Platoon d'Oliver Stone, l'analyse de M. Bobine (1)
Adeptes de la grande toile bonjour !
Aujourd'hui, nous allons parler du film qui a changé la carrière d'Oliver Stone,
en le faisant passer du statut de scénariste talentueux,
provocateur et maltraité,
à celui de réalisateur talentueux, provocateur
et respecté de toute l'industrie.
Quand on parle de Platoon,
c'est souvent pour vanter son réalisme,
qualité assez logique quand on sait que Stone a participé à la guerre du Viêt Nam.
Mais nous allons voir dans cet épisode que le film ne se limite pas à cette seule lecture.
Et c'est probablement la raison du fait
que sa force est restée quasi intacte encore aujourd'hui
malgré la brouette de films de guerre, dont quelques monuments, qui lui ont succédé.
Bon, autant prévenir tout de suite :
on va spoiler bien comme il faut les passages les plus dramatiques du film.
Mais bon, depuis le temps, vous devez un peu les connaître, quand même, non ?
Source quasi intarissable d'histoires à fort potentiel dramatique,
la guerre a toujours été un sujet très prisé par le cinéma,
et en particulier le cinéma américain,
plus enclin que celui de notre pays à se pencher sur son histoire.
La Guerre du Viêt Nam,
dans laquelle 58 000 soldats américains et plus d'un millions de vietnamiens sont morts,
n'échappe bien sûr pas à la règle.
En un peu plus d'un demi-siècle, on a eu droit à peu près à tout :
des films pro-guerre,
des films anti-guerre,
des drames aux limites de l'insoutenable,
des comédies,
des films documentaires, des séries télé...
Le conflit du Viêt Nam a inspiré les plus grands
et donné lieu à au moins deux sous-genres :
le film-de-vétéran-traumatisé par-son expérience-de-la-guerre
et le-film-de-prisonniers-de-guerre- oubliés-sur-place.
Certains cinéastes y sont revenus par deux fois,
comme Francis Ford Coppola avec Apocalypse Now et le nettement moins connu Jardins et Pierre,
ou encore Sidney J.Furie.
Mais aucun n'aura autant contribué à la Vietnamsploitation que notre ami Oliver Stone.
Platoon, sorti en 1986, est le premier film
de ce qu'on a pris l'habitude d'appeler sa “trilogie vietnamienne”,
qui comprend également Né un 4 juillet, sorti trois ans plus tard,
et le moins apprécié Entre ciel et terre en 1993.
La guerre du Viêt Nam est aussi une toile de fond pour d'autres œuvres de sa filmographie :
Les Doors, Nixon, et JFK dont nous avions déjà parlé dans un épisode de M. Bobine.
Certains personnages qu'il a créés ont vécu le conflit et en portent les stigmates,
comme le héros de Salvador, le film qu'il a tourné juste avant Platoon,
ou celui de L'année du dragon de Michael Cimino sur lequel Stone était scénariste.
La trilogie vietnamienne aurait pu être prolongée par d'autres films.
En 2007 Stone était attaché au projet Pinkville centré sur le massacre de Mỹ Lai en mars 1968
qui a coûté la vie à 500 civils sud vietnamiens.
Produit par la United Artists et porté par Bruce Willis et Woody Harrelson,
le film était tombé à l'eau à quelques semaines du tournage.
Puis, en 2001,
il avait essayé de reprendre à son compte le scénario The Last Tour de Lloyd Levin,
qui racontait les mésaventures de vétérans de retour au Viêt Nam 40 ans après la guerre
pour déterrer un trésor enfoui.
Le projet a ensuite été récupéré par Spike Lee,
qui l'a largement réécrit pour mieux coller à ses thèmes de prédilection.
Le résultat est visible depuis l'an dernier sur Netflix.
Du coup, vous vous demandez peut-être pourquoi Stone fait une telle fixation sur le Vietnam ?
Tout simplement parce qu'elle a joué un rôle absolument capital dans sa vie personnelle,
comme il l'explique très bien dans sa passionnante autobiographie
publiée l'an dernier en France sous le titre À la recherche de la lumière.
William Oliver Stone, de son vrai nom, est né à New York en 1946.
Son père, Louis Stone, est issu d'une riche famille d'industriels juifs
installés dans l'Upper West Side.
