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Bernadette, Sœur Marie-Bernard (Henri Lasserre), Livre 1 - La Vie Publique (1)

Livre 1 - La Vie Publique (1)

LIVRE I – La Vie Publique

Bernadette Et Les Apparitions

Toute cette première partie est composée presque entièrement des divers extraits de Notre-Dame de Lourdes relatifs à Bernadette.

C'est, ce semble, une banalité de remarquer que tout est contraste sur ce terrestre globe, où sont mêlés ensemble les méchants et les bons, les riches et les indigents, et où la chaumière du pauvre n'est parfois séparée que par un simple mur de la demeure d'un personnage opulent. D'un côté, tous les plaisirs d'une vie facile, doucement organisée au milieu des délicates recherches du confortable et des élégances du luxe; de l'autre, les horreurs de la misère, le froid, la faim, les maladies, le douloureux cortège des souffrances humaines. Autour des premiers, les adulations, les visites empressées, les amitiés bruyantes; autour des autres, l'indifférence, la solitude, l'abandon.

Soit qu'il craigne l'importunité de demandes formelles ou tacites, soit qu'il redoute comme un reproche le spectacle de cet affreux dénùment, le Monde évite le pauvre et se constitue en dehors de lui. Les riches, se formant en un cercle exclusif que leur orgueil appelle « la bonne compagnie », considèrent comme n'ayant en quelque sorte qu'une existence secondaire et indigne d'attention tout ce qui n'appartient pas à la classe des « gens comme il faut ». Lorsqu'ils font travailler l'ouvrier, lors même qu'ils secourent l'indigent, ils les traitent comme un protégé, comme un inférieur; ils n'ont point pour lui cette simple et intime façon d'agir qu'ils auraient avec un des leurs. Sauf quelques rares chrétiens, nul ne s'occupe du pauvre comme d'un frère, comme d'un égal. Sauf des saints, — hélas! bien clairsemés au temps où nous vivons, — à qui viendrait l'idée de lui montrer ce respect que l'on a pour un supérieur?

Dans le Monde proprement dit, dans le vaste Monde, le pauvre est absolument délaissé. Accablé sous le poids du travail, épuisé de besoins, dédaigné et abandonné, ne semble-t-il pas qu'il soit maudit du Créateur de la terre?

Eh bien! c'est précisément tout le contraire : il est le bien-aimé du Père universel. Tandis que le Monde a été maudit à jamais par l'infaillible parole du Christ, ce sont les pauvres, les souffrants, les humbles, les petits, qui sont pour Dieu « la bonne compagnie », la société choisie où se complaît son coeur. — « Vous êtes mes amis, » leur dit-il dans son Evangile. Il fait plus, il s'identifie avec eux, n'ouvrant le ciel aux riches qu'autant qu'ils auront été les bienfaiteurs des indigents: « Ce que vous avez fait au dernier de ces abandonnés, c'est à Moi-même que vous l'avez fait. »

Aussi, quand le Fils de Dieu est venu pour nous racheter, a-t-il voulu naître, vivre et mourir au milieu des pauvres, être lui-même un pauvre. C'est parmi eux qu'il a pris ses Apôtres, ses principaux Disciples, les premiers-nés de son Église. Dans l'histoire, déjà longue, de cette Église, c'est sur les pauvres qu'il a généralement répandu ses plus grandes grâces spirituelles. Presque toujours, sauf de légères exceptions, les apparitions, les visions, les révélations, les grâces éclatantes ont été le privilège de ces indigents que le Monde dédaigne.

Lorsque, dans sa sagesse, Dieu juge bon de se manifester sensiblement aux hommes par ces phénomènes mystérieux, il descend, de même qu'un roi en voyage, dans la maison de ses ministres ou de ses amis particuliers. Et voilà pourquoi il choisit habituellement la demeure des pauvres et des petits.

Depuis bientôt deux mille années se vérifie la parole de l'Apôtre: « Dieu a fait élection de ce qui est faible selon le monde pour confondre ce qui est puissant. »

Le récit que l'on va lire fournira peut-être quelques preuves de ces très hautes vérités.

