THE SOCIAL NETWORK de David Fincher, L'analyse de M. Bobine (2)
On a déjà vu qu'un des enjeux de The Social Network
était la disparition d'un ordre social au profit d'un nouvel ordre émergent…
mais ce que pointent Fincher et Sorkin,
c'est que l'objectif de Zuckerberg n'est pas de mettre en place
un ordre social plus égalitaire.
Pour eux, il n'est pas motivé par un quelconque idéal
mais par son ambition et sa frustration de ne pas être reconnu à sa juste valeur.
À partir de là,
il ne peut que reproduire les hiérarchies arbitraires
de l'ordre social précédent.
Cette idée n'est pas neuve dans l'oeuvre de Fincher.
Elle était déjà au centre de Fight Club
où, faute d'une assise théorique et politique forte,
la frustration du narrateur le menait à épouser une idéologie fascisante.
Il y a dans The Social Network énormément de réminiscence de Fight Club.
Comme le soulignait Nicolas Marceau sur le site de l'Ouvreuse.net,
le personnage de Sean Parker évoque facilement à celui de Tyler Durden.
Dans les deux cas,
on a une figure qui fascine le protagoniste par son attitude et son discours…
et dans les deux cas, cette figure de mentor ne se préoccupe pas
d'accorder ses paroles et ses actes.
Tout comme Tyler Durden,
Sean Parker ne parle que de s'attaquer au système
mais dans les faits,
il se plaît à profiter des mêmes privilèges et avantages
ue l'élite qu'il prétend détester.
Par exemple,
c'est lui qui invite deux jeunes filles dans la maison louée par Zuckerberg,
transformant ainsi Facebook en une sorte de final club plus décontracté.
De la même façon,
la scène où Zuckerberg recrute des développeurs pour Facebook
fait écho aux scènes de bagarres dans Fight Club,
avec d'un côté la foule en délire qui harangue les combattants
et de l'autre un instigateur calme et souriant qui contemple son oeuvre.
On peut aussi citer l'attitude de Zuckerberg
lorsqu'il accompagne Eduardo Saverin chez un annonceur potentiel
ou lorsqu'il va chez un investisseur en pyjama
comme autant de renvois aux actions du Projet Chaos.
Dans Fight Club comme dans The Social Network,
l'absence de réflexion politique et morale
conduit les protagonistes à perpétuer les travers systémiques
d'une société qu'ils prétendent changer.
Par exemple, dans The Social Network,
le sexisme de Facemash puis de Facebook n'a rien à envier à celui des final clubs.
Néanmoins, les deux films se terminent de façon très différentes.
Dans Fight Club,
le narrateur était confronté aux conséquences bien réelles de ses actions
et tentait d'enrayer le Project Chaos.
Dans The Social Network,
Zuckerberg termine au contraire le film en étant persuadé de son bon droit.
Il retrouve donc le profil d'Erica sur Facebook.
Le simple fait qu'elle soit présente sur le réseau tend déjà à valider ses actions.
Selon Zuckerberg, si la femme qui l'avait rejeté a rejoint Facebook,
c'est bien que son idée était la bonne.
L'étape suivante est donc de la demander en ami.
À partir de là, il n'a plus qu'à attendre patiemment qu'elle accepte,
elle qui a toutes les raisons de refuser.
Lorsqu'elle acceptera,
il aura gagné.
Symboliquement,
ça signifiera que l'hégémonie de Facebook ne connaîtra pas de limite.
Plus de huit ans après la sortie du film,
il est assez fascinant de constater dans quelle mesure
l'analyse de Fincher et Sorkin était pertinente.
Même si la croissance de Facebook a commencé à ralentir,
notamment au profit d'autres plateformes,
le propos reste valide pour peu qu'on l'étende aux autres réseaux sociaux,
voire à l'ensemble de la Silicon Valley.
D'ailleurs, depuis The Social Network,
d'autres auteurs ont pointé les dérives des nouvelles technologies
dues à l'absence de réflexion sociale et politiques.
Dans des registres extrêmement différents,
on peut ainsi citer Silicon Valley,
l'excellente série de Mike Judge
ou encore le travail de l'essayiste Evgeny Morozov.
Il faut aussi noter que les critiques envers le fonctionnement de Facebook
se sont multipliées depuis plusieurs mois
et ont mené à l'audition de Mark Zuckerberg par des sénateurs américains
et des eurodéputés.
On peut se dès lors se demander si Facebook aura la capacité et la volonté
de modifier son fonctionnement pour s'appuyer enfin
sur les principes éthiques qui lui ont manqué à sa création…
mais on s'aventure bien au-delà des enjeux de The Social Network
et je vais donc m'arrêter là !