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Arthur Bernède- Belphégor, 2-2 Première enquête

2-2 Première enquête

Première enquête

Après avoir recommandé à Gautrais de monter, pendant son absence, une garde vigilante dans le jardin de la villa, avec les deux danois, qui, d'ailleurs s'étaient tout de suite familiarisés avec l'ex-gardien du Louvre, Chantecoq s'était rendu immédiatement chez Simone Desroches. Il avait été reçu par Elsa Bergen et Maurice de Thouars. Celui-ci, maintenant, ne quittait guère la maison d'Auteuil. Tous deux avaient fait au roi des détectives le récit exact et détaillé des événements, troublants entre tous, auxquels ils avaient assisté au cours de la nuit précédente, récit que Chantecoq avait écouté avec la plus grande attention et dont il avait soigneusement noté dans son esprit jusqu'aux moindres détails. Lorsque ses interlocuteurs eurent terminé, après s'être recueilli pendant quelques secondes, il demanda : – Quelle heure était-il quand vous avez vu le Fantôme ?

– Vingt-trois heures, répondit nettement M. de Thouars.

– Pourriez-vous me montrer le meuble qui renfermait les lettres volées ?

– Veuillez me suivre, invitait Mlle Bergen.

Tous trois passèrent du grand salon dans le boudoir.

M. de Thouars conduisit directement le limier vers le secrétaire qui était resté ouvert.

– On n'a touché à rien ? interrogea Chantecoq.

– À rien.

– Où se trouvaient exactement les lettres ?

– Seule, répliquait la Scandinave, Mlle Desroches pourrait le dire. Mais encore sous le coup de l'impression terrible que lui a causée ce mystérieux attentat, elle est très souffrante, et je doute fort qu'elle soit en état de répondre. Le limier n'insista pas… Maintenant, il examinait avec attention le secrétaire, qui ne portait aucune trace d'effraction. – Il est évident, concluait-il, que le voleur, qui n'a commis aucun dégât, a dû se servir d'un instrument extrêmement perfectionné… « À moins qu'il n'ait réussi à se procurer l'empreinte de la serrure, ce qui donnerait raison à ses premières déductions, à savoir qu'il faut chercher le coupable parmi les intimes de notre jeune poétesse… – Peut-être, observait Mlle Bergen, la photographie des empreintes donnera-t-elle quelque résultat ?

– Je puis, dès à présent, vous affirmer que non… déclarait le célèbre limier avec force… et je vais vous en donner la preuve…

« D'après la description que vous venez de m'en faire, le bandit qui s'est introduit cette nuit ici est le même que celui que j'ai rencontré au Louvre, il y a deux nuits, au pied de la statue de Belphégor, dans la salle des Dieux barbares. – Comment ! vous l'avez vu ? s'exclamèrent simultanément la demoiselle de compagnie et le beau Maurice. – Comme je vous vois ! répliquait Chantecoq.

Et d'un ton mordant, incisif, il martela : – Et j'ai constaté qu'il portait des gants noirs, grâce auxquels il pouvait, sans risquer de se trahir, manipuler les objets les plus divers. – D'où, appuyait M. de Thouars, la difficulté très grande de se procurer, sur ce mystérieux malfaiteur, d'utiles renseignements. – Fort heureusement, déclarait le roi des détectives, nous avons à notre disposition d'autres moyens d'investigation qui, lorsqu'on sait s'en servir… Il s'arrêta… réfléchit un instant, puis demanda à ses deux interlocuteurs : – Où se trouvait exactement le Fantôme, lorsque vous l'avez aperçu ? – Il était en train d'enjamber la fenêtre que voici, répliquait M. de Thouars. – Qui vous a signalé sa présence ? interrogeait le limier.

La demoiselle de compagnie répondait :

– Le bruit qu'a fait en tombant une potiche qu'il a renversée lorsqu'il gagnait la fenêtre pour s'enfuir. – Alors, poursuivait M. de Thouars, je me suis précipité à sa poursuite… Je l'ai vu, dans le jardin, s'élancer derrière un bosquet. J'ai tiré dans sa direction plusieurs coups de revolver ; mais j'ai dû le manquer, car il a disparu sans laisser la moindre trace. – En êtes-vous bien sûr ? soulignait Chantecoq.

