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Lettres de mon moulin (Alphonse Daudet, 1887), LES ÉTOILES.

LES ÉTOILES. récit d'un berger provençal Du temps que je gardais les bêtes sur le Luberon, je restais des semaines entières sans voir âme qui vive, seul dans le pâturage avec mon chien Labri et mes ouailles. De temps en temps l'ermite du Mont-de-l'Ure passait par là pour chercher des simples ou bien j'apercevais la face noire de quelque charbonnier du Piémont ; mais c'étaient des gens naïfs, silencieux à force de solitude, ayant perdu le goût de parler et ne sachant rien de ce qui se disait en bas dans les villages et les villes. Aussi, tous les quinze jours, lorsque j'entendais, sur le chemin qui monte, les sonnailles du mulet de notre ferme m'apportant les provisions de quinzaine, et que je voyais apparaître peu à peu, au-dessus de la côte, la tête éveillée du petit miarro (garçon de ferme), ou la coiffe rousse de la vieille tante Norade, j'étais vraiment bien heureux. Je me faisais raconter les nouvelles du pays d'en bas, les baptêmes, les mariages ; mais ce qui m'intéressait surtout, c'était de savoir ce que devenait la fille de mes maîtres, notre demoiselle Stéphanette, la plus jolie qu'il y eût à dix lieues à la ronde. Sans avoir l'air d'y prendre trop d'intérêt, je m'informais si elle allait beaucoup aux fêtes, aux veillées, s'il lui venait toujours de nouveaux galants ; et à ceux qui me demanderont ce que ces choses-là pouvaient me faire, à moi pauvre berger de la montagne, je répondrai que j'avais vingt ans et que cette Stéphanette était ce que j'avais vu de plus beau dans ma vie. Or, un dimanche que j'attendais les vivres de quinzaine, il se trouva qu'ils n'arrivèrent que très tard. Le matin je me disais : « C'est la faute de la grand'messe ; » puis, vers midi, il vint un gros orage, et je pensai que la mule n'avait pas pu se mettre en route à cause du mauvais état des chemins. Enfin, sur les trois heures, le ciel étant lavé, la montagne luisante d'eau et de soleil, j'entendis parmi l'égouttement des feuilles et le débordement des ruisseaux gonflés les sonnailles de la mule, aussi gaies, aussi alertes qu'un grand carillon de cloches un jour de Pâques. Mais ce n'était pas le petit miarro, ni la vieille Norade qui la conduisait. C'était… devinez qui !… notre demoiselle, mes enfants ! notre demoiselle en personne, assise droite entre les sacs d'osier, toute rose de l'air des montagnes et du rafraîchissement de l'orage. Le petit était malade, tante Norade en vacances chez ses enfants. La belle Stéphanette m'apprit tout ça, en descendant de sa mule, et aussi qu'elle arrivait tard parce qu'elle s'était perdue en route ; mais à la voir si bien endimanchée, avec son ruban à fleurs, sa jupe brillante et ses dentelles, elle avait plutôt l'air de s'être attardée à quelque danse que d'avoir cherché son chemin dans les buissons. Ô la mignonne créature ! Mes yeux ne pouvaient se lasser de la regarder. Il est vrai que je ne l'avais jamais vue de si près. Quelquefois l'hiver, quand les troupeaux étaient descendus dans la plaine et que je rentrais le soir à la ferme pour souper, elle traversait la salle vivement, sans guère parler aux serviteurs, toujours parée et un peu fière… Et maintenant je l'avais là devant moi, rien que pour moi ; n'était-ce pas à en perdre la tête ? Quand elle eut tiré les provisions du panier, Stéphanette se mit à regarder curieusement autour d'elle. Relevant un peu sa belle jupe du dimanche qui aurait pu s'abîmer, elle entra dans le parc, voulut voir le coin où je couchais, la crèche de paille avec la peau de mouton, ma grande cape accrochée au mur, ma crosse, mon fusil à pierre. Tout cela l'amusait. — Alors c'est ici que tu vis, mon pauvre berger ? Comme tu dois t'ennuyer d'être toujours seul ! Qu'est-ce que tu fais ? À quoi penses-tu ?…

J'avais envie de répondre : « À vous, maîtresse, » et je n'aurais pas menti ; mais mon trouble était si grand que je ne pouvais pas seulement trouver une parole. Je crois bien qu'elle s'en apercevait, et que la méchante prenait plaisir à redoubler mon embarras avec ses malices : — Et ta bonne amie, berger, est-ce qu'elle monte te voir quelquefois ?… Ça doit être bien sûr la chèvre d'or, ou cette fée Estérelle qui ne court qu'à la pointe des montagnes… Et elle-même, en me parlant, avait bien l'air de la fée Estérelle, avec le joli rire de sa tête renversée et sa hâte de s'en aller qui faisait de sa visite une apparition. — Adieu, berger.

