Cold cases (4_8) la science innocente le coupable idéal
Cold Case, la science face au crime.
Quatrième épisode, tuerie du hausse,
quand la science innocente le coupable idéal.
Le 13 juillet 1988, Henri-Jean Jacomet, un ouvrier âgé de 25 ans,
découvre le cadavre de son épouse Fabienne chez ses beaux-parents.
Dans cette belle maison de maître, située au coeur du petit village du Hausse,
en Haute-Garonne, gisent aussi deux autres corps,
ceux de la soeur aînée de Fabienne et de son mari.
Pendant 15 ans, Henri-Jean Jacomet est soupçonné
et même jugé pour ce triple meurtre, avant d'être enfin innocenté.
Il le doit à un jeune expert en morphoanalyse,
une toute nouvelle spécialité à l'époque, qui consiste à analyser les traces de sang.
Tuerie du hausse, quand la science innocente le coupable idéal,
un récit de Margot Steeve.
Quand je suis rentré dans la maison,
moi, j'ai eu une crainte.
C'était bizarre, pourquoi elle était là ? Pourquoi seule ?
Pourquoi la lumière n'était pas allumée en pleine nuit à 7h30 du matin ?
Dans un premier temps, je me suis dit, il faut la sauver.
Il n'y avait que ça qui peut le dire.
C'est le petit matin, ce 13 juillet 1988 à Huosse,
un petit village de 400 habitants, entre Pau et Toulouse, au biais des Pyrénées.
Il est cinq heures passées quand Henri-Jean Jacomet rentre du travail.
Chez lui, pas de traces de son épouse, Fabienne.
Il se rend donc chez ses beaux-parents, à quelques mètres du domicile conjugal.
Maître Catherine Mounielou est son avocate depuis 35 ans.
En fait, Henri-Jean, c'est quelqu'un qui travaille à la cellulose,
qui est aujourd'hui une société qui s'appelle Fibre Excellence,
et qui a un travail de nuit.
Et au petit matin, quand il rentre chez lui,
il ne voit pas son épouse, évidemment.
Donc là, il part immédiatement chez les beaux-parents.
Il rentre dans la maison, il voit une petite lumière au milieu de la cuisine.
Et là, en se penchant, il voit effectivement une forme, il voit un corps.
Et il va rentrer, il va découvrir sa femme,
qu'il va amener dehors, pour laquelle il ne comprend absolument pas ce qui se passe.
Et les autres corps ne seront découverts qu'après,
parce qu'en réalité, lui, il ne s'occupe que de son épouse.
Il appelle le voisin, il est complètement affolé.
C'est un carnage, je veux dire.
Donc, en réalité, quand vous rentrez dans la maison, il y a un hall avec un escalier.
Et il y a à droite un salon et à gauche une cuisine.
Et en fait, à gauche, il y a Fabienne qui était là, avec la gorge tranchée.
Et à droite, il y a sa soeur dans la salle à manger,
qui elle, est celle qui a reçu le plus de coups.
Et beaucoup plus loin, c'est-à-dire que dans le prolongement,
ce sont des vieilles maisons communs, les pièces se succèdent.
Et en fait, plus loin, c'est-à-dire qu'on traverse la cuisine,
on traverse le cellier et tout ça, et là, on tombe sur le cellier, en fait.
Et on traverse aussi d'autres petites pièces.
Et là, on tombe sur le corps de Fernando, qui lui, s'est suicidé là.
Très vite, les gendarmes locaux arrivent sur place et découvrent la scène de crime.
Les trois corps, les trois femmes, les trois hommes,
sont tous en train de se faire tuer.
Les trois corps, mais aussi quatre armes,
un fusil sous le poignet de Fernando Rodríguez dans le cellier,
un autre brisé en deux dans le salon, un peu plus loin, un sabre,
et dans le hall d'entrée, une hache ensanglantée.
Pour les premiers enquêteurs, le scénario paraît évident.
