ROBINET et VANNE 2009-01-07
Va-t-on fermer le robinet ? Gazprom va-t-il rouvrir les vannes ? La « guerre du gaz », comme on appelle familièrement et peut-être un peu vite le contentieux entre la Russie et l'Ukraine à propos des fournitures de gaz de l'un à l'autre, s'écrit beaucoup à l'aide de ces images. En effet, la fourniture du gaz ou son transit, en tout cas son acheminement, se fait par des moyens particuliers qui encouragent ce genre d'expressions. Le gaz fait partie de ces matières qu'on peut transporter, non pas à l'aide d'un moyen de locomotion, mais en le faisant passer dans un genre de conduit, des tuyaux en fait, construits spécialement à cet usage, très longs, qui peuvent traverser des régions entières. Plusieurs mots pour désigner ces canaux : le « pipeline » d'abord, qu'on prononce à la française ou parfois à l'anglaise (« païpe-laïne »). Le mot a justement été critiqué pour son origine anglaise. Il est moins employé aujourd'hui, même s'il existe encore, mais son usage est bien plus courant s'il s'agit du pétrole que s'il s'agit du gaz. Pour éviter ce mot, qu'on connaît en français depuis la fin du XIXe siècle, on en a formé d'autres à partir de racines latines qui semblaient mieux correspondre à la langue française et éviter les emprunts directs. On parle d'oléoduc pour le pétrole, de gazoduc pour le gaz. Les mots « aqueduc » ou « viaduc » ont bien sûr servi de modèles, tous s'organisant autour de la syllabe « -duc », dérivée de ducere , qui signifie mener, conduire. Même si les constructions de ces matériaux sont sophistiquées, la logique de ces structures est celle d'une plomberie : tuyaux, pression, robinets d'arrêt. On utilise donc presque au sens littéral des expressions qui ont également un sens figuré. Quand on arrête l'envoi de gaz dans un gazoduc, on peut dire qu'on ferme le robinet. L'image est claire et mécanique, et elle évoque un simple geste de la main, comme celui qu'on peut faire dans une salle de bains. Mais cette expression, on l'entend souvent quand il s'agit de fournitures, quelles qu'elles soient. En particulier s'il s'agit de subventions attribuées par un État, un ministère, une ville. On peut donner de l'argent pour financer un projet, une association, et souvent cet argent arrive régulièrement. La subvention peut d'ailleurs être renouvelée tous les mois, tous les ans. Si jamais on l'interrompt, on dira facilement qu'on a fermé le robinet, ce qui évoque cette idée que l'argent, qui arrivait automatiquement par le tuyau prévu à cet effet, n'arrive plus. On ferme le robinet, ou parfois, on dit qu'on coupe le robinet. L'image est raccourcie. En fait, c'est l'approvisionnement qui est stoppé et le flux de ce qui coule qui est coupé. Mais on a comme un transfert de verbe, qui en même temps donne cette idée de soudaineté. On coupe un robinet comme on coupe les vivres.
On dit aussi « fermer les vannes » et « ouvrir les vannes ». La vanne est au départ le panneau qui permet de régler le débit d'une écluse – un robinet d'un genre spécial, donc. « Ouvrir les vannes » peut donc avoir le même sens qu'ouvrir le robinet. Mais l'expression est très usitée au figuré, et dans un sens fort différent : se lâcher, ne plus se censurer, s'autoriser à dire ou à faire des choses de façon très libre, alors qu'on les contrôle davantage ou qu'on se les interdit ordinairement. Coproduction du Centre national de Documentation Pédagogique. http://www.cndp.fr/