— Salut, maîtresse.

Et la voilà partie, emportant ses corbeilles vides.

Lorsqu'elle disparut dans le sentier en pente, il me semblait que les cailloux, roulant sous les sabots de la mule, me tombaient un à un sur le cœur. Je les entendis longtemps, longtemps ; et jusqu'à la fin du jour je restai comme ensommeillé, n'osant bouger, de peur de faire en aller mon rêve. Vers le soir, comme le fond des vallées commençait à devenir bleu et que les bêtes se serraient en bêlant l'une contre l'autre pour rentrer au parc, j'entendis qu'on m'appelait dans la descente, et je vis paraître notre demoiselle, non plus rieuse ainsi que tout à l'heure, mais tremblante de froid, de peur, de mouillure. Il paraît qu'au bas de la côte elle avait trouvé la Sorgue grossie par la pluie d'orage, et qu'en voulant passer à toute force elle avait risqué de se noyer. Le terrible, c'est qu'à cette heure de nuit il ne fallait plus songer à retourner à la ferme ; car le chemin par la traverse, notre demoiselle n'aurait jamais su s'y retrouver toute seule, et moi je ne pouvais pas quitter le troupeau. Cette idée de passer la nuit sur la montagne la tourmentait beaucoup, surtout à cause de l'inquiétude des siens. Moi, je la rassurais de mon mieux :

— En juillet, les nuits sont courtes, maîtresse… Ce n'est qu'un mauvais moment. Et j'allumai vite un grand feu pour sécher ses pieds et sa robe toute trempée de l'eau de la Sorgue. Ensuite j'apportai devant elle du lait, des fromageons ; mais la pauvre petite ne songeait ni à se chauffer, ni à manger, et de voir les grosses larmes qui montaient dans ses yeux, j'avais envie de pleurer, moi aussi. Cependant la nuit était venue tout à fait. Il ne restait plus sur la crête des montagnes qu'une poussière de soleil, une vapeur de lumière du côté du couchant. Je voulus que notre demoiselle entrât se reposer dans le parc. Ayant étendu sur la paille fraîche une belle peau toute neuve, je lui souhaitai la bonne nuit, et j'allai m'asseoir dehors devant la porte… Dieu m'est témoin que, malgré le feu d'amour qui me brûlait le sang, aucune mauvaise pensée ne me vint ; rien qu'une grande fierté de songer que dans un coin du parc, tout près du troupeau curieux qui la regardait dormir, la fille de mes maîtres, — comme une brebis plus précieuse et plus blanche que toutes les autres, — reposait, confiée à ma garde. Jamais le ciel ne m'avait paru si profond, les étoiles si brillantes… Tout à coup, la claire-voie du parc s'ouvrit et la belle Stéphanette parut. Elle ne pouvait pas dormir. Les bêtes faisaient crier la paille en remuant, ou bêlaient dans leurs rêves. Elle aimait mieux venir près du feu. Voyant cela, je lui jetai ma peau de bique sur les épaules, j'activai la flamme, et nous restâmes assis l'un près de l'autre sans parler. Si vous avez jamais passé la nuit à la belle étoile, vous savez qu'à l'heure où nous dormons, un monde mystérieux s'éveille dans la solitude et le silence. Alors les sources chantent bien plus clair, les étangs allument des petites flammes. Tous les esprits de la montagne vont et viennent librement ; et il y a dans l'air des frôlements, des bruits imperceptibles, comme si l'on entendait les branches grandir, l'herbe pousser. Le jour, c'est la vie des êtres ; mais la nuit, c'est la vie des choses. Quand on n'en a pas l'habitude, ça fait peur… Aussi notre demoiselle était toute frissonnante et se serrait contre moi au moindre bruit. Une fois, un cri long, mélancolique, parti de l'étang qui luisait plus bas, monta vers nous en ondulant. Au même instant une belle étoile filante glissa par-dessus nos têtes dans la même direction, comme si cette plainte que nous venions d'entendre portait une lumière avec elle. — Qu'est-ce que c'est ? me demanda Stéphanette à voix basse.