Fernando a tué les deux soeurs avant de se suicider d'une balle dans la tête.
La première théorie, je veux dire, que ce soit des gendarmes ou du procureur qui est là,
c'est que c'est un double meurtre suivi d'un suicide.
Et donc, à ce moment-là, je veux dire, ça sera très rapidement classé comme cela,
puisque, effectivement, on a deux victimes et on a le troisième qui a eu un coup de fusil.
Donc, pour eux, c'est clair.
Et donc, ça finit par un double meurtre suivi d'un suicide.
Et d'ailleurs, bon, tout le monde y croit, hein.
Tout le monde y croit, puisque au moment des obsèques,
je veux dire, les deux filles seront enterrées ensemble
et le troisième ne sera pas enterré avec sa femme.
Il va être enterré dans un autre village.
Donc, même si c'est un double meurtre,
avec sa femme, il va être enterré dans un autre village.
Donc, même pour les parents, c'est tout à fait clair.
À cette époque, Maître Catherine Mounielou a seulement 26 ans.
Elle est étudiante en droit.
En décembre 1988, elle prête serment pour devenir avocate.
Et quelques semaines plus tard, Henri-Jean Jacomet débarque chez elle paniquée.
Après une plainte des parents de Fernando,
l'enquête pourtant clôturée a été relancée
et les soupçons se concentrent désormais sur le jeune ouvrier.
Tout au début du mois de février,
Henri-Jean et ses parents viennent nous voir et nous disent,
voilà, il y a des choses bizarres qui se passent dans le village.
Les gens tournent autour de moi et je ne comprends pas très bien.
Il est très interrogatif, il est encore sous le choc.
Mais je crois qu'il ne peut pas imaginer une seule seconde
ce qui est en train de se passer ou ce qui va lui arriver.
Il sait qu'autour de lui, il y a des choses bizarres qui se passent.
Il veut essayer de comprendre,
mais à aucun moment il a pu s'imaginer qu'on allait le...
Voilà, je ne sais pas, dans la garde à vue,
que vraiment il va essayer de comprendre ce qui se passe
avec des photos qu'on va lui montrer devant les yeux,
avec certains gifles qu'on va lui mettre.
Enfin, je veux dire, c'est ça, mais jusque-là, il ne peut pas imaginer ça.
Il se dit qu'il faut qu'il rentre dans le dossier,
qu'il faut qu'il regarde un petit peu les choses,
mais il ne sait pas.
Il est jeune.
L'enquête s'oriente ensuite vers Henri-Jean Jacomet,
qui devient suspect numéro un.
Henri-Jean Jacomet passe donc du jour au lendemain du statut de victime,
il a perdu sa femme, assassiné,
à celui de principal suspect dans cette affaire.
Après sa garde à vue, il est incarcéré en mars 1989.
Catherine Mounielou, elle, réalise que la première affaire criminelle
de sa carrière sera un dossier hors norme.
Alors, c'est jamais une affaire comme les autres,
parce que quand c'est votre première affaire criminelle
et que vous n'avez pas spécialement fait d'études à l'origine
pour faire du pénal,
non, c'est quand même une affaire incroyable.
Mais on n'a jamais pu imaginer que ça prendrait des proportions pareilles.
C'est-à-dire que pour nous,
il y avait un double meurtre suivi d'un suicide,
il y a un garçon qu'on essaie d'inculper,
mais on est là, on se dit on va le défendre et on va y arriver.
Il y a suffisamment d'éléments à ce moment-là
pour se dire on va le sortir de là,
puisque c'est un quiproquo,
mais jamais on va imaginer que ça va prendre des proportions pareilles.
Ça, jamais, même moi.
Je veux dire, au fur et à mesure,
non, c'était pas possible d'imaginer ça.
Non, c'est clair.
Je suis sûre que nous arriverons à le libérer,
à prouver son innocence,
et il ira jusqu'au bout pour l'obtenir.
