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Enlevé Kidnapped, Chapitre 13

Chapitre 13

XIII. La perte du brick

Il était déjà tard dans la soirée, et il faisait aussi sombre qu'il était possible à cette époque de l'année (c'est-à-dire qu'il faisait encore très clair) lorsque Hoseason avança la tête par la porte de la dunette.

– Dites donc, fit-il, venez un peu voir si vous êtes capable de nous piloter.

– Allez-vous nous jouer un tour ? demanda Alan.

– Est-ce que j'ai l'air disposé à jouer un tour ? s'écria le capitaine. J'ai autre chose à penser… Mon brick est en danger.

À sa mine préoccupée, et surtout au ton inquiet sur lequel il parlait de son brick, nous vîmes bien que c'était sérieux ; aussi Alan et moi, sans crainte de guet-apens, sortîmes sur le pont.

Le ciel était clair ; il ventait dur, et il faisait cruellement froid. Le crépuscule s'attardait à l'horizon, et la lune, presque pleine, resplendissait. Le brick louvoyait au plus près, pour doubler la pointe sud-ouest de l'île de Mull, dont nous avions les sommets (que dominait Ben More, empanaché de brume) par bâbord avant. Malgré l'orientation défavorable de sa voilure, le Covenant coupait les lames à grande vitesse, tanguant et roulant, poursuivi par la houle d'ouest.

En somme, la nuit n'était pas trop mauvaise pour tenir la mer ; et je me demandais ce qui pouvait bien préoccuper ainsi le capitaine, lorsque le brick s'élevant soudain au sommet d'une haute lame, il désigna quelque chose en nous criant de regarder. Par le bossoir sous le vent, une sorte de fontaine jaillit sur la mer, au clair de lune, et aussitôt après nous entendîmes un rugissement sourd.

– Comment appelez-vous cela ? demanda le capitaine d'un air sombre.

– La mer qui brise sur un écueil, dit Alan. Mais nous savons où il est ; que voulez-vous de mieux ?

– Oui, dit le capitaine ; si c'était le seul.

Et, en effet, tandis qu'il parlait, une deuxième fontaine jaillit vers le sud.

– Là ! dit Hoseason, vous l'avez vu. Si j'avais connu ces récifs, si j'avais une carte, ou si Shuan vivait encore, ce n'est pas soixante guinées, non, ni même six cents, qui m'auraient fait risquer mon brick dans un pareil cimetière ! Mais vous, monsieur, qui deviez nous piloter, n'avez-vous rien à dire ?

– Je crois, dit Alan, que ces rochers sont ceux qu'on appelle les Torran.

– Y en a-t-il beaucoup ? demanda le capitaine.

– À vrai dire, monsieur, répondit Alan, je ne suis pas pilote, mais j'ai dans l'idée qu'ils occupent dix milles d'étendue.

M. Riach et le capitaine se regardèrent.

– Il y a une passe, je suppose ? dit le capitaine.

– Sans doute, dit Alan, mais où ? Cependant je crois me rappeler que l'eau est plus libre vers la terre.

– Vraiment ? dit Hoseason. Il nous faut donc serrer le vent. Monsieur Riach, il nous faut doubler la pointe de Mull d'aussi près que possible ; mais alors la terre va nous intercepter la brise, avec ce cimetière de navires sous notre vent ! N'importe ! Nous y sommes, il ne nous reste plus qu'à poursuivre.

Il donna un ordre à l'homme de barre, et envoya Riach à la hune de misaine. Il n'y avait sur le pont que cinq hommes, y compris les officiers ; les seuls qui fussent aptes (ou du moins aptes et de bonne volonté) pour la manœuvre. Ce fut donc à M. Riach de monter en haut, et il s'installa dans la hune, surveillant la mer et nous criant sur le pont ce qu'il apercevait.

– La mer dans le sud est pleine de brisants, héla-t-il ; puis, au bout d'une minute : elle semble plus libre vers la terre.

– Eh bien, monsieur, dit Hoseason à Alan, nous allons essayer votre route. Mais je crois que je pourrais aussi bien me fier à un violoneux aveugle. Priez Dieu que vous soyez dans le vrai !

– Priez Dieu que je le sois ! me dit Alan. Mais où ai-je entendu cela… Bah ! ce qui doit arriver arrive.