— Une âme qui entre en paradis, maîtresse ; et je fis le signe de la croix.

Elle se signa aussi, et resta un moment la tête en l'air, très recueillie. Puis elle me dit :

— C'est donc vrai, berger, que vous êtes sorciers, vous autres ? — Nullement, notre demoiselle. Mais ici nous vivons plus près des étoiles, et nous savons ce qui s'y passe mieux que des gens de la plaine. Elle regardait toujours en haut, la tête appuyée dans la main, entourée de la peau de mouton comme un petit pâtre céleste :

— Qu'il y en a ! Que c'est beau ! Jamais je n'en avais tant vu… Est-ce que tu sais leurs noms, berger ? — Mais oui, maîtresse… Tenez ! juste au-dessus de nous, voilà le Chemin de saint Jacques (la voie lactée). Il va de France droit sur l'Espagne. C'est saint Jacques de Galice qui l'a tracé pour montrer sa route au brave Charlemagne lorsqu'il faisait la guerre aux Sarrasins[1]. Plus loin, vous avez le Char des âmes (la grande Ourse) avec ses quatre essieux resplendissants. Les trois étoiles qui vont devant sont les Trois bêtes, et cette toute petite contre la troisième c'est le Charretier. Voyez-vous tout autour cette pluie d'étoiles qui tombent ? ce sont les âmes dont le bon Dieu ne veut pas chez lui… Un peu plus bas, voici le Râteau ou les Trois rois (Orion). C'est ce qui nous sert d'horloge, à nous autres. Rien qu'en les regardant, je sais maintenant qu'il est minuit passé. Un peu plus bas, toujours vers le midi, brille Jean de Milan, le flambeau des astres (Sirius). Sur cette étoile-là, voici ce que les bergers racontent. Il paraît qu'une nuit Jean de Milan, avec les Trois rois et la Poussinière (la Pléiade), furent invités à la noce d'une étoile de leurs amies. La Poussinière, plus pressée, partit, dit-on, la première, et prit le chemin haut. Regardez-la, là-haut, tout au fond du ciel. Les Trois rois coupèrent plus bas et la rattrapèrent ; mais ce paresseux de Jean de Milan, qui avait dormi trop tard, resta tout à fait derrière, et furieux, pour les arrêter, leur jeta son bâton. C'est pourquoi les Trois rois s'appellent aussi le Bâton de Jean de Milan… Mais la plus belle de toutes les étoiles, maîtresse, c'est la nôtre, c'est l'Étoile du berger, qui nous éclaire à l'aube quand nous sortons le troupeau, et aussi le soir quand nous le rentrons. Nous la nommons encore Maguelonne, la belle Maguelonne qui court après Pierre de Provence (Saturne) et se marie avec lui tous les sept ans.

— Comment ! berger, il y a donc des mariages d'étoiles ? — Mais oui, maîtresse.

Et comme j'essayais de lui expliquer ce que c'était que ces mariages, je sentis quelque chose de frais et de fin peser légèrement sur mon épaule. C'était sa tête alourdie de sommeil qui s'appuyait contre moi avec un joli froissement de rubans, de dentelles et de cheveux ondés. Elle resta ainsi sans bouger jusqu'au moment où les astres du ciel pâlirent, effacés par le jour qui montait. Moi, je la regardais dormir, un peu troublé au fond de mon être, mais saintement protégé par cette claire nuit qui ne m'a jamais donné que de belles pensées. Autour de nous, les étoiles continuaient leur marche silencieuse, dociles comme un grand troupeau ; et par moments je me figurais qu'une de ces étoiles, la plus fine, la plus brillante, ayant perdu sa route, était venue se poser sur mon épaule pour dormir… ↑ Tous ces détails d'astronomie populaire sont traduits de l'Almanach provençal qui se publie en Avignon.