Un massacre,
tel que celui qui s'est produit,
quel qu'en soit l'auteur,
ne peut pas avoir de véritable mobile rationnel.
Ça ne peut être qu'un coup de folie
de quelqu'un qui a perdu le contrôle de lui-même.
Je constate que M. Jacomet a toujours été dépeint
comme un homme extrêmement paisible et pacifique
et maître de lui.
Ce que personne ne peut imaginer à ce moment-là,
c'est que cette affaire va durer presque 15 ans.
Mais retournons en 1989.
Henri-Jean Jacomet est en prison
et des gendarmes plus aguerris aux affaires criminelles,
ceux de la section de recherche de Toulouse,
sont chargés de mener les investigations.
Eux en sont convaincus,
Fernando Rodriguez ne s'est pas suicidé,
il est bien l'une des victimes de ce triple meurtre
et le coupable ne peut être qu'Henri-Jean Jacomet.
Sauf que les gendarmes manquent de preuves.
Pendant plusieurs mois, leur enquête patine.
Jacomet est remis en liberté
jusqu'à une expertise scientifique
qui va faire basculer l'affaire.
Le laboratoire de recherche scientifique de Bordeaux
a apporté les preuves que Fernando Rodriguez,
son beau-frère, ne s'était pas suicidé.
Alors, qui l'a tué ?
Et donc, à ce moment-là, le nouveau juge d'instruction qui est nommé,
il va trouver lui comme solution d'aller nommer
un laboratoire de police privé,
qui n'est pas un laboratoire de police scientifique,
qui va essayer de démontrer par A plus B
que Fernando n'a pas pu se suicider.
En disant qu'il a le bras trop court
et que donc il n'a pas pu se suicider.
Ils vont élaborer une théorie
et à l'issue du dépôt de rapports,
Henri-Jean qui est libre sera reconvoqué devant le juge d'instruction
et sera mis en examen pour le truc inculpé du troisième meurtre
et à nouveau incarcéré.
Vous vous tapez la tête contre les murs quand même,
quand vous êtes avocat d'un …,
vous vous dites c'est pas possible, on va pas en sortir.
Madame, monsieur, bonsoir.
Henri Jacomet est devant la cour d'assises.
Ainsi, elle a décidé cet après-midi
la chambre d'accusation de la cour d'appel de Toulouse.
Il est tout à fait normal qu'il soit renvoyé devant la cour d'assises
et l'on ne peut pas dire, il me semble,
un quart de seconde et penser à plus forte raison
que la chambre d'accusation a voulu faire plaisir
ou rendre service à quelqu'un, elle n'est pas là pour ça.
On ne peut pas être dans le même état d'esprit.
Lui, il a une confiance absolue dans la justice.
C'est un homme d'une intégrité incroyable
qui a fait confiance à ses avocats du début jusqu'à la fin,
alors qu'il a bien évidemment été approché par les grands pénalistes
qui ont voulu prendre son dossier,
mais qui a fait confiance jusqu'au bout à ceux qui l'entouraient
et qui aborde ce procès en disant
je ne peux pas être reconnu comme coupable.
Donc il est incarcéré le soir,
il apportera une chemise par jour de procès, pas une de plus.
Quand il nous dit ça, nous, évidemment,
on croit qu'on va le sortir de là,
mais nous, on ne peut pas ne pas avoir le doute.
En tant qu'avocat, on vous dit,
bon, on a cru pendant très longtemps qu'on le sortirait,
qu'on n'arriverait pas jusque là, on l'a fait libérer, il est libre,
mais quoi qu'il en soit, il est devant la cour d'assises.
Donc, oui, on a un gros enjeu sur nos épaules,
d'autant qu'à ce moment-là, il n'y a pas d'appel possible.
C'est-à-dire que s'il est condamné,
c'est à moins d'un procès en révision, c'est fini.
