Chapitre VII (2)
Aussi faut-il pour leur répondre une certaine habitude de leur monde, habitude que je n'avais pas ; puis, l'idée que je m'étais faite de Marguerite m'exagéra sa plaisanterie. Rien ne m'était indifférent de la part de cette femme. Aussi je me levai en lui disant, avec une altération de voix qu'il me fut impossible de cacher complètement :
– Si c'est là ce que vous pensez de moi, madame, il ne me reste plus qu'à vous demander pardon de mon indiscrétion, et à prendre congé de vous en vous assurant qu'elle ne se renouvellera pas.
Là-dessus, je saluai et je sortis.
À peine eus-je fermé la porte, que j'entendis un troisième éclat de rire. J'aurais bien voulu que quelqu'un me coudoyât en ce moment.
Je retournai à ma stalle.
On frappa le lever de la toile.
Ernest revint auprès de moi.
– Comme vous y allez ! me dit-il en s'asseyant ; elles vous croient fou.
– Qu'a dit Marguerite, quand j'ai été parti ?
– Elle a ri et m'a assuré qu'elle n'avait jamais rien vu d'aussi drôle que vous. Mais il ne faut pas vous tenir pour battu ; seulement ne faites pas à ces filles-là l'honneur de les prendre au sérieux. Elles ne savent pas ce que c'est que l'élégance et la politesse ; c'est comme les chiens auxquels on met des parfums, ils trouvent que cela sent mauvais et vont se rouler dans le ruisseau.
– Après tout, que m'importe ? dis-je en essayant de prendre un ton dégagé, je ne reverrai jamais cette femme, et si elle me plaisait avant que je la connusse, c'est bien changé maintenant que je la connais.
– Bah ! je ne désespère pas de vous voir un jour dans le fond de sa loge, et d'entendre dire que vous vous ruinez pour elle. Du reste, vous aurez raison, elle est mal élevée, mais c'est une jolie maîtresse à avoir.
Heureusement, on leva le rideau et mon ami se tut. Vous dire ce que l'on jouait me serait impossible. Tout ce que je me rappelle, c'est que de temps en temps je levais les yeux sur la loge que j'avais si brusquement quittée, et que des figures de visiteurs nouveaux s'y succédaient à chaque instant.
Cependant, j'étais loin de ne plus penser à Marguerite. Un autre sentiment s'emparait de moi. Il me semblait que j'avais son insulte et mon ridicule à faire oublier ; je me disais que, dussé-je y dépenser ce que je possédais, j'aurais cette fille et prendrais de droit la place que j'avais abandonnée si vite.
Avant que le spectacle fût terminé, Marguerite et son amie quittèrent leur loge.
Malgré moi, je quittai ma stalle.
– Vous vous en allez ? me dit Ernest.
– Oui.
– Pourquoi ?
En ce moment, il s'aperçut que la loge était vide.
– Allez, allez, dit-il, et bonne chance, ou plutôt meilleure chance.
Je sortis.
J'entendis dans l'escalier des frôlements de robes et des bruits de voix. Je me mis à l'écart et je vis passer, sans être vu, les deux femmes et les deux jeunes gens qui les accompagnaient.
Sous le péristyle du théâtre se présenta à elles un petit domestique.
– Va dire au cocher d'attendre à la porte du café Anglais, dit Marguerite ; nous irons à pied jusque-là.
Quelques minutes après, en rôdant sur le boulevard, je vis, à une fenêtre d'un des grands cabinets du restaurant, Marguerite, appuyée sur le balcon, effeuillant un à un les camélias de son bouquet.
Un des deux hommes était penché sur son épaule et lui parlait tout bas.
J'allai m'installer à la Maison d'Or, dans les salons du premier étage, et je ne perdis pas de vue la fenêtre en question.
À une heure du matin, Marguerite remontait dans sa voiture avec ses trois amis.
Je pris un cabriolet et je la suivis.
La voiture s'arrêta rue d'Antin, n° 9.
Marguerite en descendit et rentra seule chez elle.
C'était sans doute un hasard, mais ce hasard me rendit bien heureux.
À partir de ce jour, je rencontrai souvent Marguerite au spectacle, aux Champs-Élysées. Toujours même gaieté chez elle, toujours même émotion chez moi.
Quinze jours se passèrent cependant sans que je la revisse nulle part. Je me trouvai avec Gaston, à qui je demandai de ses nouvelles.
– La pauvre fille est bien malade, me répondit-il.
– Qu'a-t-elle donc ?
– Elle a qu'elle est poitrinaire, et que, comme elle a fait une vie qui n'est pas destinée à la guérir, elle est dans son lit et qu'elle se meurt.
Le coeur est étrange ; je fus presque content de cette maladie.
J'allai tous les jours savoir des nouvelles de la malade, sans cependant m'inscrire, ni laisser ma carte. J'appris ainsi sa convalescence et son départ pour Bagnères.
Puis, le temps s'écoula, l'impression, sinon le souvenir, parut s'effacer peu à peu de mon esprit. Je voyageai ; des liaisons, des habitudes, des travaux prirent la place de cette pensée, et, lorsque je songeais à cette première aventure, je ne voulais voir ici qu'une de ces passions comme on en a lorsque l'on est tout jeune, et dont on rit peu de temps après.
Du reste, il n'y aurait pas eu de mérite à triompher de ce souvenir, car j'avais perdu Marguerite de vue depuis son départ, et, comme je vous l'ai dit, quand elle passa près de moi, dans le corridor des Variétés, je ne la reconnus pas.
Elle était voilée, il est vrai ; mais si voilée qu'elle eût été, deux ans plus tôt, je n'aurais pas eu besoin de la voir pour la reconnaître : je l'aurais devinée.
Ce qui n'empêcha pas mon coeur de battre quand je sus que c'était elle ; et les deux années passées sans la voir et les résultats que cette séparation avait paru amener s'évanouirent dans la même fumée au seul toucher de sa robe.