Leçon 48 - Quelle richesse!
(Le lendemain, chez les Belleau. Mireille, Robert, et Marie-Laure attendent leurs amis. Ils ont quelques difficultés à arrêter un itinéraire. On sonne.)
Marie-Laure: Je vais ouvrir. C'est Hubert!
Hubert: Ça va depuis hier? Tenez, regardez, j'apporte Les Châteaux de France. Les autres ne sont pas là?
Mireille: Tiens, les voilà.
Colette (les bras chargés de petits paquets): Bonjour, les enfants!
Mireille: Mais tu es bien chargée! Qu'est-ce que tu apportes?
Colette: Le Gault et Millau, le Guide de l'Auto-Journal, le Guide Michelin avec la carte des trois étoiles, des madeleines de Commercy, des berlingots de Carpentras, du nougat de Montélimar, et des bêtises de Cambrai pour Marie-Laure.
Mireille: Oh, je pense que tu la gâtes un peu trop!
Colette: J'espère qu'elle nous en laissera goûter un peu.
Marie-Laure: Je ne sais pas, il faut voir. Si vous m'emmenez avec vous, d'accord. Sinon, je garde tout.
Mireille: Mais allons, Marie-Laure, tu sais très bien qu'on ne peut pas t'emmener! Tu iras à Saint-Jeande-Luz avec Papa et Maman.
Marie-Laure: Non, non! Moi, je ne veux pas aller à Saint-Jean-de-Luz avec Papa et Maman. Je veux aller avec vous! Je m'en fiche, si vous ne voulez pas m'emmener, je partirai toute seule. Et je ne dirai pas où je vais. Et tu seras bien embêtée!
Mireille: Mais allons, Marie-Laure, arrête de dire des bêtises et offre des bonbons à tout le monde.
Marie-Laure: Pas à toi! (À Robert) Qu'est-ce qu'il veut, mon cow-boy adoré? Des bêtises de Cambrai, des berlingots de Carpentras, du nougat de Montélimar, ou des madeleines de Commercy?
Robert: Une bêtise!
Hubert: Alors, on est bien tous d'accord, on va d'abord à Rouen?
Jean-Michel: À Tourcoing!
Mireille: Bon, alors, j'ai bien réfléchi: on ne va ni à Rouen, ni à Tourcoing, mais à Ouessant.
Robert: Ouessant? Où est-ce, ça, Ouessant?
Mireille: En mer. À vingt kilomètres des côtes de Bretagne. Bon, j'ai une idée. On met la table de côté et on met la carte par terre. Ce sera mieux!
Hubert: C'est une idée. Faisons la France en bateau.
Robert: La France en bateau? C'est moi que vous voulez mener en bateau?
Hubert: Mais non, cher ami, personne ne veut vous mener en bateau! Je ne me permettrais pas de me moquer de vous. Non, non, c'est tout à fait sérieux, je ne plaisante pas. On peut très bien faire la France en bateau! Pensez, cinq mille kilomètres de côtes!
Mireille: Ça en fait, des plages! On va pouvoir se baigner tous les jours.
Jean-Michel: Oh, eh, là, minute! Ça dépend où! Moi, je ne me baigne pas dans la Manche ni dans la Mer du Nord. Pas question! C'est trop froid.
Hubert: Monsieur est frileux! Mais, cher Monsieur, il y a des gens qui se baignent en janvier, au milieu des glaçons et des ours blancs!
Marie-Laure: C'est vrai?
Mireille: Je n'en suis pas sûre.
Marie-Laure: Ils ont sûrement des combinaisons thermiques!
Robert: Je vois très bien comment on pourrait longer la côte depuis la Belgique jusqu'au Pays Basque, mais comment passer de là à la Méditerranée? Ça, je vois moins bien, même si Louis XIV a supprimé les Pyrénées!
Marie-Laure: Mais il ne les a pas supprimées pour de vrai!
Hubert: Aucun problème! On remonte la Garonne, et puis on prend le canal du Midi (encore une grande réalisation de Louis XIV, entre parenthèses), et on arrive à la Méditerranée.
Jean-Michel: Oh, là, là! Il y en a qui commencent à m'embêter avec leur Louis XIV! Cela dit, je reconnais qu'on peut aller presque partout en bateau, avec tous ces fleuves, toutes ces rivières, tous ces canaux.
Hubert: Oui, bien sûr! De la Manche, on pourrait remonter la Seine, puis la Marne; de la Marne, passer dans la Saône par le canal; de la Saône, on passe dans le Rhône, et on descend tranquillement jusqu'à la Méditerranée.
Colette: Et on va manger une bouillabaisse à Marseille! Voilà: la vraie bouillabaisse de Marseille. Vous voulez la recette?
Hubert: Mais j'y pense. Ma famille a un petit voilier à Villequier. On pourrait peut-être l'emprunter!
Mireille: Eh, minute! Je n'ai pas envie d'aller me noyer à la fleur de l'âge!
Marie-Laure: Pourquoi tu te noierais? Tu sais nager!
Mireille: Oui, mais faire de la voile à Villequier, c'est dangereux.
Marie-Laure: Pourquoi?
Mireille: Tu sais, Victor Hugo. (Marie-Laure: Oui.)
Mireille: Eh bien, il avait une fille. (Marie-Laure: Oui.)
Mireille: Et cette fille, elle s'est mariée. (Marie-Laure: Ouais.)
Mireille: Et un jour, elle est allée avec son mari à Villequier, sur la Seine, dans une propriété de la famille. (Marie-Laure: Ouais.)