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LES ÉTOILES. THE STARS. récit d'un berger provençal Erzählung||| story of a Provençal shepherd Du temps que je gardais les bêtes sur le Luberon, je restais des semaines entières sans voir âme qui vive, seul dans le pâturage avec mon chien Labri et mes ouailles. |||||||||Luberon||||||||||||||Weide||||Labri|||Schafe When I looked after the animals in the Luberon, I spent whole weeks without seeing a living soul, alone in the pasture with my dog Labri and my flock. De temps en temps l'ermite du Mont-de-l'Ure passait par là pour chercher des simples ou bien j'apercevais la face noire de quelque charbonnier du Piémont ; mais c'étaient des gens naïfs, silencieux à force de solitude, ayant perdu le goût de parler et ne sachant rien de ce qui se disait en bas dans les villages et les villes. ||||der Einsiedler||||Ure-Berg||||||||||ich sah||||||Kohlenarbeiter||Piemont||||||||||||||||||||||||||||||||| From time to time the hermit of Mont-de-l'Ure passed by to look for herbs or else I saw the black face of some Piedmont charcoal-burner; but they were naive people, silent by dint of solitude, having lost the taste for speaking and knowing nothing of what was being said down below in the villages and towns. Aussi, tous les quinze jours, lorsque j'entendais, sur le chemin qui monte, les sonnailles du mulet de notre ferme m'apportant les provisions de quinzaine, et que je voyais apparaître peu à peu, au-dessus de la côte, la tête éveillée du petit miarro (garçon de ferme), ou la coiffe rousse de la vieille tante Norade, j'étais vraiment bien heureux. |||||||||||||Glocken||Esel||||mich bringend|||||||||||||||||||||||Bub||||||Haube|rote Haube|||||Tante Norade|||| And so, every fortnight, when I heard the bells of our farm's mule bringing me the fortnight's provisions on the way up, and gradually saw the awakened head of the little miarro (farm boy) or the red headdress of old Aunt Norade appear over the hill, I was truly happy. Je me faisais raconter les nouvelles du pays d'en bas, les baptêmes, les mariages ; mais ce qui m'intéressait surtout, c'était de savoir ce que devenait la fille de mes maîtres, notre demoiselle Stéphanette, la plus jolie qu'il y eût à dix lieues à la ronde. |||||||||||Taufen|||||||||||||||||||||Fräulein Stéphanette|||||||||meilen||| Sans avoir l'air d'y prendre trop d'intérêt, je m'informais si elle allait beaucoup aux fêtes, aux veillées, s'il lui venait toujours de nouveaux galants ; et à ceux qui me demanderont ce que ces choses-là pouvaient me faire, à moi pauvre berger de la montagne, je répondrai que j'avais vingt ans et que cette Stéphanette était ce que j'avais vu de plus beau dans ma vie. ||||||||||||||||Abenden|||||||Verehrer|||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| Without seeming to take too much interest, I asked if she went to parties and wakes, if she always had new lovers; and to those who will ask me what these things could do to me, poor mountain shepherd, I will answer that I was twenty years old and that this Stéphanette was the most beautiful thing I had seen in my life. Or, un dimanche que j'attendais les vivres de quinzaine, il se trouva qu'ils n'arrivèrent que très tard. One Sunday, while I was waiting for the fortnight's supplies, they didn't arrive until very late. Le matin je me disais : « C'est la faute de la grand'messe ; » puis, vers midi, il vint un gros orage, et je pensai que la mule n'avait pas pu se mettre en route à cause du mauvais état des chemins. ||||||||||Hochamt||||||||Gewitter||||||Muli|||||||||||||| In the morning I said to myself: "It's the fault of the high mass"; then, around noon, there came a heavy storm, and I thought that the mule hadn't been able to set off because of the poor state of the roads. Enfin, sur les trois heures, le ciel étant lavé, la montagne luisante d'eau et de soleil, j'entendis parmi l'égouttement des feuilles et le débordement des ruisseaux gonflés les sonnailles de la mule, aussi gaies, aussi alertes qu'un grand carillon de cloches un jour de Pâques. |||||||||||glänzende|||||||dem Tropfen|||||Überlauf||Bäche|aufgebläht||Glocken||||||||||Glockenspiel||Glocken|||| Mais ce n'était pas le petit miarro, ni la vieille Norade qui la conduisait. C'était… devinez qui !… notre demoiselle, mes enfants ! notre demoiselle en personne, assise droite entre les sacs d'osier, toute rose de l'air des montagnes et du rafraîchissement de l'orage. |||||||||aus Korbweide|||||||||Erfrischung des||dem Gewitter Le petit était malade, tante Norade en vacances chez ses enfants. La belle Stéphanette m'apprit tout ça, en descendant de sa mule, et aussi qu'elle arrivait tard parce qu'elle s'était perdue en route ; mais à la voir si bien endimanchée, avec son ruban à fleurs, sa jupe brillante et ses dentelles, elle avait plutôt l'air de s'être attardée à quelque danse que d'avoir cherché son chemin dans les buissons. |||||||herabsteigen|||||||||||||||||||||sonntags gekleidet|||||||Rock||||Spitzen|||||||verzögert|||||||||||Büschen Ô la mignonne créature ! Mes yeux ne pouvaient se lasser de la regarder. Il est vrai que je ne l'avais jamais vue de si près. Quelquefois l'hiver, quand les troupeaux étaient descendus dans la plaine et que je rentrais le soir à la ferme pour souper, elle traversait la salle vivement, sans guère parler aux serviteurs, toujours parée et un peu fière… Et maintenant je l'avais là devant moi, rien que pour moi ; n'était-ce pas à en perdre la tête ? ||||Herden|||||Ebene|||||||||||||||||||||Diener||geschmückt||||||||||||||||||||||| Quand elle eut tiré les provisions du panier, Stéphanette se mit à regarder curieusement autour d'elle. Relevant un peu sa belle jupe du dimanche qui aurait pu s'abîmer, elle entra dans le parc, voulut voir le coin où je couchais, la crèche de paille avec la peau de mouton, ma grande cape accrochée au mur, ma crosse, mon fusil à pierre. |||||||||||||||||||||||schlief||||Stroh||||||||Umhang|hängt||||Stab|||| Pulling up her Sunday skirt, which could have been ruined, she went into the park, wanting to see the corner where I was sleeping, the straw crib with the sheepskin, my big cape hanging on the wall, my crook, my flintlock rifle. Ze trok haar mooie zondagse rok die misschien beschadigd was een beetje op, ging het park binnen, wilde de hoek zien waar ik sliep, de stro kerststal met de schapenvacht, mijn grote cape die aan de muur hing, mijn kolf, mijn vuursteenpistool. Tout cela l'amusait. — Alors c'est ici que tu vis, mon pauvre berger ? - So this is where you live, my poor shepherd? Comme tu dois t'ennuyer d'être toujours seul ! Qu'est-ce que tu fais ? À quoi penses-tu ?…

