it from me. Et déjà je l'imaginais, la nuit, enveloppant sa fille dans un manteau, et partant avec elle pour de nouvelles aventures. And already I imagined it, at night, wrapping her daughter in a cloak, and leaving with her for new adventures.