– Absolument… car avec les domestiques qui étaient accourus, j'ai fouillé le jardin… nous n'avons rien découvert… rien… absolument rien ! – C'est infiniment curieux ! définissait Chantecoq.

Se tournant vers Maurice de Thouars, le détective ajouta :

– Allons visiter le jardin !

Il sortit, d'un pas rapide, avec Maurice de Thouars. Mlle Bergen les vit se diriger tous deux vers le bosquet à l'abri duquel le Fantôme semblait s'être évaporé… Ils marchaient lentement, très lentement. Chantecoq observait minutieusement le sol de l'allée. Il s'arrêta un long moment devant le buisson, y pénétra, examina attentivement la terre, qui ne portait aucun vestige de pas ; les branches qui ne révélaient aucune cassure, les feuilles qui ne semblaient même pas avoir été froissées. Il en tira la déduction logique que Belphégor avait dû contourner le bosquet, et que, contrairement à l'avis de M. de Thouars, il ne s'y était pas dissimulé un seul instant. Bientôt il rejoignit son guide et, sans prononcer une parole, il traversa le jardin dans toute sa largeur et s'en fut droit au mur qui contournait la propriété. Sa surface était absolument lisse. Aucun espalier, aucun treillage n'y était fixé… Fraîchement recrépi, il ne portait aucune aspérité capable de favoriser une escalade. Les arbres qui se dressaient dans le parc en étaient trop éloignés pour que l'on pût supposer qu'ils eussent permis, grâce à eux, d'en atteindre le faîte, défendu, d'ailleurs, par une armature très serrée de débris de verre et de tessons de bouteilles. Toujours silencieux, Chantecoq, que M. de Thouars suivait comme une ombre, se mit à longer le mur le long duquel courait une plate-bande fleurie et parfumée dont rien ne paraissait avoir dérangé l'harmonie. Tout à coup, il s'arrêta. Il se trouvait devant une petite porte peinte en vert sombre et dont la serrure commençait à se couvrir de taches de rouille.

– Où donne-t-elle ? questionna-t-il.

– Dans une petite rue… répliqua M. de Thouars, qui s'appelle, je crois, le chemin des Lilas. Chantecoq appuya sur le loquet… La porte résista.

– Elle est condamnée depuis longtemps, déclarait son compagnon.

Le détective se remit en marche… Comme il atteignait un bâtiment d'un seul étage, mais très élevé, et dont l'architecture d'une bizarrerie ultra-moderne empêchait de définir à première vue la destination, il demanda d'un ton bref : « Qu'est cela ? – L'atelier de Mlle Desroches, définit Maurice de Thouars. Chantecoq s'approcha… Son guide le devança et ouvrit la porte toute grande, invitant du geste le limier à pénétrer dans l'étrange studio. Après avoir promené autour de lui un regard inquisiteur, Chantecoq fit d'un ton subitement intéressé : – Qui sait si le Fantôme n'a pas réussi à se cacher sous l'un de ces vastes bahuts ? – C'est impossible ! affirmait M. de Thouars… La nuit, la porte de l'atelier est toujours fermée à clef. Il n'a donc pas pu s'y réfugier. Cependant, monsieur Chantecoq, si vous voulez vous rendre compte, rien de plus facile…

– C'est inutile ! refusait le détective.

Et tout en esquissant un sourire indéfinissable, il articula :

– C'est à se demander si Belphégor n'a pas des ailes. Puis il ajouta :

– Est-ce que je pourrais examiner de nouveau le secrétaire qui se trouve dans le boudoir de Mlle Desroches ?

– Tant que vous voudrez, monsieur Chantecoq.

Ils rentrèrent tous deux dans le salon où Mlle Bergen les attendait.

Chantecoq se dirigea aussitôt vers le meuble et s'emparant de sa loupe, il fixa, à travers la lentille de verre, son œil sur la serrure, cherchant à se rendre compte si le malfaiteur s'était servi d'une fausse clef ou d'un crochet spécial, lorsqu'un cri échappa à la Scandinave : – Simone !… Quelle imprudence !