J'avais envie de répondre : « À vous, maîtresse, » et je n'aurais pas menti ; mais mon trouble était si grand que je ne pouvais pas seulement trouver une parole. I wanted to answer: "To you, mistress," and I wouldn't have lied; but my confusion was so great that I couldn't even find a word. Je crois bien qu'elle s'en apercevait, et que la méchante prenait plaisir à redoubler mon embarras avec ses malices : |||||||||||||||Verlegenheit|||Streiche I think she was aware of this, and that the villain took pleasure in redoubling my embarrassment with her mischief: — Et ta bonne amie, berger, est-ce qu'elle monte te voir quelquefois ?… Ça doit être bien sûr la chèvre d'or, ou cette fée Estérelle qui ne court qu'à la pointe des montagnes… ||||||||||||||||||||||Fee|Estérelle|||||||| - And your good friend, shepherd, does she come up to see you sometimes?... It must be the golden goat, or that fairy Estérelle who only runs to the top of the mountains... Et elle-même, en me parlant, avait bien l'air de la fée Estérelle, avec le joli rire de sa tête renversée et sa hâte de s'en aller qui faisait de sa visite une apparition. ||||||||||||||||||||überstreckt||||||||||||| And she herself, as she spoke to me, looked very much like the fairy Estérelle, with the pretty laugh of her upturned head and her haste to leave that made her visit an apparition. — Adieu, berger.

— Salut, maîtresse.