Mireille: Et là, il y avait un bateau, un voilier. Alors elle est allée faire du bateau sur la Seine, avec son mari. (Marie-Laure: Ouais?)
Mireille: Et le bateau s'est retourné, et elle s'est noyée.
Marie-Laure: Et alors?
Mireille: Et alors, Victor Hugo a écrit un poème.
Marie-Laure: Et toi, tu ne veux pas aller te noyer à Villequier, parce que Papa n'écrirait pas de poème.
Mireille: Voilà, tu as tout compris.
Jean-Michel: Eh bien, moi, je n'ai pas non plus envie d'aller me noyer à la fleur de l'âge. Et puis moi, je ne vais pas passer l'été à faire du tourisme sur un yacht de fils à papa! J'aurais mauvaise conscience. Et puis, de toute façon, ce n'est pas à bord d'un yacht qu'on peut découvrir la vraie France. Non, il faut aller voir la France qui travaille. Il faut aller voir les ouvriers des aciéries de Lorraine, les mineurs de fond. Il faut aller voir fabriquer les pneus Michelin, l'Airbus, les voitures Renault et les pointes Bic. C'est ça, la France! La vraie France, ce sont les travailleurs.
Hubert: Les travailleurs! Ce ne sont pas eux qui fabriquent les Renault!
Jean-Michel: Ah, non? Et c'est qui, d'après toi?
Hubert: Les robots! Et puis, vous me faites rire avec vos pointes Bic. La France est peut-être à la pointe du progrès avec les pointes Bic; la pointe Bic est une magnifique réussite technique et commerciale, d'accord. Mais il y a des choses encore plus remarquables. Tenez, prenez l'usine marémotrice de la Rance, par exemple, hein? Ce n'est pas partout qu'on fait de l'énergie électrique avec la force des marées!
Jean-Michel: Tu me fais rigoler avec ta marémotrice. La marémotrice de la Rance, oui, ce n'est pas mal, mais les Russes aussi en ont une, de marémotrice!
Hubert: Qu'ils ont copiée sur la nôtre!
Jean-Michel: Ça, c'est à voir!
Hubert: C'est tout vu! D'ailleurs, il n'y a pas que les Russes! Le monde entier nous copie, parce que toutes les grandes découvertes ont eu leur origine en France: La pasteurisation, la radioactivité, la boîte de conserve, le stéthoscope . . . Euh . . . le champagne, l'aviation, umm, le télégraphe, le cinéma, le principe de Carnot, le foie gras, l'amour, la liberté.
Jean-Michel: Ce n'est pas possible d'être chauvin à ce point-là!
Jean-Michel: Tenez, un truc qui est vachement bien, c'est les installations d'énergie solaire dans les Pyrénées Orientales. Vous connaissez? Ça, c'est quelque chose! Je me rappelle avoir vu, quand j'étais petit, un four solaire qui liquéfiait les métaux en un clin d'oeil. Vous vous rendez compte? Du métal qui fond au soleil! Ça m'avait sidéré.
Colette: Tu nous embêtes avec ta sidérurgie. Ça n'intéresse personne.
Jean-Michel: Ah, ben! La sidérurgie solaire, je t'assure que c'est quelque chose. C'est impressionnant!
Mireille: Tiens, Marie-Laure, on a sonné. Tu vas voir?
(Marie-Laure va ouvrir la porte d'entrée; c'est l'homme en noir. Elle revient dans le salon. Personne n'a fait très attention à ce qui s'était passé.)
Mireille (plus occupée de son projet de voyage que de l'incident de la porte): Qu'est-ce que c'était?
Marie-Laure: Le frère de la soeur.
Mireille: Qui?
Marie-Laure: Tu sais bien, le frère de la bonne soeur qui était venue l'autre jour.
Mireille: Et qu'est-ce qu'il voulait?
Marie-Laure: Il me rapportait mes boules de gomme.
Mireille: Tu les avais perdues?
Marie-Laure: Non.
Mireille: Mais qu'est-ce que c'était, ces boules de gomme qu'il te rapportait?
Marie-Laure: Ce n'étaient pas les miennes. C'étaient d'autres boules de gomme.
Mireille: Je n'y comprends rien.
Marie-Laure: C'est pourtant simple! Il m'a dit: “Je vous rapporte vos boules de gomme.” Mais j'ai vu que ce n'étaient pas les miennes, alors je lui ai dit: “Non, ce ne sont pas les miennes.” Je les lui ai rendues, alors il est parti.
Mireille: Ce n'est pas très clair! C'est bien mystérieux, cette histoire de boules de gomme.
Marie-Laure: Ben, toi, on peut dire que tu n'es pas douée, hein!
(Tout le monde se lève pour partir.)
Colette: Oh, mais il est cinq heures. Il faut que je parte.
Hubert: Je vous accompagne.
Jean-Michel: Oui, moi aussi, il faut que je parte.
Hubert: Au revoir! On se téléphone.
(Robert aussi s'en va.)
Marie-Laure: Moi aussi, je descends.
Mireille: Tu vas où?
Marie-Laure: Au jardin.
Mireille: Bon, d'accord, mais tu reviens à six heures, tu entends? Six heures pile! Papa et Maman ne sont pas là, ce soir. Alors, on mangera tôt, et si tu es sage, on ira au cinéma.
Marie-Laure: Chouette!
Mireille: Six heures, pile! Pas une minute de plus!
Marie-Laure: Oui !