À mesure que nous approchions de la pointe, les écueils se multipliaient jusque sur notre route ; et les appels de M. Riach nous faisaient sans cesse modifier notre course. Plusieurs fois, ce fut juste à temps, car nous passâmes si près d'un récif à bâbord que la mer en brisant dessus nous envoya jusque sur le pont une averse d'embruns.

La nuit claire nous laissait voir ce danger aussi nettement que s'il eût fait jour, et nous en étions peut-être encore plus alarmés. Elle me laissait voir aussi la mine du capitaine qui se tenait auprès de l'homme de barre, tantôt sur un pied, tantôt sur l'autre, et parfois soufflant dans ses mains, mais toujours aux écoutes et aux aguets, et aussi ferme que l'acier. Ni lui ni M. Riach n'avaient fait bonne figure dans le combat ; mais je vis qu'ils étaient braves dans leur métier, et les admirai d'autant plus qu'Alan me parut bien pâle.

– Pardieu, David, dit-il, ce genre de mort ne me plaît guère.

– Hé quoi ! Alan ! m'écriai-je, auriez-vous peur ?

– Non, dit-il, en se passant la langue sur les lèvres, mais vous avouerez que cette fin est par trop froide.

À ce moment, après avoir beaucoup louvoyé de côté et d'autre pour éviter les récifs, quoique toujours serrant de près le vent et la terre, nous avions dépassé Iona et arrivions à hauteur de Mull. Le courant de marée à la pointe de l'île était très violent, et menaçait de jeter le brick à la côte. On mit deux hommes à la barre, et Hoseason lui-même leur donnait parfois un coup de main. Le spectacle était singulier, de ces trois hommes vigoureux pesant de tout leurs poids sur le timon, qui se révoltait comme un être vivant, et les forçait à reculer. C'est alors que nous aurions couru le plus grand danger, si la mer n'eût été libre d'obstacles sur une certaine étendue. M. Riach, d'ailleurs, annonça d'en haut qu'il voyait la mer dégagée devant.

– Vous aviez raison, dit Hoseason à Alan. Vous avez sauvé le brick, monsieur ; et ne l'oublierai pas quand viendra l'heure des comptes.

Et je crois qu'il n'en avait pas seulement l'intention, mais qu'il l'aurait fait, tant le Covenant tenait de place dans son cœur. Mais ce n'est là qu'une hypothèse, les choses ayant tourné autrement qu'il ne le prévoyait.

– Appuyez d'un point en dehors, héla M. Riach. Récif au vent !

Mais à la même minute le flux s'empara du brick et lui déroba le vent. Les voiles retombèrent, inertes. Le navire fut emporté comme un jouet, et presque aussitôt il talonna contre un écueil avec une violente secousse qui nous fit tous tomber à plat sur le pont et faillit projeter M. Riach à bas de sa hune.

Je fus debout à l'instant. Le récif sur lequel nous avions touché était situé tout proche de la pointe sud-ouest de Mull, en face d'une petite île appelée Earraid, qui surgissait, basse et noire, à bâbord. Tantôt les lames déferlaient en plein sur nous ; tantôt elles ne faisaient qu'engager plus avant sur le récif le pauvre brick, que nous entendions se disloquer à mesure ; et les claquements des voiles, les sifflements du vent, l'écume emportée dans le clair de lune complétaient si bien ce tableau d'épouvante, que je dus en perdre à moitié la tête, car je me demandais si tout ce qui se passait était bien réel.

Je m'aperçus bientôt que M. Riach et les hommes s'affairaient autour de la yole, et, toujours dans le même état d'absence, je courus à leur aide. Mais dès que j'eus mis la main à la besogne, je recouvrai ma lucidité. La tâche n'était pas aisée, car la yole était amarrée au milieu du pont, et tout encombrée de cordages, et le déferlement des coups de mer m'obligeait sans cesse à lâcher prise ; néanmoins nous peinions comme des chevaux, de toutes nos forces.

À ce moment, les blessés capables de se mouvoir se hissèrent par le canot d'échelle et vinrent nous assister, et ceux qui ne pouvaient bouger de leurs couchettes me perçaient le cœur en nous suppliant à grands cris de les secourir.