Le détective se redressa et tourna la tête.

Pâle, les yeux cernés, le visage douloureux, Mlle Desroches, dans un déshabillé dont la sobre élégance ajoutait encore à la troublante et morbide beauté, s'avançait d'un pas hésitant, en s'appuyant au bras de sa femme de chambre. – Monsieur Chantecoq, fit-elle d'une voix alanguie, j'ai su que vous étiez là et j'ai tenu à vous remercier de l'empressement que vous avez mis à répondre à mon appel. Tandis que sa demoiselle de compagnie l'aidait à prendre place sur un canapé, elle ajouta : – J'ai eu peur et j'avais tant besoin d'être rassurée… Elle s'arrêta comme pour reprendre haleine. Puis elle reprit d'une voix où, par instants, passaient encore des frémissements de peur : – Depuis le moment où, de la fenêtre de ma chambre, j'ai vu le bandit bondir à travers le jardin, je n'ai pas cessé d'avoir sa terrible image devant les yeux. Mais maintenant que vous voilà, monsieur Chantecoq, je me sens déjà rassurée.

Et, tout en s'efforçant de sourire, elle ajouta : – Avez-vous fait quelque découverte intéressante ?

– Rien de précis encore… répliquait le roi des détectives. Mais si cela ne vous fatigue pas trop, peut-être pourriez-vous me donner quelques utiles renseignements ?

– Interrogez-moi, je vous en prie.

– Ce sont bien des lettres que le Fantôme vous a dérobées ?

– Parfaitement.

– Des lettres intimes ?

– Des lettres intimes.

– Ces lettres, d'après ce que m'a téléphoné Mlle Bergen, étaient bien de Jacques Bellegarde ? – Oui, monsieur.

– Je vous remercie, mademoiselle.

Chantecoq se tut.

Simone, vivement, lui prit la main. On eût dit que ses angoisses, qui s'étaient momentanément apaisées, l'assaillaient de nouveau. Et d'un ton suppliant, elle exprima : – Monsieur Chantecoq, ne m'abandonnez pas. – Simone, je vous en prie, calmez-vous, conseillait Elsa Bergen.

– Nous sommes là pour vous défendre, s'écriait M. de Thouars. – N'ayez aucune crainte, mademoiselle, affirmait Chantecoq ; je suis certain que le Fantôme ne reparaîtra jamais chez vous. – Pourtant, objectait Simone d'une voix tremblante, il est retourné deux nuits de suite au Louvre. – Sans doute, expliquait le détective, parce que, lors de sa première visite, il n'avait pas atteint son but… tandis qu'ici… – Tandis qu'ici ? – Il a emporté ce qu'il désirait. – Les lettres de Jacques… scanda la jeune femme.

Et, les traits bouleversés, les lèvres tremblantes, elle poursuivit :

– Voilà justement ce qui m'épouvante ! Le Fantôme veut certainement se servir de ces lettres contre lui… pour s'en venger… C'est affreux !… « Laissez-moi tout vous dire. Bien que de graves dissentiments, qui ont eu pour conséquence une irrémédiable rupture, se soient élevés entre lui et moi, j'ai aimé, j'aime encore M. Bellegarde, et la pensée qu'il puisse lui arriver malheur me rend folle. – Jacques Bellegarde est de taille à se défendre, répliquait le détective.

Simone reprenait :

– Écoutez-moi, monsieur Chantecoq. Ce que j'ai à vous dire est très grave et peut jeter – qui sait ? – une lueur sur cette ténébreuse affaire !

