(#4) Pourquoi la Turquie s'en prend aux Kurdes (Mappemonde Ep. 4) - YouTube
Plusieurs explosions ont retenti à la frontière, des milliers de
réfugiés fuient.
La Turquie se dit prête à attaquer les forces kurdes.
Et rien, aucune pression internationale, ne semble pouvoir
stopper cette offensive.
6 octobre 2019, Donald Trump amorce
le retrait des troupes américaines dans le nord de la Syrie.
Cette décision est synonyme d'un feu vert donné à la Turquie pour
enclencher une invasion.
L'objectif turc, écraser les forces kurdes qui contrôlent ce vaste
territoire, ici.
Depuis le début de la guerre en Syrie, les Kurdes ont profité du chaos
pour consolider leur influence dans la région, notamment en combattant
l'organisation État islamique avec le soutien de la coalition
internationale.
Alors que leurs alliés américains se retirent de la frontière au
lancement de l'offensive turque, les forces kurdes, elles,
se retrouvent seules.
Pour comprendre ce nouveau chapitre de la guerre en Syrie,
il faut remonter quelques années en arrière.
En 2011, des manifestations éclatent dans plusieurs grandes villes de
l'ouest et du nord.
Face à la répression du régime de Bachar al-Assad, les contestations
se transforment rapidement en révoltes armées.
La rébellion ouvre alors plusieurs fronts et l'armée syrienne doit
faire des choix.
À l'été 2012, les troupes de Bachar el-Assad décident d'évacuer la
quasi-totalité des provinces nord de la Syrie pour défendre les
principales villes du pays.
Cette région à la frontière de la Turquie abrite plus d'un million
et demi de Kurdes.
Par le passé, ce peuple minoritaire a connu la discrimination,
voire la répression du régime.
Face au vide laissé par le gouvernement syrien, plusieurs secteurs passent
alors sous le contrôle du parti politique kurde le plus organisé
de la région, le PYD, le Parti de l'union démocratique.
Même si les Kurdes de Syrie ne revendiquent pas une indépendance,
ils entendent administrer de façon autonome leur territoire qu'ils
appellent le Rojava.
Ils mettent en place un système de gouvernements locaux et une
Constitution qui entend protéger les droits de tous les citoyens,
indépendamment de leur ethnie.
Ils défendent aussi l'égalité des sexes dans toutes les institutions,
y compris dans l'armée.
Mais alors que leur modèle commence à prendre forme, ils sont attaqués.
Les combattants du groupe djihadiste Daech…
Les combattants du groupe djihadiste Daech gagnent du terrain dans le
nord-est du pays.
En 2014, le groupe État islamique s'empare d'une partie de la Syrie.
Au nord, ils arrivent jusqu'aux portes de Kobané.
Encerclés, des combattants kurdes parviennent à résister aux assauts
des djihadistes.
Ce sont les YPG, les Unités de protection du peuple kurde,
rattachées au PYD.
Soutenues par les forces aériennes américaines qui viennent tout juste
de s'engager contre l'État islamique, les YPG finissent par reprendre
la ville de Kobané.
Cette victoire marque un tournant dans la guerre contre l'EI.
Dès lors, les forces kurdes, soutenues par l'aviation américaine,
deviennent une des forces principales de lutte contre le groupe terroriste.
À mesure que les YPG libèrent les villes aux mains des djihadistes,
ils intègrent des populations et combattants arabes dans une nouvelle
coalition militaire, les Forces démocratiques syriennes,
et créent en 2016 la Fédération démocratique du nord de la Syrie.
Mais la création de ce territoire pose problème, en particulier à
un homme, Recep Tayyip Erdogan, le président de la Turquie.
Le président Erdogan est opposé à la création d'un territoire autonome
kurde à sa frontière, du fait du conflit qui l'oppose
déjà aux Kurdes de Turquie.
Oui, car les Kurdes ne vivent pas simplement en Syrie.
Le peuple kurde recouvre en réalité quatre territoires différents,
notamment la Turquie où ils représentent 18 % de la population.
Depuis les années 1980, le gouvernement turc est en guerre
contre une organisation kurde armée appelée le PKK, le Parti des
travailleurs du Kurdistan.
Cette organisation, considérée comme terroriste par la Turquie,
les États-Unis et l'Union européenne, s'est battue pendant une quarantaine
d'années pour une indépendance, puis pour une reconnaissance de
l'identité kurde en Turquie.
Pour ça, ils ont déjà revendiqué des attentats dans le pays.