Agent de change à Wall Street dans les années 30,
il est affecté à la branche financière de l'État-major des forces alliées en Europe,
dirigée par Dwight Eisenhower.
Après la Libération, alors qu'il est arrivé au grade de lieutenant-colonel,
il rencontre dans les rues de Paris une jeune française de 11 ans sa cadette :
Jacqueline Goddet.
Bien qu'ils n'aient pas grand chose en commun,
Stone senior lui propose très vite de l'épouser
et, en janvier 1946, tous deux embarquent à bord d'un navire militaire pour rentrer à New York,
où le petit Oliver naît quelques mois plus tard.
Basé sur des fondations très fragiles,
le mariage des Stone va durer miraculeusement 16 ans.
Pour le jeune Oliver, le divorce de ses parents est ressenti comme un véritable séisme,
pas très différent de celui vécu à la même époque par un certain Steven Spielberg
dont nous avions largement parlé.
Pur produit de la haute société de la Côte Est,
Oliver Stone est assez naturellement admis en 1964 à la prestigieuse université de Yale,
tout comme son père en son temps.
Mais, au grand désespoir de ce dernier,
il négocie avec le doyen une année sabbatique pour aller voir du pays.
Stone débarque pour la première fois au Viêt Nam
après avoir accepté, sur la base d'un simple prospectus,
un poste sous-payé de professeur au sein d'un lycée catholique anglophone de Saïgon.
Il démissionne au bout de 6 mois et se balade un temps dans toute l'Asie du sud-est
avant de s'engager dans la marine marchande américaine,
ce qui lui offre son billet de retour pour les États-Unis.
Alors qu'il n'a même pas 20 ans, il part au Mexique sur un nouveau coup de tête,
et s'enferme dans une chambre d'hôtel de Guadalajara
pour écrire avec ferveur, son premier roman largement autobiographique.
Son retour à Yale, Oliver Stone le fait finalement avec une année de retard,
en septembre 1966.
Mais il décide une nouvelle fois de tout abandonner pour rentrer à New York
et poursuivre, avec une énergie redoublée, la rédaction de son roman.
Le manuscrit est refusé par les deux éditeurs avec lesquels son père l'a mis en contact.
Dépité, Stone va alors prendre une décision très lourde de conséquences :
il s'engage volontairement, sous son nom de naissance, dans l'infanterie américaine.
Son idée est de “participer à la grande guerre de sa génération”,
comme son père et son grand-père maternel avant lui.
Alors qu'il aurait pu intégrer le centre de formation des officiers,
Stone émet le souhait d'être envoyé sur le terrain, au grade le plus bas possible.
“Je voulais être à la même enseigne que tout le monde,
un soldat d'infanterie anonyme, de la chair à canon,
dans la boue jusqu'aux cuisses au milieu de ce peuple
que je ne connaissais que par les romans de John Dos Passos”.
Arrivé au Viêt Nam le jour de son 21e anniversaire,
il sert dans trois unités de combat de la 25ème division d'infanterie dans le sud du pays.
Puis il est affecté au sein de la 1ère division de cavalerie,
on loin de la zone démilitarisée qui sépare le Viêt Nam du Nord du Viêt Nam du Sud.
Stone participe à quelques 25 assauts à bord d'hélicoptères,
il est blessé légèrement deux fois, reçoit une Bronze Star
et une Purple Heart pour actes de bravoure.
Sur place, il découvre l'herbe vietnamienne,
qui l'amènera ensuite à expérimenter d'autres drogues :
le LSD, la cocaïne, la mescaline, les champignons hallucinogènes…
En novembre 1968, après 15 mois de service,
il quitte le Viêt Nam libre de tout engagement militaire.
Comme il l'avait fait après son premier voyage en Asie,
il s'offre une petite virée au Mexique,
mais il est arrêté en essayant de franchir la frontière à pied
et est transféré à la prison d'état de San Diego.
Accusé de trafic de drogue, il risque de prendre 25 ans ferme
mais son père parvient à le tirer d'affaires.
Aucun doute que cette expérience carcérale aura nourri
le scénario de Midnight Express qu'il écrira quelques années plus tard.