« J'ai reçu, il y a quarante-huit heures, un billet signé « Belphégor » et le menaçant des plus terribles représailles s'il persistait à s'occuper de cette affaire du Louvre. Vous me comprenez, n'est-ce pas ?… Tant que ce bandit n'aura pas été découvert et arrêté, je ne vivrai pas… « Depuis ce matin, j'ai fait téléphoner plusieurs fois chez Jacques et au Petit Parisien. On nous a répondu qu'il n'avait reparu ni à son domicile ni au journal. Je tremble qu'il ne lui soit arrivé malheur. Monsieur Chantecoq, voulez-vous me rendre le grand service de vous informer ?…

« Et, bien qu'il n'y ait plus, entre M. Bellegarde et moi, d'autre lien que celui d'un souvenir qui, pour moi, ne périra jamais, soyez assez bon pour me donner de ses nouvelles… et puis aussi… si ce n'est pas abuser de votre bonté… pour… oui… pour veiller sur lui ! Chantecoq tout en la regardant d'un air de sincère compassion, déclarait : – Mademoiselle, vous pouvez d'autant mieux compter sur moi que je suis déjà en rapports avec M. Bellegarde et qu'il m'est infiniment sympathique. – Merci !… balbutia faiblement Mlle Desroches, fermant les paupières et laissant reposer sa tête sur l'un des coussins du canapé. Chantecoq s'inclina devant elle, ainsi que devant Mlle Bergen, et il allait se retirer, reconduit par Maurice de Thouars, que le désespoir de Simone semblait vivement affecter, lorsque Mlle Bergen, très soucieuse, très peinée, elle aussi, fit, en s'approchant du célèbre détective : – Monsieur Chantecoq, j'aurais un mot à vous dire. – Je vous en prie, mademoiselle.

La Scandinave demanda :

– Pouvons-nous, maintenant, prévenir la police ?

Chantecoq réfléchit pendant quelques secondes.

Puis il déclara gravement :

– Pas encore !

Elsa Bergen fit un signe d'acquiescement. Puis, elle articula :

– C'est entendu, monsieur, nous garderons le silence tant que vous le jugerez nécessaire. Les deux hommes s'éloignèrent. Dans le vestibule, M. de Thouars, tout en prenant congé du détective, lui demanda :

– Alors, monsieur Chantecoq ?

– Nous marchons de mystère en mystère, répliqua celui-ci.

– Espérez-vous ?…

– Quoi donc ?

– Démasquer ce bandit ?

– Si je l'espère !… Et le grand détective, avec l'accent d'une foi rayonnante et d'un indomptable courage, martela ces trois syllabes dans lesquelles il engageait tout son honneur et toute sa gloire : – J'en suis sûr !

2-2 Première enquête 2-2 First survey

Première enquête

Après avoir recommandé à Gautrais de monter, pendant son absence, une garde vigilante dans le jardin de la villa, avec les deux danois, qui, d'ailleurs s'étaient tout de suite familiarisés avec l'ex-gardien du Louvre, Chantecoq s'était rendu immédiatement chez Simone Desroches. Il avait été reçu par Elsa Bergen et Maurice de Thouars. Celui-ci, maintenant, ne quittait guère la maison d'Auteuil. Tous deux avaient fait au roi des détectives le récit exact et détaillé des événements, troublants entre tous, auxquels ils avaient assisté au cours de la nuit précédente, récit que Chantecoq avait écouté avec la plus grande attention et dont il avait soigneusement noté dans son esprit jusqu'aux moindres détails. Lorsque ses interlocuteurs eurent terminé, après s'être recueilli pendant quelques secondes, il demanda : – Quelle heure était-il quand vous avez vu le Fantôme ?

– Vingt-trois heures, répondit nettement M. de Thouars.

– Pourriez-vous me montrer le meuble qui renfermait les lettres volées ?

– Veuillez me suivre, invitait Mlle Bergen.

Tous trois passèrent du grand salon dans le boudoir.

M. de Thouars conduisit directement le limier vers le secrétaire qui était resté ouvert.

– On n'a touché à rien ? interrogea Chantecoq.

– À rien.

– Où se trouvaient exactement les lettres ?

– Seule, répliquait la Scandinave, Mlle Desroches pourrait le dire. Mais encore sous le coup de l'impression terrible que lui a causée ce mystérieux attentat, elle est très souffrante, et je doute fort qu'elle soit en état de répondre. Le limier n'insista pas… Maintenant, il examinait avec attention le secrétaire, qui ne portait aucune trace d'effraction. – Il est évident, concluait-il, que le voleur, qui n'a commis aucun dégât, a dû se servir d'un instrument extrêmement perfectionné… « À moins qu'il n'ait réussi à se procurer l'empreinte de la serrure, ce qui donnerait raison à ses premières déductions, à savoir qu'il faut chercher le coupable parmi les intimes de notre jeune poétesse… – Peut-être, observait Mlle Bergen, la photographie des empreintes donnera-t-elle quelque résultat ?

