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Le Grand Meaulnes, Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 13 - Le secret (suite)

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 13 - Le secret (suite)

Puis le journal reprenait. Il avait noté des souvenirs sur un séjour qu'ils avaient fait tous les deux à la campagne, je ne sais où. Mais, chose étrange, à partir de cet instant, peut-être par un sentiment de pudeur secrète, le journal était rédigé de façon si hachée, si informe, griffonné si hâtivement aussi, que j'ai dû reprendre moi même et reconstituer toute cette partie de son histoire. 14 juin. Lorsqu'il s'éveilla de grand matin dans la chambre de l'auberge, le soleil avait allumé les dessins rouges du rideau noir. Des ouvriers agricoles, dans la salle du bas, parlaient fort en prenant le café du matin: ils s'indignaient, en phrases rudes et paisibles, contre un de leurs patrons. Depuis longtemps sans doute Meaulnes entendait, dans son sommeil, ce calme bruit. Car il n'y prit point garde d'abord. Ce rideau semé de grappes rougies par le soleil, ces voix matinales montant dans la chambre silencieuse, tout cela se confondait dans l'impression unique d'un réveil à la campagne, au début de délicieuses grandes vacances. Il se leva, frappa doucement à la porte voisine, sans obtenir de réponse, et l'entrouvrit sans bruit. Il aperçut alors Valentine et comprit d'ou lui venait tant de paisible bonheur. Elle dormait, absolument immobile et silencieuse, sans qu'on l'entendit respirer, comme un oiseau doit dormir. Longtemps il regarda ce visage d'enfant aux yeux fermés, ce visage si quiet qu'on eût souhaité ne l'éveiller et ne le troubler jamais. Elle ne fit pas d'autre mouvement pour montrer qu'elle ne dormait plus que d'ouvrir les yeux et de regarder. Dès qu'elle fut habillée, Meaulnes revint près de la jeune fille. "Nous sommes en retard", dit-elle. Et ce fut aussitôt comme une ménagère dans sa demeure. Elle mit de l'ordre dans les chambres, brossa les habits que Meaulnes avait portés la veille et quand elle en vint au pantalon se désola. Le bas des jambes était couvert d'une boue épaisse. Elle hésita, puis, soigneusement, avec précaution, avant de le brosser, elle commença par râper la première épaisseur de terre avec un couteau. "C'est ainsi, dit Meaulnes, que faisaient les gamins de Sainte-Agathe quand ils étaient flanqués dans la boue. Moi, c'est ma mère qui m'a enseigné cela", dit Valentine. ... Et telle était bien la compagne que devait souhaiter, avant son aventure mystérieuse, le chasseur et le paysan qu'était le grand Meaulnes. 15 juin. A ce dîner, à la ferme, où grâce à leurs amis qui les avaient présentés comme mari et femme, ils furent conviés, à leur grand ennui, elle se montra timide comme une nouvelle mariée. On avait allumé les bougies et deux candélabres, à chaque bout de la table couverte de toile blanche, comme à une paisible noce de campagne. Les visages, dès qu'ils se penchaient, sous cette faible clarté, baignaient dans l'ombre. Il y avait à la droite de Patrice (le fils du fermier) Valentine puis Meaulnes, qui demeura taciturne jusqu'au bout, bien qu'on s'adressât presque toujours à lui. Depuis qu'il avait résolu, dans ce village perdu, afin d'éviter les commentaires, de faire passer Valentine pour sa femme, un même regret, un même remords le désolaient. Et tandis que Patrice, à la façon d'un gentilhomme campagnard, dirigeait le dîner: "C'est moi, pensait Meaulnes, qui devrais, ce soir, dans une salle basse comme celle-ci, une belle salle que je connais bien, présider le repas de mes noces". Près de lui, Valentine refusait timidement tout ce qu'on lui offrait. On eût dit une jeune paysanne. A chaque tentative nouvelle, elle regardait son ami et semblait vouloir se réfugier contre lui. Depuis longtemps, Patrice insistait vainement pour qu'elle vidât son verre, lors qu'enfin Meaulnes se pencha vers elle et lui dit doucement: "Il faut boire, ma petite Valentine". Alors, docilement, elle but. Et Patrice félicita en souriant le jeune homme d'avoir une femme aussi obéissante. Mais tous les deux, Valentine et Meaulnes, restaient silencieux et pensifs. Ils étaient fatigués, d'abord; leurs pieds trempés par la boue de la promenade étaient glacés sur les carreaux lavés de la cuisine. Et puis, de temps à autre, le jeune homme était obligé de dire: "Ma femme, Valentine, ma femme..." Et chaque fois, en prononçant sourdement ce mot, devant ces paysans inconnus, dans cette salle obscure, il avait l'impression de commettre une faute. 