Le 11 février inaugurait, en 1858, la semaine des réjouissances profanes qui, suivant un usage immémorial, précèdent les austérités du Carême. C'était le jour du Jeudi-Gras. Le temps était froid, un peu couvert, mais très calme. Dans les profondeurs du ciel, les nuages se tenaient immobiles. Aucune brise ne les poussait les uns contre les autres, et l'atmosphère était d'une entière placidité. Par moment tombaient du ciel quelques rares gouttes d'eau.

Ce jour-là, d'après les privilèges particuliers de ses Offices propres, le diocèse de Tarbes célébrait la mémoire et la fête de l'illustre bergère de France sainte Geneviève.

Onze heures du matin avaient déjà sonné à l'horloge de l'église de Lourdes.

Tandis que, presque partout, se préparaient de joyeuses réunions et des festins, une famille de pauvres gens, qui demeuraient comme locataire dans une misérable maison de la rue des Petits-Fossés, n'avait pas même de bois pour faire cuire son maigre dîner.

Le père, encore jeune, exerçait la profession de meunier, et il avait pendant quelques années exploité, comme fermier, un petit moulin assis au bord de la ville, sur l'un des ruisseaux qui se jettent dans le Gave. Mais ce métier exige des avances, la coutume étant assez répandue de faire moudre à crédit; et le pauvre meunier, pour cette raison, avait été obligé de renoncer à la ferme du petit moulin, où son travail, loin de le mettre dans l'aisance, avait contribué à le jeter dans une indigence plus profonde. En attendant des jours meilleurs, il travaillait, — non point chez lui, car il ne possédait rien, pas même un petit jardin, — mais de divers côtés, chez quelques voisins qui l'employaient, au hasard de leurs besoins, comme journalier.

Il se nommait François Soubirous.

Sa femme, Louise Castérot, était une bonne chrétienne et soutenait son courage.

Ils avaient quatre enfants : deux filles, dont l'aînée avait environ quatorze ans, et deux garçons beaucoup plus jeunes; le dernier avait environ trois ans.

Depuis quinze jours seulement leur fille aînée, une chétive enfant, habitait avec eux. C'est cette petite fille qui doit jouer un rôle considérable dans notre récit, et nous avons étudié avec soin toutes les particularités et tous les détails de sa vie.

Lors de sa naissance, sa mère, malade à cette époque, n'avait pu l'allaiter, et elle l'avait mise en nourrice dans un village voisin, à Bartrès, où l'enfant demeura après son sevrage. Louise Soubirous était devenue mère une seconde fois; et deux enfants à soigner en même temps l'eussent retenue au logis et empêchée d'aller en journée et dans les champs, ce qu'elle pouvait faire aisément avec un seul nourrisson : c'est pour cela que les parents laissèrent leur première-née à Bartrès. Ils payaient pour son entretien, quelquefois en argent et plus souvent en nature, une pension de cinq francs par mois.

Lorsque la petite fille eut atteint l'âge d'être utile et qu'il fut question de la reprendre dans la maison paternelle, les bons paysans qui l'avaient nourrie s'aperçurent qu'ils s'étaient attachés à elle et qu'ils la considéraient, ou à peu près, comme une de leurs enfants. Dès ce moment, ils se chargèrent d'elle pour rien, l'employant à garder les brebis. Elle grandit ainsi au milieu de cette famille adoptive, passant toutes ses journées dans la solitude, sur les coteaux déserls où paissait son humble troupeau.

En fait de prières, elle ne connaissait que le chapelet. Soit que sa mère nourrice le lui eût recommandé, soit que ce fût un besoin naïf de celte âme innocente, partout et à toute heure, en faisant pâturer ses brebis, elle récitait cette prière des simples. Puis elle s'amusait toute seule avec ces joujoux naturels que la Providence maternelle fournit aux enfants du pauvre, plus aisés à contenter, en cela comme en tout, que les enfants du riche : elle jouait avec les pierres qu'elle entassait en petits édifices enfantins, avec les plantes et les fleurs qu'elle cueillait çà et là, avec l'eau des ruisseaux où elle jetait et suivait de l'oeil d'immenses flottes de brins d'herbe; elle jouait avec celui qui était son préféré dans le troupeau confié à ses soins. « De tous mes agneaux, disait-elle un jour, il y en a un que j'aime plus que tous les autres. — Et lequel? lui demanda-t-on. — Celui que j'aime, c'est le plus petit. » Et elle se plaisait à le caresser et à folâtrer avec lui.

