Alien 3 de David Fincher, l'analyse de M. Bobine (1)
Adeptes de la grande toile… bonjour !
Aujourd'hui, comme prévu, nous allons continuer sur la lancée de notre précédent épisode
et nous intéresser donc à la suite directe d'Aliens
j'ai nommé Alien 3.
Alors, juste deux petites remarques avant de commencer.
La première, c'est qu'il n'est pas nécessaire d'avoir vu le ciné-club sur Aliens
pour regarder cette vidéo
même si on vous conseille de le regarder aussi parce que nous en sommes très fiers !
La deuxième, c'est que non, on ne va pas enchaîner sur les autres films de la franchise.
Ne vous attendez pas à voir des vidéos sur Alien Resurrection, Prometheus,
Alien Covenant ou les Alien vs Predator.
Voilà, ça c'est fait, on va pouvoir entrer dans le vif du sujet
et s'intéresser à Alien 3 de…
euh... bah, de qui, en fait ?!
Ce n'est un secret pour personne.
La production d'Alien 3 fut très très compliquée.
Bien que le projet ait été lancé en 1987,
pour surfer sur le succès de l'épisode réalisé par James Cameron,
le film mettra six ans pour voir le jour.
En effet, dès l'étape d'écriture du script,
l'entreprise rencontre ses premiers problèmes.
Cherchant à proposer quelque chose de différent par rapport aux deux premiers volets de la saga,
les producteurs David Giler, Walter Hill et Gordon Carroll,
en charge de la franchise via leur société Brandywine,
imaginent dans un premier temps une histoire en deux parties
centrée autour de la société Weyland-Yutani
et de ses tentatives de militariser les xénomorphes.
Pour faire contrepoint avec le complexe militaro-industriel,
les trois producteurs envisagent également une sorte de milice communiste
ayant fait sécession avec la Terre.
Reprenant ainsi le schéma de la guerre froide,
le premier film devait mettre en scène uniquement le caporal Hicks,
toujours incarné par Michael Biehn,
avant que Ripley ne reprenne son rôle de protagoniste principale dans la 2ème partie.
Le tout culminant avec une bataille épique
opposant des aliens produits en série à toute une colonie humaine.
Bien qu'un peu sceptique vis-à-vis de cette idée,
la Fox accepte néanmoins de financer le projet à deux conditions.
La première, c'est de tourner les deux films à la suite pour réduire les frais de productions.
La deuxième, c'est de demander à Ridley Scott de reprendre son rôle de réalisateur.
Celui-ci décline pour cause d'emploi du temps trop chargé
mais la Fox donne tout de même son feu vert au développement d'un script.
Pour écrire le scénario,
Giler, Hill et Carroll se tournent alors vers William Gibson,
l'auteur du roman cyberpunk Neuromancer
et, euh..., plus tard, du script de Johnny Mnemonic
sur lequel nous ne nous attarderons pas par charité chrétienne.
Gibson, reconnaissant ouvertement l'influence d'Alien sur son écriture,
accepte avec enthousiasme
d'autant que cette opposition entre une multinationale toute puissante
et un groupe d'humains inspirés par les idéaux communistes
fait écho aux thématiques qu'il a déjà développé dans ses propres romans.
En plus, la seule contrainte véritable que lui imposent les producteurs
est une contrainte de temps.
Et oui, lorsque William Gibson s'attelle au projet,
la très puissante Writers Guild of America menace de faire grève
ce qui forcerait les studios à arrêter le développement de tous leurs scénarios.
Giler, Hill et Carroll demandent donc à Gibson de leur livrer un script en moins de trois mois
de façon à avoir une première version avant le début de la grève.
Celui-ci s'exécute et à partir de l'idée des trois producteurs,
imagine la rencontre des aliens et des communistes de l'espace
sur une sorte d'immense centre commercial spatial.
Sauf qu'au final, les producteurs ne sont pas franchement satisfait du résultat.
Ils trouvent le script très bien écrit et contenant plusieurs éléments intéressants,
notamment l'existence d'un xénovirus évoquant l'épidémie de VIH
ou évidemment la touche cyberpunk caractéristique du travail de Gibson
mais dans l'ensemble, le scénario leur semble trop orienté sur l'action
et finalement un peu creux.