17 juin. L'après-midi de ce dernier jour commença mal. Patrice et sa femme les accompagnèrent à la promenade. Peu à peu, sur la pente inégale couverte de bruyères, les deux couples se trouvèrent séparés. Meaulnes et Valentine s'assirent entre les genévriers, dans un petit taillis. Le vent portait des gouttes de pluie et le temps était bas. La soirée avait un goût amer, semblait-il, le goût d'un tel ennui que l'amour même ne le pouvait distraire. Longtemps ils restèrent là, dans leur cachette, abrités sous les branches, parlant peu. Puis le temps se leva. Il fit beau. Ils crurent que, maintenant, tout irait bien. Et ils commencèrent à parler d'amour, Valentine parlait, parlait... "Voici, disait-elle, ce que me promettait mon fiancé, comme un enfant qu'il était: tout de suite nous aurions eu une maison, comme une chaumière perdue dans la campagne. Elle était toute prête, disait-il. Nous y serions arrivés comme au retour d'un grand voyage, le soir de notre mariage, vers cette heure-ci qui est proche de la nuit. Et par les chemins, dans la cour, cachés dans les bosquets, des enfants inconnus nous auraient fait fête, criant: "Vive la mariée!"... Quelles folies! N'est-ce pas?" Meaulnes, interdit, soucieux, l'écoutait. Il retrouvait, dans tout cela, comme l'écho d'une voix déjà entendue. Et il y avait aussi, dans le ton de la jeune fille, lorsqu'elle contait cette histoire, un vague regret. Mais elle eut peur de l'avoir blessé. Elle se retourna vers lui, avec élan, avec douceur. "A vous, dit-elle, je veux donner tout ce que j'ai: quelque chose qui ait été pour moi plus précieux que tout..., et vous le brûlerez!" Alors, en le regardant fixement, d'un air anxieux, elle sortit de sa poche un petit paquet de lettres qu'elle lui tendit, les lettres de son fiancé. Ah! tout de suite, il reconnut la fine écriture. Comment n'y avait-il jamais pensé plus tôt! C'était l'écriture de Franz le bohémien, qu'il avait vue jadis sur le billet désespéré laissé dans la chambre du Domaine... Ils marchaient maintenant sur une petite route étroite entre les pâquerettes et les foins éclairés obliquement par le soleil de cinq heures. Si grande était sa stupeur que Meaulnes ne comprenait pas encore quelle déroute pour lui tout cela signifiait. Il lisait parce qu'elle lui avait demandé de lire. Des phrases enfantines, sentimentales, pathétiques... Celle-ci, dans la dernière lettre: ... Ah! Vous avez perdu le petit coeur, impardonnable petite Valentine. Que va-t-il nous arriver? Enfin je ne suis pas superstitieux... Meaulnes lisait, à demie aveuglé de regret et de colère, le visage immobile, mais tout pâle, avec des frémissements sous les yeux. Valentine, inquiète de le voir ainsi, regarda où il en était, et ce qui le fâchait ainsi. "C'est, expliqua-t-elle très vite, un bijou qu'il m'avait donné en me faisant jurer de le regarder toujours. C'étaient là de ses idées folles". Mais elle ne fit qu'exaspérer Meaulnes. "Folles! dit-il en mettant des lettres dans sa poche. Pourquoi répéter ce mot? Pourquoi n'avoir pas voulu croire en lui? Je l'ai connu, c'était le garçon le plus merveilleux du monde! Vous l'avez connu, dit-elle au comble de l'émoi, vous avez connu Frantz de Galais? C'était mon ami le meilleur, c'était mon frère d'aventures, et voilà que je lui ai pris sa fiancée! "Ah! Poursuivit-il avec fureur, quel mal vous nous avez fait, vous qui n'avez cru à rien. Vous êtes cause de tout. C'est vous qui avez tout perdu! Tout perdu!" Elle voulut lui parler, lui prendre la main, mais il la repoussa brutalement. "Allez-vous-en. Laissez-moi. Eh bien, s'il en est ainsi, dit-elle, le visage en feu, bégayant et pleurant à demi, je partirai en effet. Je rentrerai à Bourges, chez nous, avec ma soeur. Et si vous ne revenez pas me chercher, vous savez, n'est-ce pas? Que mon père est trop pauvre pour me garder; eh bien! Je repartirai pour Paris, je battrai les chemins comme je l'ai déjà