Et la voilà partie, emportant ses corbeilles vides. ||||nimmt|||

Lorsqu'elle disparut dans le sentier en pente, il me semblait que les cailloux, roulant sous les sabots de la mule, me tombaient un à un sur le cœur. ||||Pfad||abfallend||||||||||Hufen|||Maultier|||||||| Je les entendis longtemps, longtemps ; et jusqu'à la fin du jour je restai comme ensommeillé, n'osant bouger, de peur de faire en aller mon rêve. ||||||||||||||schläfrig|||||||||| Vers le soir, comme le fond des vallées commençait à devenir bleu et que les bêtes se serraient en bêlant l'une contre l'autre pour rentrer au parc, j'entendis qu'on m'appelait dans la descente, et je vis paraître notre demoiselle, non plus rieuse ainsi que tout à l'heure, mais tremblante de froid, de peur, de mouillure. |||||||Täler||||||||||drängten sich||blöken||||||||||rufen|||Abstieg|||||||||lachend|||||||||||||Nässe Towards evening, as the bottom of the valleys began to turn blue and the beasts were bleating to each other as they made their way back to the park, I heard my name being called downhill, and saw our young lady appear, no longer laughing as she had been earlier, but shivering with cold, fear and wetness. Il paraît qu'au bas de la côte elle avait trouvé la Sorgue grossie par la pluie d'orage, et qu'en voulant passer à toute force elle avait risqué de se noyer. |||||||||||Sorgue|vergrößert||||des Gewitters||||||||||||| It seems that at the bottom of the hill she had found the Sorgue swollen by the stormy rain, and that in trying to get through at full speed she had risked drowning. Le terrible, c'est qu'à cette heure de nuit il ne fallait plus songer à retourner à la ferme ; car le chemin par la traverse, notre demoiselle n'aurait jamais su s'y retrouver toute seule, et moi je ne pouvais pas quitter le troupeau. |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||Herde The terrible thing was that, at that time of night, we couldn't think of going back to the farm, because our young lady would never have found her way back on her own, and I couldn't leave the herd. Cette idée de passer la nuit sur la montagne la tourmentait beaucoup, surtout à cause de l'inquiétude des siens. ||||||||||quälte||||||Sorge der Angehörigen|| Moi, je la rassurais de mon mieux : |||beruhigte|||