Le capitaine ne faisait rien. Il semblait frappé de stupeur. Il se tenait aux étais, parlant tout seul et gémissant à chaque fois que le navire retombait sur l'écueil. Son brick lui était plus cher que tout au monde ; il avait pu assister, de longs jours, au supplice du pauvre Ransome ; mais à présent qu'il s'agissait de son brick, on eût dit qu'il partageait sa souffrance.

De tout le temps que nous travaillâmes autour de l'embarcation, je me rappelle une seule chose : que je demandai à Alan quel était le pays dont nous apercevions la côte ; et il répondit que c'était le pire possible pour lui, car ce territoire appartenait aux Campbell.

Nous avions chargé un des blessés de veiller aux lames et de nous avertir de leur venue. Or, nous allions enfin mettre le canot à la mer, quand cet homme poussa un cri : « Pour l'amour de Dieu, tenez bon ! » Nous comprîmes, à son intonation, qu'il s'agissait d'un coup de temps plus qu'ordinaire ; et en vérité la lame qui survint était si monstrueuse qu'elle enleva le brick et le laissa retomber sur le flanc. Je ne sais si le cri vint trop tard, ou si je me tenais mal ; mais la soudaine inclinaison du navire me projeta par-dessus les bastingages dans la mer.

Je m'enfonçai et bus un coup ; puis je revins à la surface, entrevis la lune, et coulai de nouveau. On dit que la troisième fois est la bonne. En ce cas, je ne dois pas être fait comme tout le monde, car je ne veux pas écrire combien de fois je coulai, et combien de fois je remontai. Cependant, j'étais roulé, battu, asphyxié par l'eau que j'avalais ; et le tout m'ahurissait au point que je n'avais ni peur ni regret.

À la fin, je m'aperçus que j'étais cramponné à une pièce de bois, grâce à laquelle je flottais à peu près. Alors je restai tranquille dans l'eau, et commençai à revenir à moi.

C'était la vergue de rechange que j'avais saisie, et je m'étonnai de voir à quelle distance du brick elle m'avait dérivé. Je hélai le brick ; mais il était évident qu'on n'entendait pas mes cris. Le navire tenait bon, mais j'étais trop loin et trop bas situé pour voir si le canot avait enfin été mis à la mer.

Tout en hélant le brick, je m'aperçus qu'entre lui et moi il y avait un espace exempt de grosses lames, mais qui était tout blanc sous la lune et couvert de remous. Parfois cette zone se déplaçait en bloc, de côté, comme la queue d'un serpent vivant ; parfois elle disparaissait entièrement, puis se remettait à bouillonner. Je ne devinais pas de quoi il s'agissait, et je m'en effrayai d'abord davantage, mais je compris bientôt que ce devait être le « raz » ou courant de jusant qui m'avait emporté si vite et roulé si rudement, et qui, à la fin, comme fatigué de ce jeu, m'avait rejeté avec la vergue sur sa limite extrême, vers la terre.

J'étais alors immobile, et m'aperçus bientôt que l'on peut mourir de froid aussi bien qu'en se noyant. Le rivage d'Earraid était tout proche ; j'apercevais au clair de lune les taches sombres de la bruyère et les roches pailletées de mica.

Il serait singulier, me dis-je, que je ne puisse aller jusque-là !

Je ne savais pas nager, car la rivière d'Esson était faible dans notre voisinage ; mais en m'appuyant des deux bras sur la vergue, et en lançant des coups de pied, je vis bientôt que j'avançais. L'exercice était rude, et mes progrès terriblement lents ; mais au bout d'une heure occupée à ruer et barboter, je me trouvai assez avancé entre les pointes d'une baie sablonneuse dominée par des collines basses.

La mer était tout à fait paisible ; on n'entendait pas de ressac ; la lune resplendissait ; mais je songeai que je n'avais jamais vu endroit si désert et lugubre. C'était pourtant la terre : l'eau devint si peu profonde que j'abandonnai ma vergue et m'avançai à pied dans le gué. Étais-je plus las que reconnaissant, je ne sais ; les deux, en tout cas : fatigué comme je ne l'avais jamais été avant cette nuit, et reconnaissant comme j'espère l'avoir été souvent, quoique jamais avec plus de motif.