fait une fois, je deviendrai certainement une fille perdue, moi qui n'ai plus de métier..." Et elle s'en alla chercher ses paquets pour prendre le train, tandis que Meaulnes, sans même la regarder partir, continuait à marcher au hasard. Le journal s'interrompait de nouveau. Suivaient encore des brouillons de lettres, lettres d'un homme indécis, égaré. Rentré à La Ferté-d'Angillon, Meaulnes écrivait à Valentine en apparence pour lui affirmer sa résolution de ne jamais la revoir et lui en donner des raisons précises, mais en réalité, peut-être, pour qu'elle lui répondît. Dans une de ces lettres, il lui demandait ce que, dans son désarroi, il n'avait pas même songé d'abord à lui demander: savait-elle où se trouvait le Domaine tant cherché? Dans une autre, il la suppliait de se réconcilier avec Frantz de Galais. Lui-même se chargeait de le retrouver... Toutes les lettres dont je voyais les brouillons n'avaient pas dû être envoyées. Mais il avait dû écrire deux ou trois fois, sans jamais obtenir de réponse. Ç'avait été pour lui une période de combats affreux et misérables, dans un isolement absolu. L'espoir de revoir jamais Yvonne de Galais s'étant complètement évanoui, il avait dû peu à peu sentir sa grande résolution faiblir. Et d'après les pages qui vont suivre les dernières de son journal j'imagine qu'il dut, un beau matin du début des vacances, louer une bicyclette pour aller à Bourges, visiter la cathédrale. Il était parti à la première heure, par la belle route droite entre les bois, inventant en chemin mille prétextes à se présenter dignement, sans demander une réconciliation, devant celle qu'il avait chassée. Les quatre dernières pages, que j'ai pu reconstituer racontaient ce voyage et cette dernière faute...

Le Grand meaulnes - troisième partie - chapitre 13 - Le secret (suite) Le Grand meaulnes - part three - chapter 13 - The secret (continued)

Puis le journal reprenait. Then the newspaper resumed. Il avait noté des souvenirs sur un séjour qu'ils avaient fait tous les deux à la campagne, je ne sais où. He had noted memories of a stay they had both done in the country, I do not know where. Mais, chose étrange, à partir de cet instant, peut-être par un sentiment de pudeur secrète, le journal était rédigé de façon si hachée, si informe, griffonné si hâtivement aussi, que j'ai dû reprendre moi même et reconstituer toute cette partie de son histoire. ||||||||||||||||||||||||||scribbled||||||||||||||||| But, strange to say, from that moment, perhaps through a secret sense of modesty, the paper was written so hackneyed, so shapeless, scribbled so hastily too, that I had to take back myself and reconstitute all of it. part of its history. 14 juin. June 14. Lorsqu'il s'éveilla de grand matin dans la chambre de l'auberge, le soleil avait allumé les dessins rouges du rideau noir. When he woke early in the inn's room, the sun had lit up the red drawings of the black curtain. Des ouvriers agricoles, dans la salle du bas, parlaient fort en prenant le café du matin: ils s'indignaient, en phrases rudes et paisibles, contre un de leurs patrons. Agricultural laborers in the lower hall spoke loudly as they had morning coffee; they were indignant in rough and quiet phrases against one of their employers. Depuis longtemps sans doute Meaulnes entendait, dans son sommeil, ce calme bruit. For a long time, without doubt, Meaulnes heard this calm noise in her sleep. Car il n'y prit point garde d'abord. For he took no notice at first. Ce rideau semé de grappes rougies par le soleil, ces voix matinales montant dans la chambre silencieuse, tout cela se confondait dans l'impression unique d'un réveil à la campagne, au début de délicieuses grandes vacances. This curtain strewn with bunches blazed by the sun, these morning voices rising in the silent room, all this was confused in the unique impression of an awakening in the country, at the beginning of a delightful summer vacation. Il se leva, frappa doucement à la porte voisine, sans obtenir de réponse, et l'entrouvrit sans bruit. He got up, knocked softly at the next door, without getting an answer, and opened it noiselessly. Il aperçut alors Valentine et comprit d'ou lui venait tant de paisible bonheur. He then saw