— En juillet, les nuits sont courtes, maîtresse… Ce n'est qu'un mauvais moment. Et j'allumai vite un grand feu pour sécher ses pieds et sa robe toute trempée de l'eau de la Sorgue. |ich entzündete|||||||||||||nassgeschlagen||||| Ensuite j'apportai devant elle du lait, des fromageons ; mais la pauvre petite ne songeait ni à se chauffer, ni à manger, et de voir les grosses larmes qui montaient dans ses yeux, j'avais envie de pleurer, moi aussi. |ich brachte||||||Käse|||||||||||||||||||||||||||||| Then I brought her some milk and cheese, but the poor girl didn't think of heating or eating, and seeing the tears welling up in her eyes made me want to cry too. Cependant la nuit était venue tout à fait. But it was now quite dark. Il ne restait plus sur la crête des montagnes qu'une poussière de soleil, une vapeur de lumière du côté du couchant. ||||||Kamm|||||||||||||| All that remained on the mountain ridge was a dusting of sunlight, a vapour of light on the sunset side. Je voulus que notre demoiselle entrât se reposer dans le parc. |||||sollte||||| Ayant étendu sur la paille fraîche une belle peau toute neuve, je lui souhaitai la bonne nuit, et j'allai m'asseoir dehors devant la porte… Dieu m'est témoin que, malgré le feu d'amour qui me brûlait le sang, aucune mauvaise pensée ne me vint ; rien qu'une grande fierté de songer que dans un coin du parc, tout près du troupeau curieux qui la regardait dormir, la fille de mes maîtres, — comme une brebis plus précieuse et plus blanche que toutes les autres, — reposait, confiée à ma garde. ||||Stroh||||||neu||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||Herde|||||||||||||Schaf||||||||||lagte|anvertraut||| Having spread a beautiful new skin on the fresh straw, I wished her good night, and went to sit outside the door... God is my witness that, despite the fire of love that burned my blood, no bad thought came to me; nothing but great pride to think that in a corner of the park, close to the curious flock that watched her sleep, the daughter of my masters, - like a sheep more precious and whiter than all the others, - was resting, entrusted to my care. Jamais le ciel ne m'avait paru si profond, les étoiles si brillantes… Tout à coup, la claire-voie du parc s'ouvrit et la belle Stéphanette parut. |||||erschienen||||||leuchtend|||||||||||||| The sky had never seemed so deep, the stars so bright... Suddenly, the park's skylight opened and the beautiful Stéphanette appeared. Elle ne pouvait pas dormir. Les bêtes faisaient crier la paille en remuant, ou bêlaient dans leurs rêves. |||||||bewegend||blöckten||| Elle aimait mieux venir près du feu. Voyant cela, je lui jetai ma peau de bique sur les épaules, j'activai la flamme, et nous restâmes assis l'un près de l'autre sans parler. ||||||||Ziege||||entzündete|||||blieben||||||| Seeing this, I threw my buckskin over his shoulders, turned on the flame, and we sat close together without speaking. Si vous avez jamais passé la nuit à la belle étoile, vous savez qu'à l'heure où nous dormons, un monde mystérieux s'éveille dans la solitude et le silence. |||||||||||||||||schlafen||||erwacht|||||| Alors les sources chantent bien plus clair, les étangs allument des petites flammes. ||||||||Teiche|||| Tous les esprits de la montagne vont et viennent librement ; et il y a dans l'air des frôlements, des bruits imperceptibles, comme si l'on entendait les branches grandir, l'herbe pousser. |||||||||||||||||Rascheln|||unhörbare Geräusche||||||||| All the spirits of the mountain come and go freely, and there is an imperceptible rustling in the air, as if we could hear the branches growing, the grass sprouting. Le jour, c'est la vie des êtres ; mais la nuit, c'est la vie des choses. Quand on n'en a pas l'habitude, ça fait peur… Aussi notre demoiselle était toute frissonnante et se serrait contre moi au moindre bruit. ||||||||||||||zitternd|||||||| When you're not used to it, it's scary... So our young lady was shivering and clutching at me at the slightest noise. Une fois, un cri long, mélancolique, parti de l'étang qui luisait plus bas, monta vers nous en ondulant. ||||||||dem Teich||leuchtete|||||||wellenförmig Once, a long, melancholy cry from the glistening pond below, rippled up towards us. Au même instant une belle étoile filante glissa par-dessus nos têtes dans la même direction, comme si cette plainte que nous venions d'entendre portait une lumière avec elle. ||||||Sternschnuppe|gleitete||||||||||||||||||||| At the same moment, a beautiful shooting star glided over our heads in the same direction, as if the complaint we had just heard carried a light with it. — Qu'est-ce que c'est ? me demanda Stéphanette à voix basse.

— Une âme qui entre en paradis, maîtresse ; et je fis le signe de la croix.

Elle se signa aussi, et resta un moment la tête en l'air, très recueillie. ||zeichnete sich||||||||||| Puis elle me dit :

— C'est donc vrai, berger, que vous êtes sorciers, vous autres ? — Nullement, notre demoiselle. überhaupt nicht|| - Not at all, our lady. Mais ici nous vivons plus près des étoiles, et nous savons ce qui s'y passe mieux que des gens de la plaine. |||||||||||||||||||||Ebene Elle regardait toujours en haut, la tête appuyée dans la main, entourée de la peau de mouton comme un petit pâtre céleste : ||||||||||||||||||||Hirten|himmlischer Hirte She was always looking up, her head resting in her hand, surrounded by the sheepskin like a little heavenly shepherd:

