Les Elfes : du Moyen Âge à la pop Culture (1)
Cet épisode est sponsorisé par les éditions Hachette Heroes qui viennent de sortir un
nouvel ouvrage dédié à Tolkien et plus particulièrement aux Hobbits,
“Les hobbits de Tolkien”, par David Day qui est déjà l'auteur de plusieurs ouvrages sur
Tolkien comme les batailles de Tolkien ou encore les Héros de Tolkien. Pour tout savoir sur les
fumeurs de pipe aux pieds poilus, et je ne parle pas de moi, cliquez sur le lien en description
pour commander l'ouvrage ou retrouvez les en librairie. On se retrouve en fin de
vidéo pour en savoir plus ! Très bon épisode ! Mes chers camarades bien le bonjour ! Quand on
évoque les elfes, on pense tous directement à ceux inventés par Tolkien, notamment de
fiers archers comme Legolas , qui bravent de nombreux dangers aux côtés d'Aragorn et de
Gimli et qui font du surf sur des boucliers en tuant moultes orcs. Pourtant, les elfes,
c'est pas que ça. D'ailleurs leurs représentations ont constamment évolué depuis le Moyen âge et même
encore aujourd'hui ils ne sont pas exactement pareil suivant les auteurs et les univers de
fantasy. Ouvrez bien vos oreilles pointues parce qu'on embarque dans un épisode assez dense !
Comme nous l'avons vu durant un précédent épisode consacré aux nains, il existe une
grande proximité dans les sources médiévales entre les nains et les elfes. Dans l'Edda en
Prose rédigée au XIIIe siècle en Islande par Snorri Sturluson, les nains vivent au pays
des elfes noirs . Les elfes ont aussi été confondus dans les textes anglais
tardifs avec les fées, un terme d'ancien français apparu au XIIe siècle, notamment à cause du succès
de la littérature épique en langue d'oïl dans les îles britanniques à partir de la conquête normande.
Dans Les Contes de Canterbury écrit par l'anglais Geoffrey Chaucer entre 1387 et 1400,
un chevalier flamand appelé sire Topaze part à la recherche d'une créature merveilleuse qui
est qualifiée soit de « reine des elfes », soit de « reine de la féerie ». Au XVIe siècle, dans
son poème La Reine des fées l'anglais Edmund Spenser emploie indifféremment
« elfe » et « fée » pour désigner la même chose. En Français, le substantif « elfe » reste pendant
longtemps mal connu, et on le traduit le plus souvent par fée. Publié en anglais en 1667 par
John Milton, “Le Paradis perdu” est adapté en français au XVIIIe siècle par Chateaubriand
pour le public français. Il traduit alors le binôme « faery elves » par « fée ».
Bref, tout ça est un peu confus et cette confusion perdure jusqu'au XXe siècle.
C'est Tolkien qui va à nouveau faire une nette distinction
entre les fées et les elfes après avoir hésité entre les deux termes.
Ce n'est en fin de compte qu'avec les traductions du Hobbit puis du Seigneur
des Anneaux dans les années 1970 et la diffusion de la fantasy en France que
le mot « elfe » s'impose alors en français et que l'on distingue nettement cette créature des fées.
Pour essayer de comprendre ce que sont les elfes sans la brouiller avec l'image des fées,
il faut d'abord se plonger dans les sources germaniques, scandinaves et surtout anglo-saxonnes.
Mais les œuvres littéraires les plus anciennes rédigées dans cette langue ne nous donnent que peu de
renseignements. Tout au plus on apprend dans le poème épique Beowulf, composé au
Xe siècle de notre ère, que les ylfe sont des êtres maléfiques qui accompagnent le monstre
Grendel en compagnie des orcneas, dont le noms inspirera les orques. Ce sont surtout les sources
médicinales qui nous renseignent le plus sur les elfes et leur caractère. La British Library
conserve plusieurs ouvrages des IX et Xe siècle appelés leechbook et qui
décrivent un mélange de remèdes naturels et de prières pour soigner des maladies.
L'un d'entre eux, le Lacnunga, présente un remède en ces termes :
"Voilà un breuvage saint contre la magie des elfes et contre les tribulations de l'Ennemi".