Valentine, and understood where he came from so much happiness. Elle dormait, absolument immobile et silencieuse, sans qu'on l'entendit respirer, comme un oiseau doit dormir. She was asleep, absolutely still and silent, without being heard to breathe, as a bird must sleep. Longtemps il regarda ce visage d'enfant aux yeux fermés, ce visage si quiet qu'on eût souhaité ne l'éveiller et ne le troubler jamais. For a long time he looked at that face of a child with closed eyes, that face so quiet that one would have liked not to awaken him and never to trouble him. Elle ne fit pas d'autre mouvement pour montrer qu'elle ne dormait plus que d'ouvrir les yeux et de regarder. She made no other movement to show that she was only sleeping to open her eyes and look. Dès qu'elle fut habillée, Meaulnes revint près de la jeune fille. As soon as she was dressed, Meaulnes came back to the girl. "Nous sommes en retard", dit-elle. "We are late," she says. Et ce fut aussitôt comme une ménagère dans sa demeure. And it was immediately like a housewife in her house. Elle mit de l'ordre dans les chambres, brossa les habits que Meaulnes avait portés la veille et quand elle en vint au pantalon se désola. She tidied the rooms, brushed the clothes that Meaulnes had worn the day before, and when she came to the trousers she was in despair. Le bas des jambes était couvert d'une boue épaisse. The lower legs were covered with thick mud. Elle hésita, puis, soigneusement, avec précaution, avant de le brosser, elle commença par râper la première épaisseur de terre avec un couteau. She hesitated, then, carefully, carefully, before brushing it, she began by grating the first layer of earth with a knife. "C'est ainsi, dit Meaulnes, que faisaient les gamins de Sainte-Agathe quand ils étaient flanqués dans la boue. "So," said Meaulnes, "what did the children of St. Agatha do when they were flanked in the mud? Moi, c'est ma mère qui m'a enseigné cela", dit Valentine. Me, it's my mother who taught me that, "says Valentine. ... Et telle était bien la compagne que devait souhaiter, avant son aventure mystérieuse, le chasseur et le paysan qu'était le grand Meaulnes. ... And such was the companion that had to wish, before his mysterious adventure, the hunter and the peasant who was the great Meaulnes. 15 juin. June 15. A ce dîner, à la ferme, où grâce à leurs amis qui les avaient présentés comme mari et femme, ils furent conviés, à leur grand ennui, elle se montra timide comme une nouvelle mariée. At this dinner, at the farm, where, thanks to their friends who had presented them as husband and wife, they were invited, to their great boredom, she showed herself timid as a new bride. On avait allumé les bougies et deux candélabres, à chaque bout de la table couverte de toile blanche, comme à une paisible noce de campagne. The candles and two candelabra had been lit at each end of the table covered with white cloth, as at a peaceful country wedding. Les visages, dès qu'ils se penchaient, sous cette faible clarté, baignaient dans l'ombre. The faces, as soon as they bent down, in this dim light, bathed in the shadows. Il y avait à la droite de Patrice (le fils du fermier) Valentine puis Meaulnes, qui demeura taciturne jusqu'au bout, bien qu'on s'adressât presque toujours à lui. On the right of Patrice (the son of the farmer) were Valentine and Meaulnes, who remained taciturn until the end, although almost always he was addressed to him. Depuis qu'il avait résolu, dans ce village perdu, afin d'éviter les commentaires, de faire passer Valentine pour sa femme, un même regret, un même remords le désolaient. Since he had resolved, in this lost village, in order to avoid comments, to make Valentine pass for his wife, the same regret, the same remorse, distressed him. Et tandis que Patrice, à la façon d'un gentilhomme campagnard, dirigeait le dîner: "C'est moi, pensait Meaulnes, qui devrais, ce soir, dans une salle basse comme celle-ci, une belle salle que je connais bien, présider le repas de mes noces". And while Patrice, in the manner of a country gentleman, directed dinner: "It is me, thought Meaulnes, who should, tonight, in a low room like this, a beautiful room that I know well, preside over the meal of