Chapitre 13 Kapitel 13 Chapter 13 Capítulo 13 Capítulo 13

XIII. XIII. La perte du brick The loss of the brig

Il était déjà tard dans la soirée, et il faisait aussi sombre qu’il était possible à cette époque de l’année (c’est-à-dire qu’il faisait encore très clair) lorsque Hoseason avança la tête par la porte de la dunette. It was already late evening, and as dark as could be at this time of year (which is to say, still very light) when Hoseason poked his head out of the dunette door.

– Dites donc, fit-il, venez un peu voir si vous êtes capable de nous piloter. - Say," he said, "come and see if you can fly us.

– Allez-vous nous jouer un tour ? - Are you going to play a trick on us? demanda Alan. Alan asked.

– Est-ce que j’ai l’air disposé à jouer un tour ? - Do I look willing to play a trick? s’écria le capitaine. exclaimed the captain. J’ai autre chose à penser… Mon brick est en danger. I've got something else to think about... My brig is in danger.

À sa mine préoccupée, et surtout au ton inquiet sur lequel il parlait de son brick, nous vîmes bien que c’était sérieux ; aussi Alan et moi, sans crainte de guet-apens, sortîmes sur le pont. From his preoccupied expression, and especially from the worried tone in which he spoke about his brig, we could tell it was serious, so Alan and I, without fear of ambush, went out on deck.

Le ciel était clair ; il ventait dur, et il faisait cruellement froid. The sky was clear; it was windy and bitterly cold. Le crépuscule s’attardait à l’horizon, et la lune, presque pleine, resplendissait. Twilight lingered on the horizon, and the almost-full moon shone brightly. Le brick louvoyait au plus près, pour doubler la pointe sud-ouest de l’île de Mull, dont nous avions les sommets (que dominait Ben More, empanaché de brume) par bâbord avant. The brig tacked as close as possible, to round the south-western tip of the Isle of Mull, whose peaks we could see (dominated by Ben More, shrouded in mist) on our port bow. Malgré l’orientation défavorable de sa voilure, le Covenant coupait les lames à grande vitesse, tanguant et roulant, poursuivi par la houle d’ouest. Despite the unfavorable orientation of its sails, the Covenant cut through the waves at high speed, pitching and rolling, pursued by the westerly swell.

En somme, la nuit n’était pas trop mauvaise pour tenir la mer ; et je me demandais ce qui pouvait bien préoccuper ainsi le capitaine, lorsque le brick s’élevant soudain au sommet d’une haute lame, il désigna quelque chose en nous criant de regarder. All in all, it wasn't too bad a night to be at sea; and I was wondering what could be preoccupying the captain so, when the brig suddenly rose to the top of a high wave and pointed to something, shouting for us to look. Par le bossoir sous le vent, une sorte de fontaine jaillit sur la mer, au clair de lune, et aussitôt après nous entendîmes un rugissement sourd. Through the lee davit, a sort of fountain gushed out over the sea in the moonlight, and immediately afterwards we heard a dull roar.

– Comment appelez-vous cela ? - What do you call this? demanda le capitaine d’un air sombre. asked the captain darkly.

– La mer qui brise sur un écueil, dit Alan. - The sea breaking on a reef," says Alan. Mais nous savons où il est ; que voulez-vous de mieux ? But we know where it is; what more could you want?

– Oui, dit le capitaine ; si c’était le seul. - Yes," says the captain, "if he were the only one.

Et, en effet, tandis qu’il parlait, une deuxième fontaine jaillit vers le sud. And, indeed, as he spoke, a second fountain gushed forth to the south.

– Là ! - Here! dit Hoseason, vous l’avez vu. says Hoseason, you've seen it. Si j’avais connu ces récifs, si j’avais une carte, ou si Shuan vivait encore, ce n’est pas soixante guinées, non, ni même six cents, qui m’auraient fait risquer mon brick dans un pareil cimetière ! If I'd known about these reefs, if I had a map, or if Shuan were still alive, not sixty guineas, no, not even six hundred, would have made me risk my brig in such a graveyard! Mais vous, monsieur, qui deviez nous piloter, n’avez-vous rien à dire ? But you, sir, who were supposed to pilot us, don't you have anything to say?