Un autre leechbook explique que :
Mais c'est quoi cette magie des elfes ? Bonne question ! Plusieurs autres
textes associent en tout cas la magie des elfes à des flèches provoquant la douleur.
Dans un passage du Lacnunga on peut ainsi lire :
On le voit bien, ce texte tisse un lien entre les elfes, les anciennes
religions païennes et les femmes. Au fur et à mesure que le christianisme s'impose,
ces éléments vont se combiner pour dresser un portrait assez négatif des elfes dont les
traits provoqueraient des douleurs et des maladies.
À partir du XVIe siècle, les autorités responsables de la chasse des sorcières les
associent aux jeteuses de sorts. À cette époque en Écosse on qualifie les pointes de flèches en
pierre datant de la Préhistoire de « traits d'elfe ». Pensant qu'elles étaient tombées du
ciel et envoyées par des créatures surnaturelles, on les employait de diverses manières. Certaines
étaient serties dans une monture en argent et, sans doute portées en pendentifs, servaient
d'amulette protectrice. D'autres étaient utilisées dans des rituels de magie noire.
En 1590, Katherene Ross, une femme noble, est accusée d'avoir tenté d'ensorceler
deux membres de sa famille en faisant, dit le résumé du procès, deux figurines d'argile sur
lequel elle jetait des flèches d'elfes. Pour l'aider dans la préparation de ce maléfice,
Katherene était assistée d'une autre femme, Marion, qui lui a conseillé « d'aller dans
les collines pour parler avec le peuple des elfes. » Des pratiques que l'on retrouve aussi
en Allemagne à la même période. En 1573, dans la ville de Nordhausen en Thuringe,
Katharina Wille confesse avoir envoyé six pairs d'elfes tourmenter un garçon.
Vous l'imaginez bien, ce lien entre les elfes et la magie noire inspire
des auteurs célèbres, comme Shakespeare par exemple !
Dans sa pièce Macbeth écrite en 1606, Hecate, la reine des sorcières, ordonne à d'autres jeteuses
de sorts de se placer : « Maintenant, tout autour du chaudron, — entonnez
une ronde comme les elfes et les fées, — pour enchanter ce que vous y avez mis. »
Le nom d'Hecate renvoie directement à la divinité païenne antique de la Lune et fait
écho à l'habitude qu'ont prise beaucoup d'auteurs dès le Moyen âge d'associer les elfes aux mythes
gréco-latins. Par exemple, dans le Fasciculus morum, un manuel du début du XIVe rédigé à
destination des prêtres, on peut lire que : « des souillons superstitieux […] affirment
voir en pleine nuit, dansant des rondes avec Dame Diane, déesse des païens,
les plus belles reines et d'autres filles que l'on appelle vulgairement des elfes. »
Mais en vrai ce lien apparaît avant l'An mil, où des auteurs chrétiens,
principalement issus des milieux ecclésiastiques,
avaient déjà tenté d'établir des correspondances entre les êtres merveilleux décrits par les poètes
gréco-latins et ceux évoquées dans les légendes nordiques, germaniques ou anglo-saxonnes.
Un glossaire rédigé sans doute au IXe siècle dresse un parallèle entre les nymphes et les
elfes communs, les dryades et les elfes des bois, les hamadryades et les elfes de l'eau,
les oréades et les elfes des montagnes et les naïades et les elfes des mers.
Dès le Moyen âge, les elfes sont donc associés à des temps et à des espaces bien précis.
Liées à la nuit, à travers l'évocation des déesses lunaires Hecate et Diane,
ces créatures apparaissent nettement dans des lieux sauvages et naturels (bois, montagnes),
loin de villages et des villes construits par l'homme. Des caractéristiques que l'on
retrouve dans le procès de Katherene Ross qui doit chercher la compagnie des elfes dans les collines.
En fait il n'y a rien de vraiment étonnant là dedans, dans l'imaginaire médiéval,
on associe très facilement les espaces naturels non dédiés à la culture, comme les forêts,
et les créatures merveilleuses et monstrueuses que vont devoir affronter les chevaliers des récits
épiques. On a un trio “elfe-nuit-forêt” qui va ensuite revenir régulièrement.