Elle était elle-même parmi les enfants comme ce pauvre agneau, faible et petit, qu'elle aimait. Quoiqu'elle eût déjà quatorze ans, tout au plus si on lui en eût donné onze ou douze. Sans être précisement maladive, elle était sujette aux oppressions d'un asthme qui parfois la faisait beaucoup souffrir. Elle prenait en patience son mal, et elle acceptait ses douleurs physiques avec cette résignation tranquille qui paraît si difficile aux riches et que les indigents semblent trouver toute naturelle.

A cette école innocente et solitaire, la pauvre bergère apprit ce que le monde ne sait point et ne veut pas savoir : la simplicité, qui plaît tant à Dieu. Loin de tout contact impur, s'entretenant avec la Vierge Marie, passant son temps et ses heures à la couronner de prières en égrenant son chapelet, elle conserva cette candeur absolue, cette pureté baptismale que le souffle du siècle ternit si vite, même chez les meilleurs.

Telle était cette âme d'enfant, limpide et paisible comme ces lacs inconnus qui sont perdus dans les hautes montagnes et où se mirent en silence toutes les splendeurs du ciel. « Heureux les coeurs purs, dit l'Évangile : ce sont ceux-là qui verront Dieu! »

Ces grands dons sont des dons cachés, et l'humilité qui les possède ne s'en rend point compte à elle-même. Si tous ceux qui approchaient par hasard de cette petite fille se sentaient eux-mêmes attirés vers elle et secrètement charmés, elle n'en avait point conscience. Elle se considérait comme la dernière et la plus arriérée des enfants de son âge. Elle ne savait, en effet, ni lire, ni écrire. Bien plus, elle était tout à fait étrangère à la langue française, et ne connaissait que son pauvre patois pyrénéen. On ne lui avait jamais enseigné le catéchisme. En cela aussi son ignorance était extrême: Notre Père, Je vous salue, Je crois en Dieu, Gloire au Père, récités au courant du chapelet, constituaient tout son savoir religieux.

Après de tels détails, il est inutile d'ajouter qu'elle n'avait point fait sa première communion. C'était précisément pour l'y préparer et l'envoyer au catéchisme que les Soubirous venaient de la retirer du village perdu, habité par ses parents nourriciers, et de la prendre chez eux à Lourdes, malgré leur excessive indigence.

Elle était depuis deux semaines rentrée au logis paternel. Préoccupée de son asthme, de sa frêle apparence, sa mère avait pour elle des soins particuliers. Tandis que les autres enfants de la famille allaient nu-pieds dans leurs sabots, celle-ci avait des bas dans les siens; tandis que sa soeur et ses frères couraient librement au dehors, elle était presque constamment utilisée à l'intérieur. L'enfant, habituée au grand air, eût aimé à sortir.

Donc ce jour-là était le Jeudi-Gras : onze heures avaient sonné, et ces pauvres gens n'avaient pas de bois pour préparer leur dîner.

— Va en ramasser sur le bord du Gave ou dans les communaux, dit la mère à Marie, sa seconde fille.

De même qu'en bien des endroits, les indigents avaient, dans la commune de Lourdes, un menu droit de cueillette sur les branches desséchées que le vent faisait tomber des arbres, sur les épaves de bois mort que le torrent déposait et laissait parmi les cailloux du rivage.

Marie chaussa ses sabots.

L'aînée, celle dont nous venons de parler, la petite bergère de Bartrès, la regardait d'un oeil d'envie.

— Permettez-moi de la suivre, dit-elle enfin à sa mère. Je rapporterai, moi aussi, mon petit paquet de bois.