Pas d'appel, donc le poids est lourd.
Non seulement je suis persuadé de l'innocence d'Henri-Jean Jacomet,
mais je suis persuadé que cette innocence est prouvée par le dossier lui-même.
Vous n'avez jamais pensé que votre fils s'est suicidé ?
Jamais, jamais.
C'est bien pour ça que j'ai continué ma route
pour faire suivre notre procédure.
Le procès s'ouvre le 6 juin 1995, devant la cour d'assises du Tarn,
dans une ambiance électrique.
Pendant sept jours, les témoins s'enchaînent
et les charges qui pèsent contre Henri-Jean Jacomet
deviennent de plus en plus fragiles.
En fait, ce dossier, c'est un château de cartes
qui, au fur et à mesure, vont s'écrouler.
Mais il n'y a rien sur la culpabilité de Jacomet.
Il n'y a aucun élément matériel.
Personne ne l'a vu rentrer dans la maison du crime à l'heure,
supposée par les gendarmes du crime,
qui n'est absolument pas établie par ailleurs.
On ne le voit pas avec des traces de coups ou de sang.
Il y a des scènes énormes quand on va interroger les gendarmes
de la section de recherche, les deux fameux gendarmes,
dont un qui va interroger tous les témoins.
Il y a le président de la cour d'assises qui va lui dire
« Mais enfin, vous avez des témoins à charger à des charges.
Qu'est-ce que vous pensez des témoins à des charges ? »
Et il dit « Mais ils ont été subjugués par M. Jacomet
parce qu'il n'y a que les témoins à charges qui sont valables. »
Vous êtes devant une cour d'assises,
vous entendez un gendarme de la section de recherche vous dire ça.
Donc tous les jours, il arrive des éléments qui permettent de dire
« Ce n'est pas possible, ça ne va pas tenir. »
Vous savez qu'on a assisté à la visualisation de la cassette
« Maître Guy de Buisson, avocat des partis civils ».
qui avait été enregistrée au moment de la découverte du massacre
avec des photos au choc extraordinaire.
On est allé au bout du tunnel de l'horreur.
Je regardais à ce moment-là Jacomet,
j'ai senti chez lui une certaine émotion.
Je ne sais pas par quoi elle était motivée,
c'est justement tout l'objet du mystère du procès Jacomet.
Je pense qu'il n'est pas impossible,
selon les questions qui lui seront posées
et la pression qu'il aura à subir,
qu'il craque si jamais il est coupable.
Mais malgré les zones d'ombre immenses, malgré les doutes,
malgré cette enquête qui s'écroule en direct,
le procureur requiert la réclusion criminelle à perpétuité
à l'encontre d'Henri-Jean Jacomet.
C'est désormais au juré de trancher.
Et là le midi, les jurés se retirent pour délibérer,
ils reviennent à 14h, 2h.
2h pour un dossier comme ça.
C'est rien.
C'est rien.
Donc là on se dit, on est plutôt contents.
Quand on entend qu'effectivement ils vont revenir,
on est plutôt sereins, mais bon.
Et qu'est-ce qui se passe ?
Et bien là, Henri-Jean est acquitté.
Et là, à ce moment-là,
je vous dis, les gens se lèvent dans la salle
et ceux qui se lèvent, c'est les gendarmes.
C'est même pas la famille,
c'est les gendarmes qui se lèvent.
Les parents, les parents, poussez-vous la télé !
Avoir eu peur, non, je ne pense pas.
De toute façon, même si j'avais été condamné,
je vais continuer à me battre.
Vous vous dites quoi là ?
C'est fini.
En fait, c'est fini.
Moi aussi, j'ai le réflexe de me dire,
on est tellement heureux pour lui que c'est...
Oui, mais c'est fini.
On a vraiment le sentiment qu'en fait, la justice a tranché.
