JFK, d'Oliver Stone - L'analyse de M. Bobine (Partie 1) (1)
Adeptes de la Grande Toile, bonjour !
Aujourd'hui, nous allons parler d'un film qui a beaucoup marqué son époque
et n'a absolument rien perdu de sa modernité
alors qu'il s'approche, mine de rien, de ses 25 ans :
JFK d'Oliver Stone, sorti en salles en 1991.
22 novembre 1963.
Le président Kennedy est assassiné
alors qu'il défile dans les rues de Dallas à bord d'une décapotable.
Très vite, un homme est arrêté mais deux jours plus tard,
Lee Harvey Oswad tombe à son tour sous les balles de Jack Ruby,
un mafieux qui prétend avoir voulu venger Jackie Kennedy.
Pour la Commission Warren, chargée de faire la lumière
sur les circonstances du drame,
il ne fait aucun doute qu'Oswald, communiste convaincu, a agi seul.
Peu satisfait par cette version,
le district attorney de La Nouvelle-Orléans, Jim Garrison,
décide de rouvrir le dossier trois ans plus tard,
et arrive à la conclusion que Kennedy a été victime
d'un complot impliquant la CIA, le FBI et le complexe militaro-industriel.
A l'origine de JFK,
il y a un livre co-signé par Jim Garrison et le journaliste Zachary Sklar
publié en 1988 : On the Trail of the Assassins.
Un exemplaire est confié à Oliver Stone lors d'un festival du film à la Havane
Le réalisateur le lit très vite
puis débourse dans la foulée 250 000 dollars de sa poche pour en acquérir les droits.
Après une première rencontre avec l'ancien procureur,
Stone achète les droits d'un autre livre tout juste sorti en librairie :
Crossfire, The Plot That Killed Kennedy
du journaliste indépendant et théoricien du complot Jim Marss.
Tant qu'il est,
il place une jeune diplômée de Yale à la tête d'une équipe de chercheurs
pour collecter autant d'information que possible sur le sujet.
Fin 1989,
il obtient un budget de 20 millions de la Warner dont le big boss,
Terry Semel,
a déjà à son actif quelques thrillers politiques
comme A cause d'un assassinat et Les hommes du président,
bien connu des fans de La Classe américaine.
Moi je veux être connu, tu sais pourquoi ?
Pour niquer des gonzesses.
Quand t'es célèbre tu niques plein de gonzesses
Et tu bouffes des trucs bien meilleurs qu'ici.
Pour écrire le scénario, le réalisateur s'associe avec Zachary Sklar,
le co-auteur de On the Trail of the Assassins.
Leur principale source d'inspiration est le film Z de Costa-Gavras,
sorti en 1969.
Celui-ci raconte l'enquête d'un juge d'instruction sur la mort suspecte
d'un député progressiste dans un pays non identifié du bassin méditerranéen,
mais qu'on assimile sans trop de difficulté à la Grèce,
tombée deux ans plus tôt sous la dictature des Colonels.
Le choix comme titre des initiales du président assassiné
est un renvoi très explicite au film réquisitoire de Costa-Gavras.
Au sein des deux oeuvres,
une image du meurtre est utilisée pour faire éclater la vérité.
Oliver Stone cite également comme une influence majeure
le Rashomon d'Akira Kurosawa, sorti en 1950,
qui revisite une scène de meurtre
en donnant successivement la parole à quatre témoins
vec chacun leur interprétation des faits.
En effet, tout au long de JFK,
le cinéaste reviendra régulièrement vers la Dealey Plazza de Dallas
où Kennedy a été tué, rejouant sans cesse l'instant fatidique
en adoptant le point de vue de l'interlocuteur du moment de Jim Garrison.
Le réalisateur se rend compte rapidement
que l'enveloppe de 20 millions de dollars qu'on lui a alloué ne sera pas suffisante.
Conciliante,
la Warner dégote alors un partenaire financier en la personne d'Arnon Milchan,
président de la société Regency
et producteur très influent à Hollwyood depuis le début des années 80.
Bon... ce dernier révélera en 2013 être un trafiquant d'armes
doublé d'un agent secret au service d'Israël.
Bref, tout à fait le genre de coco à s'entendre avec Oliver Stone !
On le retrouvera d'ailleurs au générique de ses deux films suivants.
Quand le casting démarre,
la moitié des acteurs d'Hollywood vient camper
sur la pelouse d'Oliver Stone dans l'espoir de participer au film,
quitte à renoncer à une partie de leur salaire.