De retour à New York, Stone emménage dans un appartement miteux
avec des junkies pour voisins.
l'écriture romanesque s'avérant trop douloureuse,
il se lance à corps perdu dans celle d'un scénario pour le cinéma.
À cette époque, la relation entre Stone père et fils n'est pas au beau fixe.
Le premier se désole des choix de carrière du second,
qui lui semblent voués à l'échec.
De son côté, Oliver, transformé en gauchiste pur et dur par son expérience au Viêt Nam,
reproche à son géniteur de soutenir incon- ditionnellement l'effort de guerre américain.
Pour Louis Stone, le complexe militaro-industriel,
dopé à coups de milliards de dollars dans les années 50
par son ancien supérieur devenu président des États-Unis,
s'impose en effet comme le meilleur rempart contre la menace communiste
mais aussi comme le moyen idéal pour assurer la prospérité économique du pays.
Il fait donc partie intégrante de ce que son fils appellera plus tard “la Bête”.
Ce désaccord quasi irréconciliable va nourrir le tout premier scénario d'Oliver Stone, Break,
très inspiré également par quelques titres des Doors.
Ce film de SF part du postulat que dans le futur,
le monde occidental est devenu plus réactionnaire que jamais.
Pour se libérer de cette dictature, les jeunes ont fui dans des forêts loin à l'Est
pour former de paisibles tribus vivant en harmonie avec la nature.
La guerre est bientôt déclarée et le héros, Anthony,
un jeune vaguement en rébellion contre son père, est recruté comme soldat
dans une grande opération d'invasion.
Mais lors de sa première grande bataille,
les envahisseurs américains, malgré toute leur technologie,
se font massacrer à coups de lances, de pierres et de flèches.
Oui, difficile d'échapper à l'allégorie sur la guerre du Viêt Nam...
Blessé, Anthony est fait prisonnier.
Il ne va pas tarder à changer de camp, après être tombé amoureux d'une des hors-la-loi,
présentée comme une quasi déesse.
Après s'être accouplé avec elle dans la nature,
il accède à un nouveau niveau de conscience et devient un chef dyonisiaque
qui prend la tête de la lutte contre l'Ancien Monde.
Et oui, je sais pour vous mais moi ça me fait méchamment penser à Avatar
avec 40 ans d'avance.
Et la ressemblance aurait été, je crois, encore plus frappante
si James Cameron avait gardé au montage de son film
le passage où Jake Sully se tape un trip mystique à base d'animaux totems.
Le parallèle n'a pas échappé à Stone qui, loin d'accuser son confrère de plagiat,
s'est répandu en compliments à son égard.
Et puis… Break ressemble surtout à un célèbre roman qui cartonnait aux Etats-Unis
pendant que Stone écrivait son scénario :
Dune de Frank Herbert,
qui semble être l'une des sources d'inspiration de pas mal de cinéastes de science-fiction
malgré son statut de roman inadaptable.
Après avoir écrit un autre scénario où il évoque cette fois sa relation avec sa mère,
il entre à l'automne 1969 à à la School of Arts de la New York University.
Oliver Stone va y tourner un court-métrage
qui évoque aussi, à sa manière, son passé de soldat.
Tourné en 16 mm noir et blanc,
Last Year in Viêt Nam met en scène Stone lui-même dans le rôle d'un vétéran taiseux
qui erre chez lui et dans les rues de New York,
tandis que sa femme de l'époque déclame en français
des passages du Voyage au bout de la nuit de Céline.
Le film fait forte impression sur ses camarades et l'un de ses professeurs :
Martin Scorsese.
Ça a débuté comme ça.
En rentrant du Vietnam,
j'étais un bon soldat.
Moi, j'avais jamais rien dit.
Stone a beau accoucher chaque année d'au moins deux scénarios
et bosser à l'occasion comme assistant de production,
il va lui falloir attendre 1974 pour pouvoir tourner son premier long-métrage :
La reine du mal,
un film d'horreur psychologique assez fauché.
L'idée d'un film directement inspiré de son expérience vietnamienne
émerge deux ans plus tard, en 1976.
La vie privée et professionnelle de Stone est alors au plus bas.
Il vient de quitter sa femme et, à 30 ans, n'a toujours pas réussi à percer au cinéma,