Qu'elle a bien tranché et qu'elle a tranché
au bout quand même de plusieurs jours
où les choses ont été vraiment dites
et où tout a été mis sur le tapis.
Henri-Jean Jacomet est donc enfin blanchi par la justice.
L'histoire aurait pu s'arrêter là,
mais le calvaire va recommencer quelques mois plus tard.
Le principal suspect étant innocenté,
il faut trouver un coupable.
Rebondissement dans l'affaire de la tuerie du Hauss.
Dix ans après les faits, le dossier est réouvert.
Les familles des trois victimes ont déposé plainte
et une nouvelle enquête a été confiée
à un juge d'instruction de Saint-Gaudens.
On est alors en 1998,
dix ans après les faits,
et le nouveau juge d'instruction compte sur les progrès de la science
pour résoudre enfin cette enquête impossible.
Un tout jeune expert entre alors en jeu.
Il s'appelle Philippe Esperanza
et il est spécialisé dans l'analyse des traces de sang.
L'affaire Huauss, c'est pour moi une de mes premières affaires.
Je ne connais absolument pas l'affaire.
On parle du triple homicide du Hauss.
On lui prête plein de noms, je les ignore tous.
Mon premier contact avec cette affaire en est fin 1999.
Je suis revenu à l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie
depuis août de la même année
pour y développer au sein de cet institut
une nouvelle discipline qu'on appelle la morphoanalyse de traces de sang.
Et je commence à présenter mes premiers travaux,
mes premières audits, on va dire, à des enquêteurs
et à des techniciens qui sont en formation continue.
Et ces techniciens, dont un particulièrement, me dit
« Tiens, est-ce que tu es déjà venu dans la région de Toulouse
en arborant le blason gendarmique de la région ? »
Je lui dis « Non, je n'y suis pas allé. »
Il me dit « Vu ce que tu dis que tu es capable de faire,
je suis directeur d'enquête sur une affaire
qui pourrait avoir besoin de tes lumières. »
Et il s'avère que c'était l'affaire Huauss.
Donc je me rends sur les lieux,
je découvre les planches photo, la procédure,
mais surtout les planches photo.
Oui, on n'est pas sur une petite affaire.
Il y a quand même une femme qui est retrouvée
avec je crois plus de 13 plaies au niveau du cou
sur un tapis blanc dans un salon de la maison des parents.
À côté de ce salon, il y a l'entrée, un couloir assez important
qui est souillé de traces de sang.
On voit aussi des parties d'armes à feu.
De l'autre côté du salon où est découverte cette victime,
il y a la cuisine.
Dans cette cuisine, de grosses traces de sang également présentes.
Après cette cuisine, un autre couloir ou une autre entrée
qui présente aussi quelques traces de sang.
Et à la suite de ce couloir, l'entrée du cellier,
dans le cellier, un troisième corps.
Ah oui, quand même !
Donc j'ai quand même trois personnes qui sont là,
qui sont les trois décédées.
J'ai des armes à feu qui ont été utilisées.
J'ai des plaies contuses, j'ai des plaies tranchantes.
À moi de donner un maximum d'informations
pour permettre à l'enquêteur d'essayer de rebondir
et de donner un peu de matière à l'enquêteur
pour qu'il puisse essayer de deviner qui avait pu faire ça.
Comme Catherine Mounielou avant lui,
c'est donc en quasi débutant que Philippe Esperanza
aborde cette affaire assez vertigineuse.
Je me dis, ouh là, c'est peut-être un peu fort.
Il va falloir que j'avance vraiment pas à pas.
Donc plutôt que d'avoir peur et de prendre mes jambes à mon cou,
je m'attèle à vraiment être très dans la méthode.
Je n'ai peu de connaissances, en tout cas,
j'ai mes connaissances, mais je les ai peu utilisées.
Et du coup, là, il va falloir les utiliser,
mais avec beaucoup de méthodes,
pour justement ne pas raconter d'histoire
à des personnes qui sont face à une enquête,
à une personne qui a été déjà accusée.