Certains par conviction politique comme Martin Sheen
qui assure la narration au début du film et ne sera même pas crédité au générique.
D'autres parce que l'auteur de Platoon et Né un 4 juillet
est alors en odeur de sainteté dans la Mecque du cinéma.
Malgré son entêtement à explorer la mauvaise conscience de l'Amérique,
Stone a déjà remporté en quelques années
quatre oscars et autant de Golden Globes.
Il a permis à Tom Cruise, James Woods, Willem Dafoe et Tom Berenger
de toucher du doigt la précieuse statuette,
et filé à Michael Douglas LE rôle de sa carrière dans Wall Street.
Kevin Costner n'est pas le premier choix du cinéaste
qui lui préfère Harrison Ford et Mel Gibson,
mais le puissant agent Michael Ovitz fait le forcing pour imposer son poulain.
Le triomphe critique et public de Danse avec les loups
dans les semaines qui précèdent le tournage
rassurera tout le monde sur le caractère bankable de l'acteur.
A la demande de Stone,
les acteurs principaux se plongent à leur tour
dans l'abondante littérature consacrée à l'affaire Kennedy.
Costner et Tommy Lee Jones rencontrent Jim Garrison,
et Gary Oldman la veuve de Lee Harvey Oswald.
Le comédien anglais devra également improviser une bonne partie de ses scènes,
comme cette étonnante confession “post-mortem”
que le réalisateur coupera finalement au montage.
Le tournage de JFK dure en tout et pour tout 79 jours,
ce qui est étonnamment peu pour un film de cette ampleur,
avec des comédiens en pagaille
et une blinde de décors d'époque à reconstituer.
Mais le véritable tour de force concerne le montage,
confié aux mains expertes de deux hommes :
Joe Hutshing et Pietro Scalia.
Ensemble, ils vont devoir traiter
une quantité absolument hallucinante d'archives en tous genres
et les intégrer avec les images tournées par Stone
pour former un ensemble cohérent.
Le tout en moins de 5 mois,
puisque les prises de vues s'achèvent en juillet 1991
pour une sortie fin décembre !
Le cinéaste présente aux deux monteurs un pubbeur
dont il apprécie “l'esprit chaotique”
pour les encourager à se desinhiber vis-à-vis des règles classiques du montage.
Sous son impulsion,
ils vont conserver des défauts créés par leur machine
et faire ce qu'ils appellent du “jazz” avec les images.
Tout au long de ses 3h09
(plus 26 minutes pour le Director's Cut sorti en 2001),
FK se présente donc comme un maelström visuel,
où se mélangent allègrement pellicules 35 et 16 mm,
Super 8, images de journaux TV et de vidéo surveillance, couleurs et noir&blanc;.
A moins d'avoir un œil particulièrement exercé
et la main constamment rivée à sa télécommande
pour faire des arrêts sur image,
il devient très vite impossible pour le spectateur de faire la différence
entre les images d'archives des sixties
et les plans tournés en 1991 par Oliver Stone,
surtout quand le film affiche un nombre de cuts à la minute
à rendre Michael Bay vert de jalousie !
C'est là que réside à mon avis le véritable coup de génie de JFK.
La multiplicité des formats renvoie directement
à la multiplicité des théories sur l'assassinat de Kennedy.
Autrement dit,
la forme du film fait littéralement corps avec son sujet.
Comme Garrison et son équipe,
noyés sous les informations contradictoires,
les spectateurs doivent faire le tri au milieu de sources d'images diverses
et tenter de distinguer comme ils peuvent le vrai du faux.
Tandis que les uns se demandent si Kennedy a été tué par Oswald ?
Le complexe militaro-industriel ? La Mafia ?
Fidel Castro Mickey mouse ou qui sais-je encore ?
les autres doivent sans cesse se poser la question :
cette image date-t-elle bien du 22 novembre 1963 ?
Ou bien s'agit-il d'une habile reconstitution ?
Et oui
la paranoïa franchit la barrière de l'écran pour envahir la salle de ciné.
Quitte à jouer les psychiatres amateurs
on qualifierait bien aussi JFK de grand film schizophrène.
C'est une fiction, mais il emprunte énormément au documentaire.
