GAFFE 2009-06-03
« Ciel ! On a oublié d'inviter la reine d'Angleterre ». Est-ce bien l'interjection qu'on a entendue dans les couloirs des services du protocole, chargés de l'anniversaire du débarquement en Normandie ? En tout cas, cet oubli embarrasse aujourd'hui, qu'il soit le fruit d'une étourderie, d'un impair ou d'une volonté délibérée. On penche plutôt pour la gaffe, la bourde ou la bévue, toutes ces erreurs dont on se repent presque aussitôt après les avoir faites, mais il est trop tard. Et souvent, un geste les exprime : une main sur la bouche, assortie d'un air effaré, comme si on voulait, avec quelques secondes de retard, empêcher de sortir le mot fatal qui vient de s'échapper. Alors, si c'est un oubli qui n'était pas prémédité, s'agit-il réellement d'une gaffe ? Le mot, en général, désigne plutôt ce qu'on a fait et qu'on n'aurait pas dû faire, que ce qu'on n'a pas fait. Et pourtant, les gaffes par défaut existent bien.
Mais pourquoi « gaffe » ? Pourquoi « gaffeur » à propos de celui qui en est coutumier ? Le premier sens du terme n'indique pas vraiment ce genre de signification. Il s'agit d'une sorte de perche avec laquelle on fait avancer un petit bateau. On pousse dessus. Mais encore faut-il savoir le faire, et ne pas emmener l'embarcation dans un sens opposé. Et si on ne sait pas s'y prendre, la gaffe devient l'instrument de l'embarras, plus que celui de la manœuvre. Elle vous encombre, on a l'air empoté, et quand on veut avancer, on recule, quand on veut aller à droite, on va à gauche. Autrement dit, on patauge. Je ne dirais pas « on rame », car cette expression me paraît bien postérieure.
Mais la gaffe est-elle toujours involontaire ? Elle le paraît. Mais parfois, c'est ce qu'on voulait vraiment faire qui s'exprime ainsi. Si l'on dit, par exemple, « hier j'ai croisé François, je devais voir Marguerite et justement il était là », c'est peut-être qu'on a très envie de faire circuler le message selon lequel Marguerite accompagne François, ce qu'elle n'était pas censée faire. C'est ce qu'on appelle parfois une gaffe révélatrice. Fréquemment, une gaffe est une erreur qui va compromettre quelqu'un, qui va dire ce qu'il fallait taire, laisser apparaître ce qui devait rester caché. Ou alors, c'est une faute contre la politesse, les bonnes manières. Dire à quelqu'un, lors d'un mariage, « vous êtes la mère de la mariée ? », alors que c'est sa meilleure amie, même si elle fait un peu moins jeune, c'est une gaffe monumentale. Est-ce une bourde ? Une bourde est une erreur (parfois monumentale elle aussi), celle que, surtout, on n'aurait pas dû commettre. Mais ce n'est pas forcément une gaffe. C'est la faute qui ridiculise celui qui la fait. On ne s'attendait pas à ça de sa part. Une telle erreur d'appréciation, une telle inculture ! À l'origine, la bourde est bien autre chose. C'est une histoire inventée, un bateau qu'on a monté, parfois un canular. Et puis, c'est devenu l'énormité qu'on lâche sans l'avoir fait exprès. Coproduction du Centre national de Documentation Pédagogique. http://www.cndp.fr/