Donc on est dans un contexte qui, pour moi, est lourd
et qui me demande d'être le plus sérieux possible.
Alors si, bien sûr, on doit toujours être sérieux,
là, je m'en remets une deuxième couche, on va dire.
Déjà, la procédure, étonnamment, pour des dossiers de 88, je trouve,
c'est que les clichés étaient de très grande qualité.
Donc j'ai quand même pu faire un vrai travail
parce que les photos documentaient vraiment au mieux, je trouve,
les faits, même si nous étions en 88.
Ensuite, on va sur les lieux.
Donc je me dis, oui, ça peut être intéressant d'aller sur les lieux.
Je vais me rendre compte de la largeur de ce couloir,
de la taille de cette pièce,
parce qu'il y a des traces sur le téléviseur et sur le rideau
qui est près du téléviseur, dans la salle où une des filles a été retrouvée.
Comme ça, je verrai un peu la distance, si c'est compatible.
Je dis, oui, bon, c'est bien intéressant pour les volumes.
Et quand j'arrive sur les lieux,
oui, c'est peut-être intéressant pour les volumes,
mais il y a même un endroit qui est l'entrée,
où je crois voir au plafond des traces
qui pourraient être consécutives aux faits qui se sont passés
presque 12 ans par avant.
Je me dis, waouh, on a l'impression d'être dans les lieux.
Je me rappelle que dans le salon,
le corps a été découvert sur un tapis en sorte de poils de chèvre,
poils longs, blancs, et il y a le même.
J'en ai été presque choqué.
Ma naïveté m'a montré que j'étais choqué.
L'enquêteur me dit, non, c'est pas le même.
Ils en ont racheté un, l'identique,
mais le canapé est toujours au même endroit,
la télé est toujours au même endroit.
Oui, les traces ne sont plus au sol, les corps ne sont plus au sol,
mais on peut être un mois après les faits,
les lieux auraient été identiques.
Ça m'a vraiment aidé d'aller sur les lieux
et de vraiment me rendre compte de ces volumes,
et ça m'a permis d'avancer dans ce dossier
avec la pression que je m'étais mise tout seul,
mais qui m'a été nécessaire pour bien avancer.
Et l'enquêteur, là, j'ai beaucoup apprécié,
c'est que l'enquêteur ne va pas m'aider.
J'entends par là qu'il ne veut pas me donner d'informations
sur les hypothèses que lui est en train d'élaborer, peut-être.
Je ne sais même pas s'il en élabore.
Ou alors d'autres hypothèses.
Je sais juste qu'une personne a été jugée et reconnue innocente dans ce dossier.
Mais pour moi, avec mon peu d'ancienneté,
alors j'avais déjà travaillé plusieurs années en criminalistique,
mais peu dans cette matière-là,
je me suis dit que c'est assez simple.
Il y a un homicide, il y a un triple homicide,
il y a quelqu'un qui est accusé,
il dit qu'il est innocent, mais bon, voilà.
Il est certainement coupable, si on s'intéressait à lui,
c'est certainement lui l'auteur des faits.
Et me voilà à travailler sur ces traces de sang.
Des traces, il y en a partout sur cette scène de crime.
Mais Philippe Esperanza se concentre d'abord sur le cas de Fernando Rodríguez.
S'est-il ou non suicidé ?
La question est centrale dans ce dossier.
Et dès les premières analyses, la réponse est sans appel.
Pour l'expert, Fernando n'a pas été tué,
il s'est bien donné la mort par arme à feu.
J'ai une dispersion des traces, bien sûr au plafond,
mais également au sol, qui interdisent la présence d'une autre personne.
Donc on va sur quelqu'un qui s'est tiré lui-même.
Une balle dans la tête, une trajectoire verticale.
Et il est impossible qu'une personne soit à proximité.
Sur la veste, je revois les mêmes traces,
tous confort, mais j'en vois d'autres.