– Je puis, dès à présent, vous affirmer que non… déclarait le célèbre limier avec force… et je vais vous en donner la preuve…

« D'après la description que vous venez de m'en faire, le bandit qui s'est introduit cette nuit ici est le même que celui que j'ai rencontré au Louvre, il y a deux nuits, au pied de la statue de Belphégor, dans la salle des Dieux barbares. – Comment ! vous l'avez vu ? s'exclamèrent simultanément la demoiselle de compagnie et le beau Maurice. – Comme je vous vois ! répliquait Chantecoq.

Et d'un ton mordant, incisif, il martela : – Et j'ai constaté qu'il portait des gants noirs, grâce auxquels il pouvait, sans risquer de se trahir, manipuler les objets les plus divers. – D'où, appuyait M. de Thouars, la difficulté très grande de se procurer, sur ce mystérieux malfaiteur, d'utiles renseignements. – Fort heureusement, déclarait le roi des détectives, nous avons à notre disposition d'autres moyens d'investigation qui, lorsqu'on sait s'en servir… Il s'arrêta… réfléchit un instant, puis demanda à ses deux interlocuteurs : – Où se trouvait exactement le Fantôme, lorsque vous l'avez aperçu ? – Il était en train d'enjamber la fenêtre que voici, répliquait M. de Thouars. – Qui vous a signalé sa présence ? interrogeait le limier.

La demoiselle de compagnie répondait :

– Le bruit qu'a fait en tombant une potiche qu'il a renversée lorsqu'il gagnait la fenêtre pour s'enfuir. – Alors, poursuivait M. de Thouars, je me suis précipité à sa poursuite… Je l'ai vu, dans le jardin, s'élancer derrière un bosquet. J'ai tiré dans sa direction plusieurs coups de revolver ; mais j'ai dû le manquer, car il a disparu sans laisser la moindre trace. – En êtes-vous bien sûr ? soulignait Chantecoq.

– Absolument… car avec les domestiques qui étaient accourus, j'ai fouillé le jardin… nous n'avons rien découvert… rien… absolument rien ! – C'est infiniment curieux ! définissait Chantecoq.

Se tournant vers Maurice de Thouars, le détective ajouta :

– Allons visiter le jardin !

Il sortit, d'un pas rapide, avec Maurice de Thouars. Mlle Bergen les vit se diriger tous deux vers le bosquet à l'abri duquel le Fantôme semblait s'être évaporé… Ils marchaient lentement, très lentement. Chantecoq observait minutieusement le sol de l'allée. Il s'arrêta un long moment devant le buisson, y pénétra, examina attentivement la terre, qui ne portait aucun vestige de pas ; les branches qui ne révélaient aucune cassure, les feuilles qui ne semblaient même pas avoir été froissées. Il en tira la déduction logique que Belphégor avait dû contourner le bosquet, et que, contrairement à l'avis de M. de Thouars, il ne s'y était pas dissimulé un seul instant. Bientôt il rejoignit son guide et, sans prononcer une parole, il traversa le jardin dans toute sa largeur et s'en fut droit au mur qui contournait la propriété. Sa surface était absolument lisse. Aucun espalier, aucun treillage n'y était fixé… Fraîchement recrépi, il ne portait aucune aspérité capable de favoriser une escalade. Les arbres qui se dressaient dans le parc en étaient trop éloignés pour que l'on pût supposer qu'ils eussent permis, grâce à eux, d'en atteindre le faîte, défendu, d'ailleurs, par une armature très serrée de débris de verre et de tessons de bouteilles. Toujours silencieux, Chantecoq, que M. de Thouars suivait comme une ombre, se mit à longer le mur le long duquel courait une plate-bande fleurie et parfumée dont rien ne paraissait avoir dérangé l'harmonie. Tout à coup, il s'arrêta. Il se trouvait devant une petite porte peinte en vert sombre et dont la serrure commençait à se couvrir de taches de rouille.