Le problème, c'est que pour la Turquie, le PYD est considéré comme la branche
syrienne du PKK.
Selon Ankara, ils sont donc terroristes au même titre que leurs alliés turcs.
Sur le terrain notamment, les deux organisations ont combattu
ensemble les djihadistes de l'EI.
Selon un décompte du think tank Atlantic Council, 49 % des combattants
kurdes morts au combat en Syrie entre 2013 et 2016 étaient originaires
de Turquie.
Alors forcément, quand les Kurdes du côté syrien gagnent en puissance
et en autonomie, le gouvernement turc voit monter une menace.
Et puis, en 2015, les choses se compliquent davantage pour
Erdogan.
La surprise en Turquie, le président Erdogan a raté son
pari.
Pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2002,
il perd sa majorité absolue au Parlement, et cela en partie à
cause du parti officiel kurde qui fait sa première percée aux
législatives avec 14 % des sièges.
Alors, pour récupérer cette majorité, Erdogan décide de jouer la carte
de l'ultra-nationalisme.
Son objectif, attirer les voix de l'extrême droite, opposée à
toute reconnaissance des Kurdes.
Un mois plus tard, alors que les forces kurdes lancent des insurrections
urbaines dans le sud-est du pays, Erdogan se lance donc dans une
violente répression contre le PKK.
Selon l'ONG International Crisis Group, plus de 2 000 personnes perdront
la vie dans ces combats entre 2015 et 2016, y compris plusieurs centaines
de civils.
Dans les mois qui suivent, des attentats font des dizaines
de morts dans plusieurs villes du pays.
Certains sont revendiqués par le PKK ou des branches dissidentes
radicales du groupe.
Mais la Turquie ne s'arrête pas là.
En août 2016, sans aucun mandat international, l'armée turque lance
une première opération militaire en Syrie, officiellement pour attaquer
les dernières positions de l'organisation État islamique,
mais dans les faits, ils s'en prennent aussi aux combattants
kurdes et s'emparent d'une partie du territoire syrien.
Pour cela, ils s'appuient sur l'aide de groupes armés issus de l'Armée
syrienne libre, des rebelles opposés au régime de Bachar al-Assad depuis
le début du conflit syrien.
Malgré ce front, au nord, les Kurdes continuent la lutte
contre l'EI.
Et fin 2017, la ville de Rakka tombe.
L'organisation État islamique perd ainsi sa capitale autoproclamée.
C'est une importante victoire pour les Kurdes, mais en réalité,
elle va avoir un effet pervers.
Avec la chute de cet ennemi commun, les Kurdes perdent de leur utilité
pour les forces occidentales, et la Turquie en profite.
Dès janvier 2018, la Turquie lance une nouvelle offensive en Syrie,
toujours avec l'aide des rebelles de l'Armée syrienne libre.
Cette fois-ci, elle vise ouvertement les combattants des YPG,
dans le canton d'Afrin.
Quelques mois plus tard, l'état-major turc estime avoir
neutralisé plus de 4 000 terroristes depuis le début de l'opération,
les terroristes étant donc, selon Ankara, les combattants de l'EI,
mais aussi les combattants kurdes.
La perte d'Afrin est un coup dur pour le parti PYD, qui perd un
de ses bastions historiques.
Et puis…
En octobre 2019…
la décision de Donald Trump laisse le champ libre à Erdogan pour mener
une troisième offensive.
Son objectif reste le même : éliminer les combattants kurdes.
Le problème, c'est que selon ces mêmes combattants, il garderait dans
des prisons de la zone près de 12 000 djihadistes de l'EI qui
pourraient profiter du chaos pour s'échapper.
Mais selon Erdogan, cette invasion a un deuxième objectif : il souhaite
créer dans le nord de la Syrie ce qu'il appelle une zone tampon
et y transférer une partie des 3,6 millions de réfugiés installés
sur son territoire.
Lâchés par l'armée américaine, les Kurdes ont dû se résoudre à
se tourner vers leur seul potentiel allié, le régime
syrien.
Mais cette alliance ne sera pas gratuite, car Damas,
soutenu par les Russes, entend réimposer sa souveraineté
sur l'ensemble de la Syrie.
En échange de l'aide du régime, le PYD a accepté le redéploiement
des troupes d'Assad le long de la frontière avec la Turquie.
Dans ce nouveau chapitre de la guerre en Syrie, les Kurdes sont
plus vulnérables et leur rêve de territoire autonome risque bien
d'être menacé.