— Non, répondit Louise Soubirous : tu tousses, tu prendrais du mal.

Une jeune fille de la maison voisine, Jeanne Abadie, âgée d'environ quinze ans, était entrée sur ces entrefaites et se disposait également à aller à la cueillette du bois. Toutes ensemble insistèrent, et la mère se laissa fléchir.

L'enfant avait en ce moment, comme c'est la coutume parmi les paysannes du Midi, la tête coiffée d'un mouchoir, noué sur le côté.

Cela ne parut pas suffisant à la mère:

— Prends ton capulet, lui dit-elle.

Le capulet est un vêtement très gracieux, particulier aux races pyrénéennes, et qui tient à la fois de la coiffure et du petit manteau; c'est une espèce de capuchon, en drap très fort, tantôt blanc comme la toison des brebis, tantôt d'un rouge éclatant, qui couvre la tête et retombe en arrière sur les épaules jusqu'à la hauteur des reins. Lorsqu'il fait très froid ou qu'il y a du vent, les femmes le ramènent sur le devant et s'en enveloppent le cou et les bras; quand ce vêtement leur semble trop chaud, elles le plient en carré et le portent sur la tête, comme une sorte de béret quadrangulaire.

Le capulet de la petite bergère de Bartrès était blanc.


Livre 1 - La Vie Publique (1) Buch 1 - Das öffentliche Leben (1) Book 1 - Public Life (1)

**LIVRE I – La Vie Publique**

**Bernadette Et Les Apparitions**

Toute cette première partie est composée presque entièrement des divers extraits de Notre-Dame de Lourdes relatifs à Bernadette.

C'est, ce semble, une banalité de remarquer que tout est contraste sur ce terrestre globe, où sont mêlés ensemble les méchants et les bons, les riches et les indigents, et où la chaumière du pauvre n'est parfois séparée que par un simple mur de la demeure d'un personnage opulent. D'un côté, tous les plaisirs d'une vie facile, doucement organisée au milieu des délicates recherches du confortable et des élégances du luxe; de l'autre, les horreurs de la misère, le froid, la faim, les maladies, le douloureux cortège des souffrances humaines. Autour des premiers, les adulations, les visites empressées, les amitiés bruyantes; autour des autres, l'indifférence, la solitude, l'abandon.

Soit qu'il craigne l'importunité de demandes formelles ou tacites, soit qu'il redoute comme un reproche le spectacle de cet affreux dénùment, le Monde évite le pauvre et se constitue en dehors de lui. Les riches, se formant en un cercle exclusif que leur orgueil appelle « la bonne compagnie », considèrent comme n'ayant en quelque sorte qu'une existence secondaire et indigne d'attention tout ce qui n'appartient pas à la classe des « gens comme il faut ». Lorsqu'ils font travailler l'ouvrier, lors même qu'ils secourent l'indigent, ils les traitent comme un protégé, comme un inférieur; ils n'ont point pour lui cette simple et intime façon d'agir qu'ils auraient avec un des leurs. Sauf quelques rares chrétiens, nul ne s'occupe du pauvre comme d'un frère, comme d'un égal. Sauf des saints, — hélas! bien clairsemés au temps où nous vivons, — à qui viendrait l'idée de lui montrer ce respect que l'on a pour un supérieur?

Dans le Monde proprement dit, dans le vaste Monde, le pauvre est absolument délaissé. Accablé sous le poids du travail, épuisé de besoins, dédaigné et abandonné, ne semble-t-il pas qu'il soit maudit du Créateur de la terre?

