Livre 3 – La Vie Cachée et la Mort (13)
Au centre du jardin des Soeurs de Nevers s'élève, gracieuse et solitaire, une petite chapelle, dédiée à saint Joseph, et dans laquelle Soeur Marie-Bernard, doucement attirée durant sa vie, avait coutume d'aller prier. Elle fut construite, il y a environ trente années, à la suite d'un voeu, par Mgr Dufêtre, Évêque de ce diocèse.
C'est là, au pied de l'autel, que Bernadette repose en son tombeau virginal.
Trois verrières laissent pénétrer dans ce sanctuaire la lumière d'un jour mystérieux. Au-dessus du Tabernacle, la verrière du milieu représente le patron de l'Église universelle portant sur son bras le divin Enfant.
A gauche et à droite deux grands Saints, peints également l'un et l'autre sur toute la hauteur du vitrail, semblent les gardiens immuables et les Anges de ce tombeau.
L'un présente aux regards un livre, ouvert comme les battants d'une porte, la Porte de l'Infini. Ces deux simples mots y sont inscrits: Civitas Dei... Demandez à ces pèlerinages immenses qui se pressent à la Grotte de Lourdes, ne faisant qu'un coeur et qu'une âme; demandez à ces peuples en prières obtenant du ciel la conversion des pécheurs, la consolation des affligés, la guérison des malades; demandez au monde chrétien si l'oeuvre dont Marie a posé la première pierre par les mains de Bernadette n'est point marquée et résumée tout entière dans le titre du livre de saint Augustin, et si elle n'est pas ici-bas la Cité de Dieu.
Mais Bernadette ne fut point seule en ce labeur et la Providence voulait qu'un autre souvenir fût également rappelé en cette chapelle symbolique qui devait en ce moment renfermer son tombeau. Il fallait qu'il fût écrit là, le nom du protecteur infatigable de Bernadette; le nom de l'homme qui fut choisi, pour être le collaborateur du travail divin, par cette immaculée Reine du ciel qui était apparue aux Roches de Massabielle, faisant glisser entre ses doigts les perles du Chapelet. Or, spécifiant la mission et désignant la personne, voilà que sur l'autre vitrail se dresse debout et resplendissant dans une auréole, le Saint qui fut élu, pour être l'apôtre de sa dévotion, par cette même Vierge immaculée, apparaissant un Rosaire à la main. A ses pieds le nom est écrit: Dominicus. C'est saint Dominique; c'est le propagateur du Rosaire : c'est le patron de Marie-Dominique Peyramale, curé de Lourdes.
Après la cérémonie, dans le cours de la journée, on procéda au scellement du cercueil de plomb qui contenait les restes vénérés. Que de larmes encore, toutes pleines d'espérance, lorsque, soulevant une dernière fois le voile de ses fiançailles, les soeurs de Bernadette revirent de nouveau les traits bien-aimés de l'Épouse du Grand Roi.
Bien que l'on fût au troisième jour, la mort n'avait pas encore commencé son office de destruction. Le corps était souple comme au temps de la vie. Le visage calme et pur était dans un lumineux sommeil. Un peu avant le scellement suprême, les lèvres, les doigts, les ongles, ont pris la teinte rose, à la grande stupeur de tous... Et c'est ainsi que Bernadette a reçu le dernier regard de ses Soeurs.
Loin de nous l'intention de donner en quoi que ce soit comme surnaturels ces phénomènes qui, bien que rares, ne sont nullement sans précédents, et qui s'expliquent parfaitement par les lois physiologiques. Nous nous bornons à relater les faits, à les présenter dans les circonstances mêmes où ils se sont produits, et à les livrer, tels qu'ils sont, à la connaissance du lecteur et à ses réflexions.
A ses pieds, dans le cercueil, a été déposé, renfermé en un cristal scellé, un parchemin contenant ces mots:
« Congrégation des Soeurs de la Charité et de l'Instruction chrétienne de Nevers.
« En la Maison-Mère;
« Le seizième jour du mois d'avril de l'an de grâce 1879;
« Sa Sainteté Léon XIII heureusement régnant;
« Sous l'épiscopat de Mgr Étienne Lelong, évêque de Nevers;
« Mgr Crosnier, protonotaire apostolique, et M. l'abbé Dubarbier, étant vicaires généraux;
« M. l'abbé Greuzard, curé de la paroisse;
« M. l'abbé Febvre, aumônier de la Communauté;
« M. Grévy étant président de la République française;
« La Révérende Mère Adélaïde Dons étant supérieure générale de la Congrégation;
« Est pieusement décédée dans le Seigneur:
« Marie-Bernarde Soubirous, en religion Soeur Marie Bernard, née à Lourdes le 7 janvier 1844; baptisée le 9 du même mois; vêtue du saint habit en la Maison-Mère de la Congrégation le 29 juillet 1866; engagée à Dieu par ses premiers voeux de religion le 50 octobre 1867, et par ses voeux perpétuels le 22 septembre 1878.
« C'est à elle, en l'an 1858 et quand elle était encore une enfant, que la Sainte-Vierge apparut dix-huit fois à la Grotte de Lourdes.
« C'est à elle que, se nommant elle-même, la Mère de Dieu a dit: « Je suis l'Immaculée Conception. »
« C'est à elle qu'Elle a adressé ces paroles : « Je vous promets de vous rendre heureuse, non dans ce monde, mais dans l'autre. »
« C'est par elle que la Vierge Marie déclara aux prêtres qu'Elle voulait qu'on lui élevât, en ce lieu, une chapelle, et qu'on y vînt en procession, ce qu'elle transmit à M. l'abbé Peyramale, curé de Lourdes.
« C'est sous la main de la Défunte dont le corps repose dans ce cercueil que jaillit, à l'ordre de Marie, la Source miraculeuse qui, depuis cette époque, a guéri tant de malades dans le monde entier.
« Son corps ayant été déposé à découvert dans sa bière suivant l'usage de l'institut, dans la chapelle de la Maison-Mère, il a été immédiatement l'objet du concours universel de la vénération publique. Sur l'ordre de Mgr l'évêque et par la permission de l'autorité civile, il a dû demeurer exposé jusqu'au moment des funérailles.
« Aujourd'hui samedi 19 avril, il a été déposé et va être scellé dans ce cercueil en présence des témoins dont les noms suivent.
« Certifié véritable.
« Ont signé: Mgr Étienne Lelong, évêque de Nevers; Mgr Crosnier et M. l'abbé Dubarbier, vicaires généraux; M. l'abbé Greuzard, curé de la paroisse; M. l'abbé Febvre, aumônier de la communauté; la Révérende Mère Adélaïde Dons, supérieure générale de la Communauté; les chères soeurs Louise Ferrand et Marie-Nathalie Portat, assistantes; soeur Éléonore Cassagnes, secrétaire générale; soeur Joséphine Daynac, conseillère; le R. P. Sempé, supérieur des missionnaires de Lourdes; M. l'abbé Pomian, aumônier des soeurs de Nevers, à Lourdes, et M. Henri Lasserre. »
Est-ce là la fin de l'histoire de Bernadette? Et jamais autour de ce tombeau ne se produira-t-il quelque signe du ciel, quelque grâce extraordinaire?
Déjà même de surnaturelles guérisons n'ont-elles point été obtenues par l'invocation de l'Enfant de Notre-Dame de Lourdes? C'est le mystère de Dieu: et, quand l'Église aura examiné et pesé toutes choses, c'est le secret que saura l'avenir.