– Je crois, dit Alan, que ces rochers sont ceux qu’on appelle les Torran. - I believe," says Alan, "that these rocks are what we call the Torran.

– Y en a-t-il beaucoup ? - Are there many of them? demanda le capitaine. asked the captain.

– À vrai dire, monsieur, répondit Alan, je ne suis pas pilote, mais j’ai dans l’idée qu’ils occupent dix milles d’étendue. - To tell you the truth, sir," replied Alan, "I'm not a pilot, but I've got an idea that they occupy ten miles of land.

M. Riach et le capitaine se regardèrent. Mr. Riach and the captain looked at each other.

– Il y a une passe, je suppose ? - There's a pass, I suppose? dit le capitaine. says the captain.

– Sans doute, dit Alan, mais où ? - No doubt," said Alan, "but where? Cependant je crois me rappeler que l’eau est plus libre vers la terre. However, I seem to remember that the water is freer towards the land.

– Vraiment ? - Really? dit Hoseason. says Hoseason. Il nous faut donc serrer le vent. So we need to keep a tight rein on the wind. Monsieur Riach, il nous faut doubler la pointe de Mull d’aussi près que possible ; mais alors la terre va nous intercepter la brise, avec ce cimetière de navires sous notre vent ! Mr Riach, we need to pass the tip of Mull as closely as possible, but then the land will intercept our breeze, with this graveyard of ships to leeward! N’importe ! No matter! Nous y sommes, il ne nous reste plus qu’à poursuivre. Here we are, all we have to do is keep going.

Il donna un ordre à l’homme de barre, et envoya Riach à la hune de misaine. He gave an order to the helmsman, and sent Riach to the foresail. Il n’y avait sur le pont que cinq hommes, y compris les officiers ; les seuls qui fussent aptes (ou du moins aptes et de bonne volonté) pour la manœuvre. There were only five men on deck, including the officers; the only ones fit (or at least fit and willing) for maneuvering. Ce fut donc à M. Riach de monter en haut, et il s’installa dans la hune, surveillant la mer et nous criant sur le pont ce qu’il apercevait. So it was Mr. Riach's turn to climb up, and he settled himself in the jib, watching the sea and shouting to us on deck what he saw.

– La mer dans le sud est pleine de brisants, héla-t-il ; puis, au bout d’une minute : elle semble plus libre vers la terre. - The sea in the south is full of breakers, he hailed; then, after a minute: it seems freer towards the land.

– Eh bien, monsieur, dit Hoseason à Alan, nous allons essayer votre route. - Well, sir," said Hoseason to Alan, "we'll try your route. Mais je crois que je pourrais aussi bien me fier à un violoneux aveugle. But I think I might as well trust a blind fiddler. Priez Dieu que vous soyez dans le vrai ! Pray to God you're right!

– Priez Dieu que je le sois ! - Pray God I am! me dit Alan. Alan tells me. Mais où ai-je entendu cela… Bah ! But where did I hear that... Bah! ce qui doit arriver arrive. what has to happen, happens.

À mesure que nous approchions de la pointe, les écueils se multipliaient jusque sur notre route ; et les appels de M. Riach nous faisaient sans cesse modifier notre course. As we approached the headland, reefs multiplied right along our route, and Mr. Riach's calls made us change our course all the time. Plusieurs fois, ce fut juste à temps, car nous passâmes si près d’un récif à bâbord que la mer en brisant dessus nous envoya jusque sur le pont une averse d’embruns. Several times, it was just in time, as we passed so close to a reef on our port side that the sea broke over it and sent a shower of spray all the way to the deck.

La nuit claire nous laissait voir ce danger aussi nettement que s’il eût fait jour, et nous en étions peut-être encore plus alarmés. The clear night let us see this danger as clearly as if it had been daylight, and we were perhaps even more alarmed. Elle me laissait voir aussi la mine du capitaine qui se tenait auprès de l’homme de barre, tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre, et parfois soufflant dans ses mains, mais toujours aux écoutes et aux aguets, et aussi ferme que l’acier. I could also see the look on the captain's face as he stood next to the helmsman, sometimes on one foot, sometimes on the other, sometimes blowing into his hands, but always on the lookout and as firm as steel. Ni lui ni M. Riach n’avaient fait bonne figure dans le combat ; mais je vis qu’ils étaient braves dans leur métier, et les admirai d’autant plus qu’Alan me parut bien pâle. Neither he nor Mr. Riach had looked good in the fight, but I saw that they were brave in their profession, and admired them all the more for Alan's pale face.