Il s'inscrit dans une grande tradition hollywoodienne
avec son courageux héros qui se dresse seul contre l'establishment
et son casting 12 étoiles,
mais son traitement visuel relève littéralement du jamais vu
et continue encore d'impressionner aujourd'hui
par son incroyable mélange de maîtrise et de chaos.
La photographie de Robert Richardson
ne cesse d'alterner entre une lumière diffuse et chaleureuse d'un côté,
et des fulgurances expressionnistes dignes d'un film noir de l'autre,
vec notamment ces fameuses douches de lumière surexposée,
que le chef op' nous ressortira plus tard dans Casino et Kill Bill.
La musique n'est pas en reste.
L'immense compositeur John Williams enchaîne
les grands thèmes majestueux sentant bon l'Americana dont il a le secret
et nous livre en même temps son score le plus expérimental
depuis Rencontres du 3e type.
Forcément, en livrant un film aussi radical à tous points de vue,
Oliver Stone devait s'attendre à ne pas se faire que des copains.
Bien qu'habitué aux scandales depuis l'époque où il n'était que scénariste,
il affronta avec JFK la pire shitstorm de sa carrière.
Les ennuis commencèrent dès le tournage
puisque le Washington Post réussit à mettre la main
sur une des premières versions du scénario
et accusa aussitôt Stone de prendre trop de libertés avec les faits.
Le Chicago Tribune lui emboîta le pas,
parlant cette fois "d'insulte à l'intelligence"
… pour un film qui ne sortira que 8 mois plus tard !
C'est à ce moment là que le Point Godwin sera atteint en beauté,
quand Jack Valenti, le président la MPAA,
comparera JFK au Triomphe de la Volonté de Leni Riefenstahl
tandis qu'un ancien membre de la Commission Warren en parlera
comme d'un “gros mensonge qui aurait plu à Hitler”.
Le Washington Post en remettra une dernière pour la route
en qualifiant Oliver Stone de “sociopathe intellectuel qui se contrefout de la vérité”.
En réponse, le réalisateur publiera
une version annotée de son scénario où il justifie tous ses choix.
Du côté du clan Kennedy, l'accueil ne fut guère plus chaleureux,
malgré la portrait flatteur (et, il faut bien le dire, pas très nuancé)
du président assassiné.
Et pourtant Le brûlot d'Oliver Stone eut un impact au niveau politique
puisqu'il fut à l'origine d'une loi votée par le Congrès en 1992,
le JFK Act.
Grâce à lui,
il ne nous reste plus que deux ans à attendre
avant que tous les documents relatifs
à l'assassinat de Kennedy soient rendus enfin publics.
JFK fut nominé 8 fois aux Oscars et en remportera deux :
un pour la photographie
et un, logiquement, pour le montage.
Oliver Stone de son côté ajoutera sur sa cheminée
un nouveau Golden Globe du meilleur réalisateur.
Le film rapportera au final plus de 200 millions de dollars dans le monde.
Ce qui n'est plutôt pas mal pour un film dossier de 3 heures
qui s'adresse essentiellement au public américain...
Dans son sillage,
une vague de Kennedysploitation va déferler sur les écrans.
Par exemple, la série phare de l'époque,
X-Files va surfer à mort sur le thème de la paranoïa anti-gouvernement,
et se servira de l'idée d'un mystérieux second tireur,
popularisée par JFK, pour enrichir sa mythologie...
...Ce qui ne va pas manquer d'inspirer d'autres scénaristes par la suite.
Le film marque aussi une vraie radicalisation dans le cinéma d'Oliver Stone.
Entamé l'année précédente avec The Doors,
son virage expérimental se poursuivra sur Tueurs nés et Nixon,
le film jumeau de JFK, qui recevra un accueil nettement plus tiède.
JFK reste à l'heure actuelle le dernier vrai titre de gloire du cinéaste.
Mis à part l'excellent L'enfer du dimanche en 2000,
ses films suivants seront soit reçus avec une indifférence polie,
soit violemment rejetés.
Lui qui au lendemain des attentats du 11 septembre promettait
de faire un jour un film sur le sujet,
livrera en 2006 l'inoffensif World Trade Center.
Son biopic sur George W Bush, sorti deux ans plus tard,
se révélera un beau pétard mouillé,
qui laisse penser que Stone a peut-être déjà tout dis avec JFK.
Il faudra attendre son film sur le "traître à la patrie" Edward Snowden,
avec Joseph Gordon Levitt dans le rôle-titre,
pour savoir si le réalisateur est encore capable de livrer des œuvres viscérales