my wedding. Près de lui, Valentine refusait timidement tout ce qu'on lui offrait. Near him, Valentine timidly refused all that was offered him. On eût dit une jeune paysanne. She looked like a young peasant girl. A chaque tentative nouvelle, elle regardait son ami et semblait vouloir se réfugier contre lui. At each new attempt, she looked at her friend and seemed to want to take refuge against him. Depuis longtemps, Patrice insistait vainement pour qu'elle vidât son verre, lors qu'enfin Meaulnes se pencha vers elle et lui dit doucement: "Il faut boire, ma petite Valentine". For a long time, Patrice had vainly insisted that she empty her glass, when Meaulnes finally leaned towards her and said to him softly: "It is necessary to drink, my little Valentine". Alors, docilement, elle but. So, obediently, she drank. Et Patrice félicita en souriant le jeune homme d'avoir une femme aussi obéissante. And Patrice smilingly congratulated the young man on having such an obedient wife. Mais tous les deux, Valentine et Meaulnes, restaient silencieux et pensifs. But both Valentine and Meaulnes remained silent and pensive. Ils étaient fatigués, d'abord; leurs pieds trempés par la boue de la promenade étaient glacés sur les carreaux lavés de la cuisine. They were tired, first; their feet soaked by the mud of the promenade were icy on the washed tiles of the kitchen. Et puis, de temps à autre, le jeune homme était obligé de dire: "Ma femme, Valentine, ma femme..." Et chaque fois, en prononçant sourdement ce mot, devant ces paysans inconnus, dans cette salle obscure, il avait l'impression de commettre une faute. And then, from time to time, the young man was obliged to say: "My wife, Valentine, my wife ..." And each time, while pronouncing this word silently, in front of these unknown peasants, in this dark room, he had the impression of committing a fault. 17 juin. June 17. L'après-midi de ce dernier jour commença mal. The afternoon of the last day started badly. Patrice et sa femme les accompagnèrent à la promenade. Patrice and his wife accompanied them on the walk. Peu à peu, sur la pente inégale couverte de bruyères, les deux couples se trouvèrent séparés. Gradually, on the uneven slope covered with heather, the two couples were separated. Meaulnes et Valentine s'assirent entre les genévriers, dans un petit taillis. Meaulnes and Valentine sat between the juniper trees in a small coppice. Le vent portait des gouttes de pluie et le temps était bas. The wind was raining and the weather was low. La soirée avait un goût amer, semblait-il, le goût d'un tel ennui que l'amour même ne le pouvait distraire. The evening had a bitter taste, it seemed, the taste of such boredom that even love could not distract him. Longtemps ils restèrent là, dans leur cachette, abrités sous les branches, parlant peu. For a long time they remained there, in their hiding place, sheltered under the branches, speaking little. Puis le temps se leva. Then the time rose. Il fit beau. It was fine. Ils crurent que, maintenant, tout irait bien. They thought that now everything would be fine. Et ils commencèrent à parler d'amour, Valentine parlait, parlait... "Voici, disait-elle, ce que me promettait mon fiancé, comme un enfant qu'il était: tout de suite nous aurions eu une maison, comme une chaumière perdue dans la campagne. And they began to talk about love, Valentine spoke, spoke ... "Here," said she, "was what my fiance promised me, like a child he was: we would have had a house at once, like a cottage. lost in the countryside. Elle était toute prête, disait-il. She was ready, he said. Nous y serions arrivés comme au retour d'un grand voyage, le soir de notre mariage, vers cette heure-ci qui est proche de la nuit. We would have arrived there as if on the way back from a big trip, the night of our wedding, at this hour which is close to night. Et par les chemins, dans la cour, cachés dans les bosquets, des enfants inconnus nous auraient fait fête, criant: "Vive la mariée!"