– Pardieu, David, dit-il, ce genre de mort ne me plaît guère. - By God, David," he said, "I don't like that kind of death.

– Hé quoi ! - Hey! Alan ! Alan! m’écriai-je, auriez-vous peur ? I cried, "Are you afraid?

– Non, dit-il, en se passant la langue sur les lèvres, mais vous avouerez que cette fin est par trop froide. - No," he says, running his tongue over his lips, "but you must admit that this ending is a little too cold.

À ce moment, après avoir beaucoup louvoyé de côté et d’autre pour éviter les récifs, quoique toujours serrant de près le vent et la terre, nous avions dépassé Iona et arrivions à hauteur de Mull. By this time, after a lot of sideways and backwards sailing to avoid the reefs, though still hugging the wind and land, we had passed Iona and were level with Mull. Le courant de marée à la pointe de l’île était très violent, et menaçait de jeter le brick à la côte. The tidal current at the tip of the island was very violent, threatening to throw the brig ashore. On mit deux hommes à la barre, et Hoseason lui-même leur donnait parfois un coup de main. Two men were put at the helm, and Hoseason himself occasionally lent a hand. Le spectacle était singulier, de ces trois hommes vigoureux pesant de tout leurs poids sur le timon, qui se révoltait comme un être vivant, et les forçait à reculer. It was a singular sight, these three vigorous men putting all their weight on the tiller, which rebelled like a living creature, forcing them to back off. C’est alors que nous aurions couru le plus grand danger, si la mer n’eût été libre d’obstacles sur une certaine étendue. That's when we would have been in the greatest danger, if the sea hadn't been free of obstacles for some distance. M. Riach, d’ailleurs, annonça d’en haut qu’il voyait la mer dégagée devant. Mr. Riach, moreover, announced from above that he could see the open sea ahead.

– Vous aviez raison, dit Hoseason à Alan. - You were right," says Hoseason to Alan. Vous avez sauvé le brick, monsieur ; et ne l’oublierai pas quand viendra l’heure des comptes. You saved the brig, sir, and I won't forget it when it's time to reckon.

Et je crois qu’il n’en avait pas seulement l’intention, mais qu’il l’aurait fait, tant le Covenant tenait de place dans son cœur. And I think he not only intended to, but would have done so, such was the Covenant's place in his heart. Mais ce n’est là qu’une hypothèse, les choses ayant tourné autrement qu’il ne le prévoyait. But that's just a hypothesis, as things turned out differently than he expected.

– Appuyez d’un point en dehors, héla M. Riach. - Press a point outside," hailed Mr. Riach. Récif au vent ! Windward reef!

Mais à la même minute le flux s’empara du brick et lui déroba le vent. But at the same minute, the ebb seized the brig and stole the wind. Les voiles retombèrent, inertes. The sails fell back inertly. Le navire fut emporté comme un jouet, et presque aussitôt il talonna contre un écueil avec une violente secousse qui nous fit tous tomber à plat sur le pont et faillit projeter M. Riach à bas de sa hune. The ship was swept along like a toy, and almost immediately slammed into a reef with a violent jolt that knocked us all flat on the deck and nearly threw Mr. Riach off his jib.

Je fus debout à l’instant. I was up and about in an instant. Le récif sur lequel nous avions touché était situé tout proche de la pointe sud-ouest de Mull, en face d’une petite île appelée Earraid, qui surgissait, basse et noire, à bâbord. The reef we'd touched was very close to the south-western tip of Mull, opposite a small island called Earraid, which loomed low and black to port. Tantôt les lames déferlaient en plein sur nous ; tantôt elles ne faisaient qu’engager plus avant sur le récif le pauvre brick, que nous entendions se disloquer à mesure ; et les claquements des voiles, les sifflements du vent, l’écume emportée dans le clair de lune complétaient si bien ce tableau d’épouvante, que je dus en perdre à moitié la tête, car je me demandais si tout ce qui se passait était bien réel. At times, the waves were crashing down on us; at others, they were simply driving the poor brig further onto the reef, and we could hear it breaking up as it went; and the slapping of the sails, the whistling of the wind, the foam being blown away in the moonlight, completed this picture of horror so well that I must have half lost my head, for I wondered if all that was happening was real.