J'en vois en dehors, sur le dos de la veste,
là ça colle pas, ça va pas du tout.
Et je me rappelle mes premiers cours de morpho,
on dit que quand on a des traces dans le dos,
c'est souvent qu'on a manipulé quelque chose au-dessus de notre épaule.
Et quand on est arrivé à l'arrière de son épaule,
avec l'arrêt brusque, ça vient souiller l'arrière de la veste qu'on porte.
Ça colle pas avec un emploi d'arme à feu, ça va pas.
À l'avant, à côté d'une épaule, j'ai d'autres traces qui sont circulaires,
qui ne collent pas du tout non plus avec l'arme à feu.
J'en ai d'autres qui sont bien ovoïdes, qui montrent bien qu'elles viennent vers la tête.
Et celles-ci qui sont circulaires, qui montrent qu'elles viennent d'en face.
Celles-ci ne collent pas.
J'ai dit, oula, il y a quand même un souci sur cette veste.
Or, dans les armes employées, j'ai une hache, avec un manche court,
et j'ai une épée.
Épée effleurée, en tout cas j'ai un élément tranchant type épée.
J'ai dit, c'est le style d'outil qui peut faire ça.
Donc ça veut dire que le porteur de cette veste,
a priori, peut-être l'auteur de violences
à l'encontre des deux femmes qui étaient présentes.
On n'est plus du tout sur l'intervention d'une tierce personne,
on est sur le porteur de cette veste qui a pu commettre d'autres faits
avant d'en arriver à son suicide.
Je dis, bah tiens, il faut qu'on fasse l'ADN de ces traces-là.
Et un jour, je reçois un appel téléphonique.
C'était le magistrat en charge d'instruction de ce dossier,
et qui veut lui-même m'annoncer les résultats génétiques.
Et la génétique qui a été menée sur toutes les traces qui souillaient cette veste,
montre qu'énormément correspondent au sang du porteur de cette veste,
que le porteur de cette veste est identifié comme celui qui sera décédé,
mais que les traces que j'avais mises de côté,
qui ne correspondaient pas au suicide, correspondent aux deux soeurs.
Donc aux deux autres victimes.
Et là, le magistrat m'en informe,
et me dit, je vais vous ressaisir,
pour que maintenant que vous avez les résultats génétiques,
dites-nous, selon la morphoanalyse de traces de sang,
que s'est-il déroulé.
Et là, on va pouvoir refaire les situations.
On va savoir, si j'ai des traces dans le dos, ça colle beaucoup plus avec l'épée.
Les traces qui étaient sur l'épaule collaient plus avec la hache à manche courbe,
parce que quand on la ramène vers soi, la hache va s'arrêter au niveau de l'épaule.
Donc les traces, au moment de l'arrêt, vont venir sur l'épaule,
et vont donc faire des traces circulaires.
L'épée, elle passe au-dessus de l'épaule, va donc faire des traces ovoïdes à l'arrière.
Donc on savait sur qui était utilisée l'épée,
donc maintenant je sais comment celui qui l'a manipulée se positionnait.
Donc on va refaire les positions,
on va faire l'agression des deux soeurs par Fernando Rodriguez,
et ensuite on va simuler son suicide.
Et il se trouve, je me souviens d'un collègue qui mesurait la même taille que Fernando Rodriguez,
et on va avoir une arme, comme on est à l'Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie,
on n'a peut-être pas l'arme sous-scellée, mais on a exactement la même,
et on va le voir manipuler l'arme,
et donc être dans la totale capacité d'appuyer sur la détente,
c'était une des problématiques du dossier,
d'être tout à fait capable d'appuyer sur la détente,
et d'avoir à tête dans une situation qui, lorsqu'elle va être atteinte par le projectile,
va provoquer toutes les traces que j'ai pu retrouver sur sa veste,
les précédentes ayant été créées au moment des blessures qu'il a infligées,
donc à sa femme et à sa belle-soeur.