À l'issue de la grève des scénaristes,
Giler, Hill et Carroll demandent donc à Gibson de retravailler son scénario
en compagnie du réalisateur prévu à l'époque, Renny Harlin.
Peu enthousiaste à l'idée de se confronter à nouveau à ce trio de producteurs tatillons,
Gibson refuse et son script sera alors complètement abandonné.
Mais comme une bonne idée ne se perd jamais,
le scénario de Gibson deviendra l'objet d'un mini-culte auprès des fans de la saga
et sera finalement adapté en comics en 2018
puis en audiobook en 2019.
Toujours est-il que nous en sommes toujours à la fin de l'année 1988
et que le projet Alien 3 se retrouve sans scénariste.
C'est alors Eric Red, scénariste de Hitcher
et co-scénariste avec Kathryn Bigelow d'Aux Frontières de l'Aube,
qui est chargé d'écrire un nouveau script.
Il choisit de se débarrasser complètement des protagonistes d'Aliens
pour imaginer une invasion de xénomorphes sur une station spatiale
reproduisant une petite ville du Midwest américain.
Écrit à la va-vite, le résultat ne convainc ni les producteurs de Brandywine
ni Eric Red lui-même.
C'est donc au tour de David Twohy d'être recruté
pour élaborer un nouveau scénario à partir de la version de William Gibson
sauf qu'à ce moment-là nous sommes déjà en 1989
et que le bloc soviétique est en train de se désagréger.
Du coup, bah, les allusions à la guerre froide ne sont plus vraiment d'actualité.
David Twohy imagine alors une histoire située sur une planète-prison
où des aliens sont le sujet d'expérimentations pour en faire des armes biologiques.
Mais il y a un petit problème.
Dans un premier temps, David Twohy avait choisi de ne pas faire apparaître Ripley.
Considérant que celle-ci est l'élément central de la série
et la seule femme guerrière de la mythologie cinématographique,
le président de la Fox Joe Roth exige alors que le scénario soit réécrit
pour qu'elle y tienne le rôle principal.
Sigourney Weaver en profite d'ailleurs pour demander un salaire de cinq millions de dollars
et une part des recettes au box office.
elle demande également que l'histoire soit suffisamment intéressante et originale,
et qu'elle ne mette pas en scène des armes à feu.
Alors que David Twohy se remet docilement au travail,
c'est Renny Harlin, lassé par le peu d'avancement du projet,
qui abandonne le navire pour aller tourner Les Aventures de Ford Fairlane.
Suite à cette défection,
Walter Hill propose au cinéaste néo-zélandais Vincent Ward,
dont il a beaucoup aimé le film The Navigator : A Medieval Odyssey,
de reprendre le rôle de réalisateur…
sauf que Ward n'est pas franchement emballé par le script de David Twohy
et propose alors aux cadres de la Fox un projet complètement différent.
Dans celui-ci, le vaisseau de Ripley s'écrase sur une sorte de satellite-monastère
entièrement construit en bois.
Les moines qui y habitent voient alors l'arrivée de Ripley
comme une source malvenue de tentations
d'autant qu'un xénomorphe bien évidemment caché dans le vaisseau
va leur apparaître comme une sorte de démon qui vient les punir de leurs désirs impies.
On trouve donc dans le scénario que Vincent Ward va co-écrire avec John Fasano
les bases de ce qui deviendra finalement Alien 3 :
l'arrivée de Ripley et d'un alien sur une planète isolée,
une communauté de fanatiques religieux
et surtout le fait que Ripley soit elle-même porteuse d'un xénomorphe.
Apprenant par hasard que la Fox est en train de développer un script concurrent au sien,
David Twohy jette l'éponge
et c'est comme ça que Vincent Ward devient la principale force créative derrière Alien 3.
Enfin... jusqu'à ce qu'une fois de plus,
des tensions n'apparaissent entre le cinéaste et les producteurs.
D'un côté, Giler, Hill et Carroll sont un peu sceptiques
quant au réalisme d'un satellite spatial entièrement constitué de bois.
De l'autre, le producteur de la Fox Jon Landau a peur
que les prétentions artistiques du réalisateur ne plombent les résultats du film au box-office.
Résultat, à l'issue d'une réunion où il refusera catégoriquement
de faire certains changements demandés par les producteurs,
Vincent Ward se fera à son tour virer du projet.