Je m’aperçus bientôt que M. Riach et les hommes s’affairaient autour de la yole, et, toujours dans le même état d’absence, je courus à leur aide. I soon realized that Mr. Riach and the men were busying themselves around the skiff, and, still in the same state of absence, I ran to their aid. Mais dès que j’eus mis la main à la besogne, je recouvrai ma lucidité. La tâche n’était pas aisée, car la yole était amarrée au milieu du pont, et tout encombrée de cordages, et le déferlement des coups de mer m’obligeait sans cesse à lâcher prise ; néanmoins nous peinions comme des chevaux, de toutes nos forces. It wasn't an easy task, as the skiff was moored in the middle of the deck, cluttered with ropes, and the pounding seas kept forcing me to let go; nevertheless, we toiled like horses, with all our might.

À ce moment, les blessés capables de se mouvoir se hissèrent par le canot d’échelle et vinrent nous assister, et ceux qui ne pouvaient bouger de leurs couchettes me perçaient le cœur en nous suppliant à grands cris de les secourir. At this point, the wounded who were able to move pulled themselves up by the ladder boat and came to our assistance, and those who couldn't move from their bunks pierced my heart as they cried out to us for help.

Le capitaine ne faisait rien. The captain did nothing. Il semblait frappé de stupeur. He seemed stunned. Il se tenait aux étais, parlant tout seul et gémissant à chaque fois que le navire retombait sur l’écueil. He stood at the props, talking to himself and groaning every time the ship fell back onto the reef. Son brick lui était plus cher que tout au monde ; il avait pu assister, de longs jours, au supplice du pauvre Ransome ; mais à présent qu’il s’agissait de son brick, on eût dit qu’il partageait sa souffrance. His brig was dearer to him than anything else in the world; for many days, he had witnessed poor Ransome's ordeal; but now that it was his brig, it was as if he shared his suffering.

De tout le temps que nous travaillâmes autour de l’embarcation, je me rappelle une seule chose : que je demandai à Alan quel était le pays dont nous apercevions la côte ; et il répondit que c’était le pire possible pour lui, car ce territoire appartenait aux Campbell. Of all the time we worked around the boat, I remember only one thing: that I asked Alan about the country whose coast we could see; and he replied that it was the worst possible for him, as this territory belonged to the Campbells.

Nous avions chargé un des blessés de veiller aux lames et de nous avertir de leur venue. We had asked one of the wounded to look after the blades and warn us of their arrival. Or, nous allions enfin mettre le canot à la mer, quand cet homme poussa un cri : « Pour l’amour de Dieu, tenez bon ! We were just about to launch the dinghy when this man shouted: "For God's sake, hold on! » Nous comprîmes, à son intonation, qu’il s’agissait d’un coup de temps plus qu’ordinaire ; et en vérité la lame qui survint était si monstrueuse qu’elle enleva le brick et le laissa retomber sur le flanc. "We understood from his intonation that this was a more-than-ordinary stroke of time; and in truth the blade that came was so monstrous that it took the brig off her feet and let her fall back on her side. Je ne sais si le cri vint trop tard, ou si je me tenais mal ; mais la soudaine inclinaison du navire me projeta par-dessus les bastingages dans la mer. I don't know if the cry came too late, or if I was holding on too tightly; but the sudden tilt of the ship threw me over the railings into the sea.

Je m’enfonçai et bus un coup ; puis je revins à la surface, entrevis la lune, et coulai de nouveau. I went under and had a drink; then I came to the surface, caught a glimpse of the moon, and sank again. On dit que la troisième fois est la bonne. Third time's the charm. En ce cas, je ne dois pas être fait comme tout le monde, car je ne veux pas écrire combien de fois je coulai, et combien de fois je remontai. In this case, I must not be made like everyone else, because I don't want to write down how many times I sank, and how many times I rose. Cependant, j’étais roulé, battu, asphyxié par l’eau que j’avalais ; et le tout m’ahurissait au point que je n’avais ni peur ni regret. However, I was rolled, beaten, asphyxiated by the water I swallowed; and the whole thing bewildered me to the point where I had neither fear nor regret.