– Où donne-t-elle ? questionna-t-il.

– Dans une petite rue… répliqua M. de Thouars, qui s'appelle, je crois, le chemin des Lilas. Chantecoq appuya sur le loquet… La porte résista.

– Elle est condamnée depuis longtemps, déclarait son compagnon.

Le détective se remit en marche… Comme il atteignait un bâtiment d'un seul étage, mais très élevé, et dont l'architecture d'une bizarrerie ultra-moderne empêchait de définir à première vue la destination, il demanda d'un ton bref : « Qu'est cela ? – L'atelier de Mlle Desroches, définit Maurice de Thouars. Chantecoq s'approcha… Son guide le devança et ouvrit la porte toute grande, invitant du geste le limier à pénétrer dans l'étrange studio. Après avoir promené autour de lui un regard inquisiteur, Chantecoq fit d'un ton subitement intéressé : – Qui sait si le Fantôme n'a pas réussi à se cacher sous l'un de ces vastes bahuts ? – C'est impossible ! affirmait M. de Thouars… La nuit, la porte de l'atelier est toujours fermée à clef. Il n'a donc pas pu s'y réfugier. Cependant, monsieur Chantecoq, si vous voulez vous rendre compte, rien de plus facile…

– C'est inutile ! refusait le détective.

Et tout en esquissant un sourire indéfinissable, il articula :

– C'est à se demander si Belphégor n'a pas des ailes. Puis il ajouta :

– Est-ce que je pourrais examiner de nouveau le secrétaire qui se trouve dans le boudoir de Mlle Desroches ?

– Tant que vous voudrez, monsieur Chantecoq.

Ils rentrèrent tous deux dans le salon où Mlle Bergen les attendait.

Chantecoq se dirigea aussitôt vers le meuble et s'emparant de sa loupe, il fixa, à travers la lentille de verre, son œil sur la serrure, cherchant à se rendre compte si le malfaiteur s'était servi d'une fausse clef ou d'un crochet spécial, lorsqu'un cri échappa à la Scandinave : – Simone !… Quelle imprudence !

Le détective se redressa et tourna la tête.

Pâle, les yeux cernés, le visage douloureux, Mlle Desroches, dans un déshabillé dont la sobre élégance ajoutait encore à la troublante et morbide beauté, s'avançait d'un pas hésitant, en s'appuyant au bras de sa femme de chambre. – Monsieur Chantecoq, fit-elle d'une voix alanguie, j'ai su que vous étiez là et j'ai tenu à vous remercier de l'empressement que vous avez mis à répondre à mon appel. Tandis que sa demoiselle de compagnie l'aidait à prendre place sur un canapé, elle ajouta : – J'ai eu peur et j'avais tant besoin d'être rassurée… Elle s'arrêta comme pour reprendre haleine. Puis elle reprit d'une voix où, par instants, passaient encore des frémissements de peur : – Depuis le moment où, de la fenêtre de ma chambre, j'ai vu le bandit bondir à travers le jardin, je n'ai pas cessé d'avoir sa terrible image devant les yeux. Mais maintenant que vous voilà, monsieur Chantecoq, je me sens déjà rassurée.

Et, tout en s'efforçant de sourire, elle ajouta : – Avez-vous fait quelque découverte intéressante ?

– Rien de précis encore… répliquait le roi des détectives. Mais si cela ne vous fatigue pas trop, peut-être pourriez-vous me donner quelques utiles renseignements ?

– Interrogez-moi, je vous en prie.

– Ce sont bien des lettres que le Fantôme vous a dérobées ?

– Parfaitement.

– Des lettres intimes ?

– Des lettres intimes.

– Ces lettres, d'après ce que m'a téléphoné Mlle Bergen, étaient bien de Jacques Bellegarde ? – Oui, monsieur.

– Je vous remercie, mademoiselle.

Chantecoq se tut.

Simone, vivement, lui prit la main. On eût dit que ses angoisses, qui s'étaient momentanément apaisées, l'assaillaient de nouveau. Et d'un ton suppliant, elle exprima : – Monsieur Chantecoq, ne m'abandonnez pas. – Simone, je vous en prie, calmez-vous, conseillait Elsa Bergen.