Eh bien! c'est précisément tout le contraire : il est le bien-aimé du Père universel. Tandis que le Monde a été maudit à jamais par l'infaillible parole du Christ, ce sont les pauvres, les souffrants, les humbles, les petits, qui sont pour Dieu « la bonne compagnie », la société choisie où se complaît son coeur. — « Vous êtes mes amis, » leur dit-il dans son Evangile. Il fait plus, il s'identifie avec eux, n'ouvrant le ciel aux riches qu'autant qu'ils auront été les bienfaiteurs des indigents: « Ce que vous avez fait au dernier de ces abandonnés, c'est à Moi-même que vous l'avez fait. »

Aussi, quand le Fils de Dieu est venu pour nous racheter, a-t-il voulu naître, vivre et mourir au milieu des pauvres, être lui-même un pauvre. C'est parmi eux qu'il a pris ses Apôtres, ses principaux Disciples, les premiers-nés de son Église. Dans l'histoire, déjà longue, de cette Église, c'est sur les pauvres qu'il a généralement répandu ses plus grandes grâces spirituelles. Presque toujours, sauf de légères exceptions, les apparitions, les visions, les révélations, les grâces éclatantes ont été le privilège de ces indigents que le Monde dédaigne.

Lorsque, dans sa sagesse, Dieu juge bon de se manifester sensiblement aux hommes par ces phénomènes mystérieux, il descend, de même qu'un roi en voyage, dans la maison de ses ministres ou de ses amis particuliers. Et voilà pourquoi il choisit habituellement la demeure des pauvres et des petits.

Depuis bientôt deux mille années se vérifie la parole de l'Apôtre: « Dieu a fait élection de ce qui est faible selon le monde pour confondre ce qui est puissant. »

Le récit que l'on va lire fournira peut-être quelques preuves de ces très hautes vérités.

Le 11 février inaugurait, en 1858, la semaine des réjouissances profanes qui, suivant un usage immémorial, précèdent les austérités du Carême. C'était le jour du Jeudi-Gras. Le temps était froid, un peu couvert, mais très calme. Dans les profondeurs du ciel, les nuages se tenaient immobiles. Aucune brise ne les poussait les uns contre les autres, et l'atmosphère était d'une entière placidité. Par moment tombaient du ciel quelques rares gouttes d'eau.

Ce jour-là, d'après les privilèges particuliers de ses Offices propres, le diocèse de Tarbes célébrait la mémoire et la fête de l'illustre bergère de France sainte Geneviève.

Onze heures du matin avaient déjà sonné à l'horloge de l'église de Lourdes.

Tandis que, presque partout, se préparaient de joyeuses réunions et des festins, une famille de pauvres gens, qui demeuraient comme locataire dans une misérable maison de la rue des Petits-Fossés, n'avait pas même de bois pour faire cuire son maigre dîner.

Le père, encore jeune, exerçait la profession de meunier, et il avait pendant quelques années exploité, comme fermier, un petit moulin assis au bord de la ville, sur l'un des ruisseaux qui se jettent dans le Gave. Der Vater, der noch jung war, übte den Beruf des Müllers aus und hatte einige Jahre lang als Pächter eine kleine Mühle betrieben, die am Rande der Stadt an einem der Bäche, die in den Gave münden, saß. Mais ce métier exige des avances, la coutume étant assez répandue de faire moudre à crédit; et le pauvre meunier, pour cette raison, avait été obligé de renoncer à la ferme du petit moulin, où son travail, loin de le mettre dans l'aisance, avait contribué à le jeter dans une indigence plus profonde. Aus diesem Grund war der arme Müller gezwungen, den Hof der kleinen Mühle aufzugeben, wo seine Arbeit ihn nicht in Wohlstand, sondern in noch größere Armut gestürzt hatte. En attendant des jours meilleurs, il travaillait, — non point chez lui, car il ne possédait rien, pas même un petit jardin, — mais de divers côtés, chez quelques voisins qui l'employaient, au hasard de leurs besoins, comme journalier.

Il se nommait François Soubirous.

Sa femme, Louise Castérot, était une bonne chrétienne et soutenait son courage.

Ils avaient quatre enfants : deux filles, dont l'aînée avait environ quatorze ans, et deux garçons beaucoup plus jeunes; le dernier avait environ trois ans.

Depuis quinze jours seulement leur fille aînée, une chétive enfant, habitait avec eux. C'est cette petite fille qui doit jouer un rôle considérable dans notre récit, et nous avons étudié avec soin toutes les particularités et tous les détails de sa vie.