... And by the ways, in the courtyard, hidden in the groves, unknown children would have made us party, shouting: "Long live the bride!" ... Quelles folies! What madness! N'est-ce pas?" Is not it?" Meaulnes, interdit, soucieux, l'écoutait. Meaulnes, forbidden, anxious, listened to him. Il retrouvait, dans tout cela, comme l'écho d'une voix déjà entendue. He found, in all this, the echo of a voice already heard. Et il y avait aussi, dans le ton de la jeune fille, lorsqu'elle contait cette histoire, un vague regret. And there was also, in the tone of the girl, when she told this story, a vague regret. Mais elle eut peur de l'avoir blessé. But she was afraid of hurting him. Elle se retourna vers lui, avec élan, avec douceur. She turned to him, with enthusiasm, gently. "A vous, dit-elle, je veux donner tout ce que j'ai: quelque chose qui ait été pour moi plus précieux que tout..., et vous le brûlerez!" "To you," she said, "I want to give everything I have: something that has been more precious to me than anything ... and you will burn it!" Alors, en le regardant fixement, d'un air anxieux, elle sortit de sa poche un petit paquet de lettres qu'elle lui tendit, les lettres de son fiancé. Then, staring at him anxiously, she took from her pocket a little packet of letters, which she handed him, her fiance's letters. Ah! tout de suite, il reconnut la fine écriture. Comment n'y avait-il jamais pensé plus tôt! How had he never thought of it earlier! C'était l'écriture de Franz le bohémien, qu'il avait vue jadis sur le billet désespéré laissé dans la chambre du Domaine... Ils marchaient maintenant sur une petite route étroite entre les pâquerettes et les foins éclairés obliquement par le soleil de cinq heures. It was Franz the Bohemian's handwriting, which he had once seen on the desperate note left in the Domaine's room. They were now walking on a narrow road between the daisies and the hays lighted obliquely by the sun. five hours. Si grande était sa stupeur que Meaulnes ne comprenait pas encore quelle déroute pour lui tout cela signifiait. So great was his astonishment that Meaulnes did not yet understand what a rout for him all that meant. Il lisait parce qu'elle lui avait demandé de lire. He was reading because she had asked him to read. Des phrases enfantines, sentimentales, pathétiques... Celle-ci, dans la dernière lettre: ... Ah! Childish, sentimental, pathetic phrases ... This one, in the last letter: ... Ah! Vous avez perdu le petit coeur, impardonnable petite Valentine. You have lost the little heart, unforgivable little Valentine. Que va-t-il nous arriver? What will happen to us? Enfin je ne suis pas superstitieux... Meaulnes lisait, à demie aveuglé de regret et de colère, le visage immobile, mais tout pâle, avec des frémissements sous les yeux. At last I am not superstitious. "Meaulnes read half-blinded with regret and anger, her face motionless, but all pale, with shudders under her eyes. Valentine, inquiète de le voir ainsi, regarda où il en était, et ce qui le fâchait ainsi. Valentine, anxious to see him thus, looked where he was, and what angered him thus. "C'est, expliqua-t-elle très vite, un bijou qu'il m'avait donné en me faisant jurer de le regarder toujours. "It's," she explained quickly, "a jewel he gave me, making me swear to always look at him. C'étaient là de ses idées folles". These were his crazy ideas. Mais elle ne fit qu'exaspérer Meaulnes. But she only exasperated Meaulnes. "Folles! "Crazy! dit-il en mettant des lettres dans sa poche. he said, putting letters in his pocket. Pourquoi répéter ce mot? Why repeat this word? Pourquoi n'avoir pas voulu croire en lui? Why did not you want to believe in him? Je l'ai connu, c'était le garçon le plus merveilleux du monde! I knew him, he was the most wonderful boy in the world! Vous l'avez connu, dit-elle au comble de l'émoi, vous avez connu Frantz de Galais? You have known him, "said she to the height of emotion," did you know Frantz de Galais? C'était mon ami le meilleur, c'était mon frère d'aventures, et voilà que je lui ai pris sa fiancée! He was my best friend, he was my brother of adventures, and now I took his fiancee! "Ah! Poursuivit-il avec fureur, quel mal vous nous avez fait, vous qui n'avez cru à rien. |||||||||||||believed|| He pursued furiously, "what harm you have done to us, you who have believed in nothing. Vous êtes cause de tout. You are the cause of everything. C'est vous qui avez tout perdu! Tout