On retrouve par exemple ce trio dans la traduction allemande du terme cauchemars : albtraum,
qui littéralement, signifie « rêve d'elfe ». On l'aperçoit aussi dans
Le Paradis perdu de John Milton dans lequel ce dernier évoque :
« des fées [« faery elves »] dans leur orgie de minuit, à la lisière d'une forêt ou au bord
d'une fontaine, que quelque paysan en retard voit ou rêve qu'il voit,
tandis que sur sa tête la lune siège arbitre et incline plus près de la terre sa pâle course. »
Dans les années 1860, le peintre suédois August Malmström [PRONONCER Malmstreum ] réalise une
série de toiles qui montre des elfes dansants soit au crépuscule dans
une forêt , soit à la tombée de la nuit, entre des arbres tortueux et un marécage.
Mais au-delà des forêts, les elfes sont aussi associés aux îles.
l'Edda Poétique islandaise décrit le destin du forgeron Völund, qualifié de « prince des
Alfes ». Bien sûr les alfes ne font pas référence à un extraterrestre poilu qui mange des chats
mais bien aux elfes ! Ce forgeron est retenu prisonnier sur une île par le roi Nidudr afin
qu'il lui fabrique des objets magiques. Seul le souverain est autorisé à aller le voir. À raison,
car, lorsque ses fils rendent visite à l'elfe qui leur a promis de l'or, celui-ci les tue et
transforme leurs crânes en coupe avant de violer la fille du monarque, la princesse Bödvildr,
qui a elle aussi osé poser le pied sur l'îlot afin de faire réparer un bijou précieux.
Les gosses pensent que quand on leur dit non c'est pour jouer les relous,
mais pas du tout. La prochaine fois que vos enfants ne vous écoute pas,
racontez leur l'Histoire du roi Nidudr histoire de les calmer un peu !
Bref, un peu comme dans les mythologies gréco-latines, les îles, comme les forêts,
sont des endroits merveilleux plein de magies, fascinants, dangereux...et donc forcément les
elfes, tout comme les fées, y habitent ! Se déplacer sur une île pour obtenir leur faveur
c'est donc prendre des risques. Prendre un navire pour s'y rendre c'est même passer
symboliquement du monde des humains et vivants à celui des créatures surnaturelles et des morts.
Tout ça rappelle les légendes antiques,
avec la barque de Charon, mais aussi certains récits arthuriens ou le souverain de Camelot,
après une ultime bataille, se rend sur l'île d'Avalon où vit Morgane.
Le fait qu'on lie les elfes avec la mythologie gréco-latine amène aussi à
les considérer comme des créatures qui auraient vécu durant des temps anciens et révolus. Une
idée qu'on retrouve assez bien dans Les Contes de Canterbury où on peut lire que :
Dans ce texte, les elfes sont associés à la fois aux elfes et aux maléfices,
et le fait qu'ils ne soient pas là garantit la sécurité des femmes. On y aperçoit aussi, encore,
un lien fort entre la féminité et les elfes : c'est une femme qui assure la narration du conte,
et ce sont les femmes qui sont le plus à même d'être séduites par les charmes des créatures des
bois. D'ailleurs les elfes sont aussi féminisés : ils sont dirigées par une reine et ils ont été
peu à peu chassés par des prêtres masculins. Et là on a donc un message de fond qui se dégage.
L'auteur des contes de Canterbury oppose ici le temps des fées, du paganisme, des créatures
féminines, de la sauvagerie, à la civilisation chrétienne masculine qui finit par triompher.
Cette féminisation amène vite à sexualiser les elfes en les dotant d'une beauté à
la fois fascinante et dangereuse. Outre Morgane, qualifié de nymphe puis de fée,
on peut citer en exemple la ballade populaire danoise Elveskud (que l'on peut traduire par
« flèche d'elfe ») qui apparaît pour la première fois par écrit en 1570. Celle-ci raconte comment,
en allant à son mariage, sir Olof (ou Olaf) est séduit par la fille du roi des elfes dans
un bosquet. Celle-ci veut l'entraîner dans une danse, mais, devant son refus,
elle le frappe entre les épaules d'un trait qui le rend malade. Au matin, Olof est retrouvé
mort par sa mère. Ce récit qui existe, avec des variantes, dans d'autres pays scandinaves, montre
que le portrait des elfes s'est féminisé avec le temps. Si, dans les textes nordiques médiévaux,