Lors de sa naissance, sa mère, malade à cette époque, n'avait pu l'allaiter, et elle l'avait mise en nourrice dans un village voisin, à Bartrès, où l'enfant demeura après son sevrage. Louise Soubirous était devenue mère une seconde fois; et deux enfants à soigner en même temps l'eussent retenue au logis et empêchée d'aller en journée et dans les champs, ce qu'elle pouvait faire aisément avec un seul nourrisson : c'est pour cela que les parents laissèrent leur première-née à Bartrès. Louise Soubirous war zum zweiten Mal Mutter geworden, und zwei Kinder, die sie gleichzeitig versorgen musste, hätten sie zu Hause gehalten und sie daran gehindert, tagsüber auf die Felder zu gehen, was sie mit einem Säugling problemlos hätte tun können. Ils payaient pour son entretien, quelquefois en argent et plus souvent en nature, une pension de cinq francs par mois.

Lorsque la petite fille eut atteint l'âge d'être utile et qu'il fut question de la reprendre dans la maison paternelle, les bons paysans qui l'avaient nourrie s'aperçurent qu'ils s'étaient attachés à elle et qu'ils la considéraient, ou à peu près, comme une de leurs enfants. Dès ce moment, ils se chargèrent d'elle pour rien, l'employant à garder les brebis. Elle grandit ainsi au milieu de cette famille adoptive, passant toutes ses journées dans la solitude, sur les coteaux déserls où paissait son humble troupeau.

En fait de prières, elle ne connaissait que le chapelet. Soit que sa mère nourrice le lui eût recommandé, soit que ce fût un besoin naïf de celte âme innocente, partout et à toute heure, en faisant pâturer ses brebis, elle récitait cette prière des simples. Puis elle s'amusait toute seule avec ces joujoux naturels que la Providence maternelle fournit aux enfants du pauvre, plus aisés à contenter, en cela comme en tout, que les enfants du riche : elle jouait avec les pierres qu'elle entassait en petits édifices enfantins, avec les plantes et les fleurs qu'elle cueillait çà et là, avec l'eau des ruisseaux où elle jetait et suivait de l'oeil d'immenses flottes de brins d'herbe; elle jouait avec celui qui était son préféré dans le troupeau confié à ses soins. « De tous mes agneaux, disait-elle un jour, il y en a un que j'aime plus que tous les autres. — Et lequel? lui demanda-t-on. — Celui que j'aime, c'est le plus petit. » Et elle se plaisait à le caresser et à folâtrer avec lui.

Elle était elle-même parmi les enfants comme ce pauvre agneau, faible et petit, qu'elle aimait. Quoiqu'elle eût déjà quatorze ans, tout au plus si on lui en eût donné onze ou douze. Sans être précisement maladive, elle était sujette aux oppressions d'un asthme qui parfois la faisait beaucoup souffrir. Elle prenait en patience son mal, et elle acceptait ses douleurs physiques avec cette résignation tranquille qui paraît si difficile aux riches et que les indigents semblent trouver toute naturelle.

A cette école innocente et solitaire, la pauvre bergère apprit ce que le monde ne sait point et ne veut pas savoir : la simplicité, qui plaît tant à Dieu. Loin de tout contact impur, s'entretenant avec la Vierge Marie, passant son temps et ses heures à la couronner de prières en égrenant son chapelet, elle conserva cette candeur absolue, cette pureté baptismale que le souffle du siècle ternit si vite, même chez les meilleurs.

Telle était cette âme d'enfant, limpide et paisible comme ces lacs inconnus qui sont perdus dans les hautes montagnes et où se mirent en silence toutes les splendeurs du ciel. « Heureux les coeurs purs, dit l'Évangile : ce sont ceux-là qui verront Dieu! »

Ces grands dons sont des dons cachés, et l'humilité qui les possède ne s'en rend point compte à elle-même. Si tous ceux qui approchaient par hasard de cette petite fille se sentaient eux-mêmes attirés vers elle et secrètement charmés, elle n'en avait point conscience. Elle se considérait comme la dernière et la plus arriérée des enfants de son âge. Elle ne savait, en effet, ni lire, ni écrire. Bien plus, elle était tout à fait étrangère à la langue française, et ne connaissait que son pauvre patois pyrénéen. On ne lui avait jamais enseigné le catéchisme. En cela aussi son ignorance était extrême: __Notre Père, Je vous salue, Je crois en Dieu, Gloire au Père__, récités au courant du chapelet, constituaient tout son savoir religieux.