À la fin, je m’aperçus que j’étais cramponné à une pièce de bois, grâce à laquelle je flottais à peu près. In the end, I realized that I was clinging to a piece of wood, thanks to which I was more or less floating. Alors je restai tranquille dans l’eau, et commençai à revenir à moi. So I stayed still in the water, and began to come to.

C’était la vergue de rechange que j’avais saisie, et je m’étonnai de voir à quelle distance du brick elle m’avait dérivé. It was the spare yard I'd grabbed, and I was amazed at how far from the brig it had drifted me. Je hélai le brick ; mais il était évident qu’on n’entendait pas mes cris. I hailed the brig, but it was obvious that my cries were not heard. Le navire tenait bon, mais j’étais trop loin et trop bas situé pour voir si le canot avait enfin été mis à la mer. The ship was holding on, but I was too far away and too low to see if the canoe had finally been launched.

Tout en hélant le brick, je m’aperçus qu’entre lui et moi il y avait un espace exempt de grosses lames, mais qui était tout blanc sous la lune et couvert de remous. As I hailed the brig, I realized that between it and me there was a space free of large waves, but which was white under the moon and covered with eddies. Parfois cette zone se déplaçait en bloc, de côté, comme la queue d’un serpent vivant ; parfois elle disparaissait entièrement, puis se remettait à bouillonner. Sometimes this area would move in a block, sideways, like the tail of a living snake; sometimes it would disappear entirely, then start bubbling again. Je ne devinais pas de quoi il s’agissait, et je m’en effrayai d’abord davantage, mais je compris bientôt que ce devait être le « raz » ou courant de jusant qui m’avait emporté si vite et roulé si rudement, et qui, à la fin, comme fatigué de ce jeu, m’avait rejeté avec la vergue sur sa limite extrême, vers la terre. I couldn't make out what it was, and at first I was even more frightened, but I soon realized that it must have been the "raz" or ebb current that had carried me along so fast and rolled me so roughly, and which, in the end, as if tired of this game, had thrown me back with the yard on its extreme limit, towards land.

J’étais alors immobile, et m’aperçus bientôt que l’on peut mourir de froid aussi bien qu’en se noyant. I stood there motionless, and soon realized that you can freeze to death as well as drown. Le rivage d’Earraid était tout proche ; j’apercevais au clair de lune les taches sombres de la bruyère et les roches pailletées de mica. The Earraid shoreline was close at hand, and in the moonlight I could see the dark patches of heather and the mica-spangled rocks.

Il serait singulier, me dis-je, que je ne puisse aller jusque-là ! It would be odd, I thought, if I didn't get that far!

Je ne savais pas nager, car la rivière d’Esson était faible dans notre voisinage ; mais en m’appuyant des deux bras sur la vergue, et en lançant des coups de pied, je vis bientôt que j’avançais. I couldn't swim, as the Esson River was weak in our vicinity; but by leaning both arms on the yardarm, and kicking, I soon saw that I was making headway. L’exercice était rude, et mes progrès terriblement lents ; mais au bout d’une heure occupée à ruer et barboter, je me trouvai assez avancé entre les pointes d’une baie sablonneuse dominée par des collines basses. The exercise was hard, and my progress terribly slow; but after an hour of kicking and splashing, I found myself well advanced between the points of a sandy bay dominated by low hills.

La mer était tout à fait paisible ; on n’entendait pas de ressac ; la lune resplendissait ; mais je songeai que je n’avais jamais vu endroit si désert et lugubre. The sea was quite peaceful; no surf could be heard; the moon was shining brightly; but I thought I'd never seen a place so deserted and gloomy. C’était pourtant la terre : l’eau devint si peu profonde que j’abandonnai ma vergue et m’avançai à pied dans le gué. The water became so shallow that I abandoned my yardarm and walked into the ford. Étais-je plus las que reconnaissant, je ne sais ; les deux, en tout cas : fatigué comme je ne l’avais jamais été avant cette nuit, et reconnaissant comme j’espère l’avoir été souvent, quoique jamais avec plus de motif. Was I more weary than grateful, I don't know; both, in any case: weary as I'd never been before tonight, and grateful as I hope I've often been, though never with more motive.