perdu!" Elle voulut lui parler, lui prendre la main, mais il la repoussa brutalement. She wanted to talk to him, take her hand, but he pushed her away. "Allez-vous-en. "Go away. Laissez-moi. Leave me alone. Eh bien, s'il en est ainsi, dit-elle, le visage en feu, bégayant et pleurant à demi, je partirai en effet. Well, if it is so, she said, her face on fire, stammering and half crying, I will leave indeed. Je rentrerai à Bourges, chez nous, avec ma soeur. I will return to Bourges, at home, with my sister. Et si vous ne revenez pas me chercher, vous savez, n'est-ce pas? And if you do not come back to get me, you know, do not you? Que mon père est trop pauvre pour me garder; eh bien! That my father is too poor to keep me; well! Je repartirai pour Paris, je battrai les chemins comme je l'ai déjà fait une fois, je deviendrai certainement une fille perdue, moi qui n'ai plus de métier..." Et elle s'en alla chercher ses paquets pour prendre le train, tandis que Meaulnes, sans même la regarder partir, continuait à marcher au hasard. I will leave for Paris, I will beat the roads as I already did once, I will certainly become a lost girl, I who have no job ... "And she went to get her packages to take the while Meaulnes, without even looking at her, continued to walk at random. Le journal s'interrompait de nouveau. The newspaper was interrupted again. Suivaient encore des brouillons de lettres, lettres d'un homme indécis, égaré. ||||||||||lost There were still drafts of letters, letters from an indecisive, misguided man. Rentré à La Ferté-d'Angillon, Meaulnes écrivait à Valentine en apparence pour lui affirmer sa résolution de ne jamais la revoir et lui en donner des raisons précises, mais en réalité, peut-être, pour qu'elle lui répondît. Returning to La Ferte-d'Angillon, Meaulnes apparently wrote to Valentine to assert her resolve never to see her again and to give her precise reasons, but in reality, perhaps, for her to answer him. Dans une de ces lettres, il lui demandait ce que, dans son désarroi, il n'avait pas même songé d'abord à lui demander: savait-elle où se trouvait le Domaine tant cherché? In one of these letters he asked him what, in his distress, he had not even thought of first asking him: did she know where the Domaine was so sought after? Dans une autre, il la suppliait de se réconcilier avec Frantz de Galais. In another, he begged her to be reconciled with Frantz de Galais. Lui-même se chargeait de le retrouver... Toutes les lettres dont je voyais les brouillons n'avaient pas dû être envoyées. He himself undertook to find it ... All the letters I saw were rough drafts that had not been sent. Mais il avait dû écrire deux ou trois fois, sans jamais obtenir de réponse. But he had to write two or three times without ever getting an answer. Ç'avait été pour lui une période de combats affreux et misérables, dans un isolement absolu. It had been for him a period of hideous and miserable fighting, in absolute isolation. L'espoir de   revoir jamais Yvonne de Galais s'étant complètement évanoui, il avait dû peu à peu sentir sa grande résolution faiblir. The hope of ever seeing again Yvonne de Galais completely fainted, he had gradually felt his great resolution falter. Et d'après les pages qui vont suivre les dernières de son journal j'imagine qu'il dut, un beau matin du début des vacances, louer une bicyclette pour aller à Bourges, visiter la cathédrale. And according to the pages that will follow the last of his diary I imagine he had, one fine morning of the beginning of the holidays, rent a bicycle to go to Bourges, visit the cathedral. Il était parti à la première heure, par la belle route droite entre les bois, inventant en chemin mille prétextes à se présenter dignement, sans demander une réconciliation, devant celle qu'il avait chassée. He had left at the first hour, by the fine straight road between the woods, inventing on the road a thousand pretexts to present himself with dignity, without asking a reconciliation, before the one he had driven out. Les quatre dernières pages, que j'ai pu reconstituer racontaient ce voyage et cette dernière faute... The last four pages, which I was able to reconstruct, recounted this trip and this last fault ...