– Nous sommes là pour vous défendre, s'écriait M. de Thouars. – N'ayez aucune crainte, mademoiselle, affirmait Chantecoq ; je suis certain que le Fantôme ne reparaîtra jamais chez vous. – Pourtant, objectait Simone d'une voix tremblante, il est retourné deux nuits de suite au Louvre. – Sans doute, expliquait le détective, parce que, lors de sa première visite, il n'avait pas atteint son but… tandis qu'ici… – Tandis qu'ici ? – Il a emporté ce qu'il désirait. – Les lettres de Jacques… scanda la jeune femme.

Et, les traits bouleversés, les lèvres tremblantes, elle poursuivit :

– Voilà justement ce qui m'épouvante ! Le Fantôme veut certainement se servir de ces lettres contre lui… pour s'en venger… C'est affreux !… « Laissez-moi tout vous dire. Bien que de graves dissentiments, qui ont eu pour conséquence une irrémédiable rupture, se soient élevés entre lui et moi, j'ai aimé, j'aime encore M. Bellegarde, et la pensée qu'il puisse lui arriver malheur me rend folle. – Jacques Bellegarde est de taille à se défendre, répliquait le détective.

Simone reprenait :

– Écoutez-moi, monsieur Chantecoq. Ce que j'ai à vous dire est très grave et peut jeter – qui sait ? – une lueur sur cette ténébreuse affaire !

« J'ai reçu, il y a quarante-huit heures, un billet signé « Belphégor » et le menaçant des plus terribles représailles s'il persistait à s'occuper de cette affaire du Louvre. Vous me comprenez, n'est-ce pas ?… Tant que ce bandit n'aura pas été découvert et arrêté, je ne vivrai pas… « Depuis ce matin, j'ai fait téléphoner plusieurs fois chez Jacques et au Petit Parisien. On nous a répondu qu'il n'avait reparu ni à son domicile ni au journal. Je tremble qu'il ne lui soit arrivé malheur. Monsieur Chantecoq, voulez-vous me rendre le grand service de vous informer ?…

« Et, bien qu'il n'y ait plus, entre M. Bellegarde et moi, d'autre lien que celui d'un souvenir qui, pour moi, ne périra jamais, soyez assez bon pour me donner de ses nouvelles… et puis aussi… si ce n'est pas abuser de votre bonté… pour… oui… pour veiller sur lui ! Chantecoq tout en la regardant d'un air de sincère compassion, déclarait : – Mademoiselle, vous pouvez d'autant mieux compter sur moi que je suis déjà en rapports avec M. Bellegarde et qu'il m'est infiniment sympathique. – Merci !… balbutia faiblement Mlle Desroches, fermant les paupières et laissant reposer sa tête sur l'un des coussins du canapé. Chantecoq s'inclina devant elle, ainsi que devant Mlle Bergen, et il allait se retirer, reconduit par Maurice de Thouars, que le désespoir de Simone semblait vivement affecter, lorsque Mlle Bergen, très soucieuse, très peinée, elle aussi, fit, en s'approchant du célèbre détective : – Monsieur Chantecoq, j'aurais un mot à vous dire. – Je vous en prie, mademoiselle.

La Scandinave demanda :

– Pouvons-nous, maintenant, prévenir la police ?

Chantecoq réfléchit pendant quelques secondes.

Puis il déclara gravement :

– Pas encore !

Elsa Bergen fit un signe d'acquiescement. Puis, elle articula :

– C'est entendu, monsieur, nous garderons le silence tant que vous le jugerez nécessaire. Les deux hommes s'éloignèrent. Dans le vestibule, M. de Thouars, tout en prenant congé du détective, lui demanda :

– Alors, monsieur Chantecoq ?

– Nous marchons de mystère en mystère, répliqua celui-ci.

– Espérez-vous ?…

– Quoi donc ?

– Démasquer ce bandit ?

– Si je l'espère !… Et le grand détective, avec l'accent d'une foi rayonnante et d'un indomptable courage, martela ces trois syllabes dans lesquelles il engageait tout son honneur et toute sa gloire : – J'en suis sûr !