08d. La Reine des Neiges. Chapitre 3 : 1ère partie.
Chapitre 3.
Les petits souliers rouges. Maintenant, revenons à la petite Gerda. Ce fut elle qui fut bien triste lorsqu'elle ne vit pas revenir Peters, et lorsque deux ou trois jours se passèrent sans que l'on sût où il était allé.
La pauvre grand-mère avait été s'informer de tous côtés, mais personne n'avait pu en donner de nouvelles.
Les petits garçons qui jouaient sur la place le jour de la disparition de Peters avaient raconté qu'on l'avait vu attacher son traîneau à un grand traîneau blanc qui avait fait deux fois le tour de la place, puis qui avait pris à travers les rues et était sorti de la ville.
On attendit, en espérant toujours voir tout à coup apparaître le petit Peters.
Mais peu à peu l'espérance elle-même s'évanouit.
On se dit que sans doute l'enfant était tombé dans le fleuve qui côtoie la ville et s'y était noyé. Ce fut l'objet de l'entretien de toute la veillée pendant les longs soirs d'hiver.
Puis vint le printemps avec son soleil vivifiant.
– Mon pauvre Peters est mort, disait la petite Gerda…
– Je ne le crois pas, répondait ce beau soleil.
– Mon pauvre Peters est mort, disait la petite Gerda aux hirondelles.
– Nous ne le croyons pas, répondaient les hirondelles.
– Mon pauvre Peters est mort, disait la petite Gerda à ses roses, à ses pois de senteur et à ses haricots rouges.
– Nous ne le croyons pas, répondaient les haricots rouges, les pois de senteur et les roses.
Et à force de s'entendre répéter par les fleurs, par les hirondelles et par le soleil qu'ils ne croyaient pas à la mort du petit Peters, la petite Gerda n'y crut pas non plus.
– Je veux mettre mes souliers rouges tout neufs, dit-elle un matin, ceux que Peters n'a pas encore vus, et puis je descendrai, je m'informerai de lui et le chercherai jusqu'à ce que mes souliers soient usés.
– Laissons-la faire, dit la grand-mère, c'est peut-être une inspiration du bon Dieu.
La petite Gerda descendit dans la rue et s'en alla tout droit au bord du fleuve.
– Est-il vrai, lui demanda-t-elle que tu m'aies pris mon petit camarade de jeux ?
Je te donnerai mes beaux souliers rouges tout neufs si tu veux me le rendre. Et il lui sembla que le fleuve lui faisait des signes étranges : elle prit en conséquence ses souliers rouges, c'est-à-dire ce qu'elle aimait le plus au monde après son petit ami, et les jeta tous deux dans le fleuve ; mais sans doute s'était-elle trompée lorsqu'elle avait cru que le fleuve les désirait, car une vague, qui paraissait en avoir reçu la mission particulière, les repoussa sur la rive.
Alors elle comprit que si le fleuve refusait une chose aussi précieuse que ses souliers rouges, c'est qu'il n'avait pas le petit Peters.
Elle se dit : « Puisqu'il n'est pas noyé, allons plus loin.
Alors elle monta dans une barque, mais à peine y fut-elle que la barque se détacha toute seule et s'éloigna du rivage en suivant le cours du fleuve.
Quand la petite Gerda se vit ainsi seule au milieu du courant, et aussi loin d'une rive que de l'autre, elle commença d'avoir grand-peur et se mit à pleurer ; mais personne, excepté les passereaux, ne vit ses larmes et n'entendit ses sanglots, et quoiqu'ils eussent pitié d'elle, leurs ailes étaient trop faibles pour qu'ils pussent la porter au rivage, mais ils volaient en chantant tout autour d'elle, comme pour lui dire : « N'aie pas peur ; nous ne chanterions pas s'il devait t'arriver malheur.
Le bateau, nous l'avons déjà dit, suivait le cours de l'eau ; la petite Gerda était assise au milieu, immobile, avec ses bas aux pieds et ses souliers rouges aux mains.
Les deux rives étaient magnifiques : de belles fleurs, de beaux arbres, des troupeaux de moutons magnifiques défilaient devant elle ; mais elle avait beau regarder, elle ne voyait pas un être humain.
« Peut-être le fleuve me conduit-il du côté du petit Peters », pensa Gerda.
Et cela la rendit plus gaie ; elle se leva alors et regarda longtemps les belles rives verdoyantes.
Bientôt elle aperçut un beau jardin rempli de cerisiers, où il y avait une maison avec des fenêtres rouges et bleues.
Elle était couverte en chaume, et sur la terrasse qui en dépendait il y avait deux soldats de bois qui présentaient les armes aux barques qui passaient. Gerda, qui les croyait vivants, leur cria :
– Savez-vous où est le petit Peters ?
Les soldats de bois ne répondirent point : Gerda crut qu'ils ne l'avaient point entendue, et se promit de les interroger quand elle serait à portée d'eux.
Cela ne devait point tarder : le courant la poussait vers la terrasse. En approchant, Gerda se mit à crier plus fort qu'elle ne l'avait fait encore, et cette fois sans doute fut-elle entendue, car une petite vieille femme sortit de la maison, en s'appuyant sur une béquille.
Quoiqu'elle parût avoir cent ans au moins, elle était restée fort coquette, car elle avait sur la tête un grand chapeau rond de satin blanc, tout orné des plus belles fleurs. – Ô mon pauvre petit enfant, dit la vieille, comment es-tu venue seule dans ce bateau, sur ce grand et rapide fleuve, si loin dans le monde ?
Et la vieille, s'avançant par l'escalier de la terrasse, entra dans l'eau jusqu'au genou, tira la barque à elle avec sa béquille, et souleva dans ses bras la petite Gerda.
Gerda, de son côté, était toute joyeuse de se retrouver sur la terre ferme, bien qu'elle eût un peu peur de la vieille femme étrangère.
– Mets d'abord tes beaux souliers rouges, pour que les cailloux ne fassent point mal à tes petits pieds, dit la vieille femme, et raconte-moi qui tu es et comment tu es venue jusqu'ici.
Gerda mit ses souliers rouges et raconta tout à la vieille, qui secouait de temps en temps la tête en faisant hum, hum !
Et quand Gerda lui eut tout raconté et demandé si elle n'avait pas vu le petit Peters, la vieille répondit que non, mais qu'elle ne devait point s'affliger pour cela, car son avis à elle aussi était que le petit Peters n'était pas mort. Puis elle prit Gerda par la main, et toutes deux entrèrent dans la maison, dont la vieille referma la porte.