12 ans après les faits, les traces de sang ont donc parlé,
et Philippe Esperanza parvient enfin à retracer le fil du drame.
Le meurtrier, Fernando Rodriguez, qui tue sa femme et sa belle-soeur avant de se suicider.
Tout devient limpide.
On a vraiment une scène comme si on avait ouvert une porte,
et on voit toute l'histoire.
Ma première sensation, c'est que j'ai peur,
parce que ce n'est pas du tout ce que je pensais au départ,
parce que, comme je l'indiquais, si on poursuit quelqu'un,
c'est que c'est certainement lui l'auteur,
il dit qu'il n'est pas l'auteur, mais bon, c'est tellement souvent...
Je pars de ce postulat qui est totalement erroné,
mais qui montre bien que je n'étais pas du tout dans l'état d'esprit de ce que j'allais trouver.
Ce à quoi j'arrive, un, me fait peur,
parce que ce n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais,
deux, me donne un peu le vertige, parce que je suis tout seul.
L'enquêteur ne m'a absolument pas fait part de ces hypothèses,
et je ne sais pas du tout.
J'ai entendu que lui avait été accusé, donc voilà,
je pense que c'est vers lui qu'il faut tendre,
et là, ce n'est pas du tout...
Donc j'ai plutôt peur.
Et la peur, moi, me fait dire, je vais revérifier.
J'ai revérifié, revérifié,
et je vais me confier à l'enquêteur, donc à Michel Roussel,
pour lui dire, là, maintenant, ça y est, j'ai envoyé au juge,
et moi, j'en arrive là, quoi.
Et là, la parole se libère,
j'entends l'enquêteur qui me dit,
ah, c'était la première idée des premiers intervenants,
les premiers gendarmes du village,
lorsqu'ils sont arrivés, un double homicide suivi d'un suicide.
J'en ai eu les épaules qui tombaient, quoi.
J'ai l'impression que je m'étais mis tout seul.
Mais en fin de compte, je ne suis pas le seul.
Et quand on n'est pas tout seul, on est rassuré.
Là, ça m'a rassuré de savoir que d'autres avaient déjà pensé à cela.
Philippe Esperanza rend donc ses conclusions,
et en 2003, le juge d'instruction clôture le dossier Huosse.
Henri-Jean Jacomet est définitivement innocenté.
Un immense soulagement pour son avocate,
maître Catherine Mounielou,
et une victoire qui doit beaucoup aux sciences criminelles.
Le montant sera ce qu'il est.
Je pense qu'il n'y a pas d'échelle, des valeurs,
pour mesurer ce genre de drame, de douleur, de peine.
Mais je crois que la justice doit faire ce petit pas aussi
qu'il lui reste à faire, et c'est nécessaire.
C'est un dossier qui effectivement démontre, ou a démontré,
tout ce qui avait pu être fait comme une chose minable au départ,
parce qu'on part vraiment sur les éléments qui ne sont pas des bons,
et comment on arrive effectivement à une solution
avec tout ce qu'il a été possible de faire ensuite.
C'est un des dossiers qui démontre le mieux
l'évolution de la police scientifique en France.
Depuis cette affaire, la morpho-analyse des traces de sang
est devenue une discipline incontournable en police scientifique.
Henri-Jean Jacomet, lui, est retourné vivre dans la région du Hoss.
Il n'a jamais obtenu l'indemnisation pour les mois passés en prison,
alors qu'il était innocent.
C'était Cold Case, la science face au crime.
Un podcast original France Info.
Quatrième épisode, tueries du Hoss,
quand la science innocente le coupable idéal.
Un récit de Margot Steve.
Réalisation Vanessa Nadjar.
Coordination Pauline Penanec.
Prises de son Olivia Branger et Andréas Jaffray.
Archi, les sous-titres sont à vous.
Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org