— Qu'il y en a ! - That there are! Que c'est beau ! Jamais je n'en avais tant vu… Est-ce que tu sais leurs noms, berger ? I've never seen so many... Do you know their names, shepherd? — Mais oui, maîtresse… Tenez ! - Yes, mistress... Here! juste au-dessus de nous, voilà le Chemin de saint Jacques (la voie lactée). |||||||||||||Milchstraße just above us is the Way of Saint James (the Milky Way). Il va de France droit sur l'Espagne. C'est saint Jacques de Galice qui l'a tracé pour montrer sa route au brave Charlemagne lorsqu'il faisait la guerre aux Sarrasins[1]. ||||Galicien||||||||||Karl der Große||||||Sarracenen Plus loin, vous avez le Char des âmes (la grande Ourse) avec ses quatre essieux resplendissants. |||||Wagen|||||||||Achsen|strahlenden Les trois étoiles qui vont devant sont les Trois bêtes, et cette toute petite contre la troisième c'est le Charretier. |||||||||||||||||||Wagenlenker Voyez-vous tout autour cette pluie d'étoiles qui tombent ? Can you see the stars falling all around? ce sont les âmes dont le bon Dieu ne veut pas chez lui… Un peu plus bas, voici le Râteau ou les Trois rois (Orion). |||||||||||||||||||der Rechen|||||Orion these are the souls God doesn't want in his house... A little further down, here's the Rake or the Three Kings (Orion). C'est ce qui nous sert d'horloge, à nous autres. Rien qu'en les regardant, je sais maintenant qu'il est minuit passé. Just by looking at them, I now know it's past midnight. Un peu plus bas, toujours vers le midi, brille Jean de Milan, le flambeau des astres (Sirius). |||||||||||||Leuchtfeuer||der Sterne|Sirius A little further down, still towards noon, shines John of Milan, the torch of the stars (Sirius). Sur cette étoile-là, voici ce que les bergers racontent. Il paraît qu'une nuit Jean de Milan, avec les Trois rois et la Poussinière (la Pléiade), furent invités à la noce d'une étoile de leurs amies. |||||||||||||Poussinière||Pléiade|||||||||| La Poussinière, plus pressée, partit, dit-on, la première, et prit le chemin haut. Regardez-la, là-haut, tout au fond du ciel. Les Trois rois coupèrent plus bas et la rattrapèrent ; mais ce paresseux de Jean de Milan, qui avait dormi trop tard, resta tout à fait derrière, et furieux, pour les arrêter, leur jeta son bâton. ||||||||fingen sie ein|||||||||||||||||||wütend||||||| The Three Kings cut lower and caught up with her; but that lazy John of Milan, who had slept too late, stayed right behind, and furious, to stop them, threw his stick at them. C'est pourquoi les Trois rois s'appellent aussi le Bâton de Jean de Milan… Mais la plus belle de toutes les étoiles, maîtresse, c'est la nôtre, c'est l'Étoile du berger, qui nous éclaire à l'aube quand nous sortons le troupeau, et aussi le soir quand nous le rentrons. |||||||||||||||||||||||||||||||erleuchtet||Morgendämmerung|||||die Herde|||||||| Nous la nommons encore Maguelonne, la belle Maguelonne qui court après Pierre de Provence (Saturne) et se marie avec lui tous les sept ans. ||||Maguelonne||||||||||Saturn||||||||| We still call her Maguelonne, the beautiful Maguelonne who chases after Pierre de Provence (Saturn) and marries him every seven years.

— Comment ! berger, il y a donc des mariages d'étoiles ? shepherd, so there are star weddings? — Mais oui, maîtresse.

Et comme j'essayais de lui expliquer ce que c'était que ces mariages, je sentis quelque chose de frais et de fin peser légèrement sur mon épaule. And as I tried to explain to her what these weddings were all about, I felt something cool and fine weigh lightly on my shoulder. C'était sa tête alourdie de sommeil qui s'appuyait contre moi avec un joli froissement de rubans, de dentelles et de cheveux ondés. |||schwerer||||||||||Rauschen||Bändern||Spitzen||||lockig It was her sleep-weighted head that leaned against me with a pretty rustle of ribbons, lace and wavy hair. Elle resta ainsi sans bouger jusqu'au moment où les astres du ciel pâlirent, effacés par le jour qui montait. |||||||||Sterne|||erbleichten|verblasst||||| She remained motionless until the stars in the sky faded, obliterated by the rising day. Moi, je la regardais dormir, un peu troublé au fond de mon être, mais saintement protégé par cette claire nuit qui ne m'a jamais donné que de belles pensées. |||||||verwirrt|||||||heilig|||||||||||||| As for me, I watched her sleep, a little troubled at the bottom of my being, but sanctified by this clear night that has never given me anything but beautiful thoughts. Autour de nous, les étoiles continuaient leur marche silencieuse, dociles comme un grand troupeau ; et par moments je me figurais qu'une de ces étoiles, la plus fine, la plus brillante, ayant perdu sa route, était venue se poser sur mon épaule pour dormir… ↑ Tous ces détails d'astronomie populaire sont traduits de l'Almanach provençal qui se publie en Avignon. |||||||||fügsam||||Herde||||||stellte mir vor|||||||feinsten||||||||||||||||||||der Astronomie|||||dem Almanach||||||