Après de tels détails, il est inutile d'ajouter qu'elle n'avait point fait sa première communion. C'était précisément pour l'y préparer et l'envoyer au catéchisme que les Soubirous venaient de la retirer du village perdu, habité par ses parents nourriciers, et de la prendre chez eux à Lourdes, malgré leur excessive indigence.

Elle était depuis deux semaines rentrée au logis paternel. Préoccupée de son asthme, de sa frêle apparence, sa mère avait pour elle des soins particuliers. Tandis que les autres enfants de la famille allaient nu-pieds dans leurs sabots, celle-ci avait des bas dans les siens; tandis que sa soeur et ses frères couraient librement au dehors, elle était presque constamment utilisée à l'intérieur. L'enfant, habituée au grand air, eût aimé à sortir.

Donc ce jour-là était le Jeudi-Gras : onze heures avaient sonné, et ces pauvres gens n'avaient pas de bois pour préparer leur dîner.

— Va en ramasser sur le bord du Gave ou dans les communaux, dit la mère à Marie, sa seconde fille. - Geh und sammle welche am Ufer des Gave oder in den Allmenden", sagt die Mutter zu Marie, ihrer zweiten Tochter.

De même qu'en bien des endroits, les indigents avaient, dans la commune de Lourdes, un menu droit de cueillette sur les branches desséchées que le vent faisait tomber des arbres, sur les épaves de bois mort que le torrent déposait et laissait parmi les cailloux du rivage. Auch in der Gemeinde Lourdes hatten die Bedürftigen vielerorts ein kleines Pflückrecht auf die vertrockneten Äste, die der Wind von den Bäumen wehte, und auf die Wracks aus totem Holz, die der Bach zwischen den Steinen am Ufer ablagerte und zurückließ.

Marie chaussa ses sabots.

L'aînée, celle dont nous venons de parler, la petite bergère de Bartrès, la regardait d'un oeil d'envie.

— Permettez-moi de la suivre, dit-elle enfin à sa mère. Je rapporterai, moi aussi, mon petit paquet de bois.

— Non, répondit Louise Soubirous : tu tousses, tu prendrais du mal.

Une jeune fille de la maison voisine, Jeanne Abadie, âgée d'environ quinze ans, était entrée sur ces entrefaites et se disposait également à aller à la cueillette du bois. Toutes ensemble insistèrent, et la mère se laissa fléchir.

L'enfant avait en ce moment, comme c'est la coutume parmi les paysannes du Midi, la tête coiffée d'un mouchoir, noué sur le côté.

Cela ne parut pas suffisant à la mère:

— Prends ton capulet, lui dit-elle.

Le capulet est un vêtement très gracieux, particulier aux races pyrénéennes, et qui tient à la fois de la coiffure et du petit manteau; c'est une espèce de capuchon, en drap très fort, tantôt blanc comme la toison des brebis, tantôt d'un rouge éclatant, qui couvre la tête et retombe en arrière sur les épaules jusqu'à la hauteur des reins. Es ist eine Art Kapuze aus sehr festem Tuch, das manchmal weiß wie das Vlies der Schafe, manchmal leuchtend rot ist, den Kopf bedeckt und nach hinten über die Schultern bis zu den Lenden fällt. Lorsqu'il fait très froid ou qu'il y a du vent, les femmes le ramènent sur le devant et s'en enveloppent le cou et les bras; quand ce vêtement leur semble trop chaud, elles le plient en carré et le portent sur la tête, comme une sorte de béret quadrangulaire. Wenn das Kleidungsstück zu warm ist, falten sie es zu einem Quadrat und tragen es als eine Art viereckige Baskenmütze auf dem Kopf.

Le capulet de la petite bergère de Bartrès était blanc.