Suite à cela, Hill et Giler reprendront eux-mêmes les différentes versions du scénario
et fusionneront les idées de David Twohy et de Vincent Ward
pour obtenir ce qui deviendra la version presque définitive du script…
je dis "presque définitive" parce qu'au moment où le film entre enfin en tournage
sous la houlette du jeune David Fincher, dont c'est le tout premier long-métrage,
ben, plusieurs points de l'histoire sont encore et toujours en cours de réécriture.
Le pauvre Fincher va donc devoir composer avec un script non-définitif,
avec un chef-opérateur, Jordan Cronenweth, qui abandonne le tournage au bout de deux semaines
parce qu'il commence à souffrir de la maladie de Parkinson
et surtout avec les interventions constantes du producteur Jon Landau.
Pour ne rien arranger, à l'issue de ce tournage cauchemardesque
où ses décisions seront presque systématiquement remises en cause par Landau,
Fincher devra en plus accepter de voir le montage final lui échapper.
Sans surprise, lorsque le film sort enfin en 1992,
le réalisateur le renie et envisage carrément d'arrêter le cinéma
pour retourner vers le vidéo-clip et la publicité.
Même des années plus tard, lorsque les producteurs reviendront vers Fincher
pour lui proposer de participer à l'élaboration d'une version plus proche de sa vision
à l'occasion du coffret DVD Alien Quadrilogy,
le cinéaste refusera catégoriquement.
La version longue du coffret sera donc désignée par le terme "assembly cut"
au lieu du traditionnel "director's cut".
Et on peut comprendre Fincher tant Alien 3, quelle que soit la version qu'on choisisse,
porte les stigmates de sa production et de son tournage chaotique.
Que ce soit à cause d'effets spéciaux parfois ratés,
de choix de mise en scène discutables ou d'un scénario un peu confus,
Alien 3 est clairement ce qu'on appelle "un film malade"
c'est-à-dire un film dans lesquels on discerne un potentiel certain
mais qui est dans le même temps plombé par des problèmes de production évidents.
Ajoutez à cela le fait que Hicks et Newt y meurent dès le début,
ce que James Cameron décrira
comme un camouflet envers lui-même et les fans d'Aliens,
et vous obtenez un film qui reste encore largement considéré
comme le vilain petit canard de la saga.
Ce n'est d'ailleurs pas par hasard si Neil Blomkamp décide tout simplement
de faire comme si Alien 3 n'avait jamais existé et d'écrire une suite directe à Aliens
lorsqu'il commence à travailler sur un nouveau volet en 2015.
Il faut dire aussi qu'il est très facile de rejeter Alien 3
dans la mesure où c'est un film orphelin.
Alors que le premier film était l'oeuvre commune de Dan O'Bannon, Ridley Scott,
Hans Ruedi Giger, Ron Cobb et Moebius,
et que le deuxième volet était en grande partie le fruit du travail de James Cameron,
Alien 3 n'est finalement l'oeuvre de personne.
Chacun des artistes impliqués dans son développement ont été virés
ou ont vu leur travail modifié par quelqu'un d'autre.
Du coup, Alien 3 n'est ni le film de David Fincher,
ni celui de David Twohy,
ni celui de Vincent Ward, ni même celui de Giler, Hill et Carroll…
et, mine de rien, cela va avoir un impact sur son statut au sein de la franchise.
Et oui ! Qu'on le veuille ou non, la critique cinéma et l'analyse de film
reposent encore beaucoup sur la notion d'auteur et d'intentionnalité
c'est-à-dire que lorsqu'un film est l'oeuvre d'un ou de plusieurs auteurs,
tous les éléments qui s'y trouvent sont considérés
comme le résultat d'une intention plus ou moins consciente.
Le travail d'analyse revient alors à interpréter l'oeuvre
pour y déceler les différentes intentions des auteurs.
C'est en somme ce que beaucoup d'entre nous avons appris à faire en cours de français
lorsqu'on nous enseignait que l'auteur d'un texte "avait voulu dire que…"
Le problème, c'est que cette logique a un corollaire.
Si le véritable sens d'une oeuvre est forcément le fruit de l'intention d'un auteur,
alors une oeuvre sans auteur à proprement dit ne peut pas avoir de sens véritable.
C'est forcément une oeuvre impersonnelle qui n'a rien à dire