(#43) La gravité quantique à boucles - YouTube
Bonjour à tous !
Aujourd'hui, on va parler du plus grand mystère de la physique fondamentale, celui qui empêche des milliers de chercheurs de dormir.
Ce qu'on appelle prétentieusement "la théorie du tout". La théorie du tout, c'est supposément la réunion de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, l'unification de la théorie de la relativité générale avec la mécanique quantique. D'ailleurs, on appelle ça plus simplement "le problème de la gravité quantique". Alors il y a une approche très connue à ce problème, c'est la théorie des cordes. (J'ai déjà eu l'occasion de faire une vidéo sur ce sujet.) Mais aujourd'hui, je voudrais vous parler de l'autre théorie, celle qui est moins connue que la théorie des cordes mais qui, personnellement, a ma préférence :
la gravité quantique à boucles.
*jingle très funky*
Le problème de la gravité quantique,
c'est celui de l'unification de deux théories qui dans la première moitié du XXe siècle
ont complètement bouleversé notre vision du monde.
La première de ces théories, c'est la relativité générale, le chef-d'oeuvre d'Albert Einstein, et c'est une théorie de la force de gravité. Avant Einstein, on avait déjà une théorie de la force de gravité, celle de Newton,
qui était là depuis presque 250 ans.
Et c'est celle qu'on apprend à l'école, "deux corps massifs s'attirent parce qu'il y existe une force entre les deux" et Newton nous donne même la formule qui permet de calculer cette force.
La théorie de Newton, elle est fabuleuse,
elle marche fantastiquement bien depuis plus de 3 siècles maintenant.
C'est celle qui permet de comprendre à la fois la chute des corps, mais aussi le mouvement des planètes.
Je sais pas si vous réalisez le tour de force que ça représente pour l'époque. Newton comprend que ce qui fait tomber une pomme vers le sol
et ce qui explique le mouvement d'une planète autour du soleil, c'est la même chose. (Un truc de dingue !)
Il y a une citation de Paul Valéry que j'aime beaucoup et qui résume bien ça :
Bref, la théorie de Newton ça marche hyper bien.
Et là, Einstein arrive et propose de la remplacer
par quelque chose de conceptuellement complètement différent.
Pour Einstein, si les corps s'attirent, c'est pas parce qu'il existe une force invisible entre eux, mais parce qu'ils déforment l'espace-temps. L'image classique, c'est celle d'un drap tendu sur lequel on poserait des objets. Et c'est la courbure de l'espace-temps qui modifie la trajectoire des corps massifs et provoque leur attraction.
Il y a une chose qu'il faut bien avoir en tête : Ll théorie d'Einstein, mathématiquement, elle est très différente de celle de Newton, mais ses résultats, ses prédictions physiques, sont essentiellement les mêmes.
Bah oui encore heureux, on l'a dit la théorie de Newton marche extrêmement bien, donc la théorie d'Einstein elle a quand même plutôt intérêt à donner les mêmes résultats. Si vous vous amusez à calculer la chute d'une pomme ou la trajectoire de la Lune autour de la Terre, avec la théorie de la relativité générale, vous allez trouver la même chose qu'avec la théorie de Newton. Sauf...
Sauf quand le champ gravitationnel devient vraiment intense.
Par exemple Mercure, qui est beaucoup plus proche du Soleil que la Terre,
elle est dans un champ de gravité plus intense.
Et là, le calcul de sa trajectoire par Newton et par Einstein donnent des résultats légèrement différents.
Et c'est le calcul d'Einstein qui colle avec les observations. C'est à dire que la théorie de la relativité générale, elle améliore la théorie de Newton en particulier pour les champs gravitationnels intenses.
Et elle va même jusqu'à prédire l'existence d'objets qui n'existaient pas dans la théorie de Newton comme par exemple les trous noirs. Des régions de l'espace-temps d'où rien ne peut s'échapper, même pas la lumière. Et puis bien sûr, une des prédictions les plus spectaculaires de la théorie de la relativité générale,
c'est le Big Bang. La théorie du Big Bang, elle découle de l'application des équations d'Einstein à l'univers tout entier. Et elle nous prédit que l'univers n'est pas une sorte d'arène statique, mais peut être quelque chose qui est en train de se dilater ou de se contracter.
Et c'est ce qui a été observé pour la première fois par Edwin Hubble dans les années 20, et puis par plein d'autres gens après lui : toutes les galaxies de l'univers s'éloignent les unes des autres. Un peu comme un drap élastique sur lequel on serait en train de tirer de tous les côtés.
Si on utilise les équations de la cosmologie pour remonter dans le passé de l'univers, on voit que plus on remonte dans le temps,
plus l'univers était contracté, dense et chaud. Jusqu'à il y a 13,8 milliards d'années, où d'après les équations, l'univers était un point infiniment dense. (Un peu comme si il était né à ce moment-là.)
C'est un peu bizarre comme conclusion, nan? Et on va voir dans la suite ce qu'il faut en penser. *jingle très funky*
L'autre immense révolution du début du 20ème siècle, c'est la mécanique quantique. La mécanique quantique, c'est un peu le contraire de la relativité générale, c'est une théorie de l'infiniment petit. C'est celle qui permet de comprendre comment se comporte la matière au niveau des molécules, des atomes, et puis, plus petits : des protons, des neutrons et toutes les particules élémentaires.
Si on doit la relativité générale presque exclusivement à Einstein,
la mécanique quantique, elle, est vraiment le fruit d'un effort collectif, d'une série de génies qui ont travaillé entre 1900 et 1930. Vous voyez ici la mythique photo du Congrès Solvay de 1927.
Tous les fondateurs de la mécanique quantique sont là,
et sur les vingt-neuf personnes présentes,
dix-sept ont eu le prix Nobel.
Alors il n'y a qu'une seule femme dans l'assemblée, c'est Marie Curie, mais enfin elle, elle l'a eu deux fois. Ce que nous dit la mécanique quantique, c'est qu'à très petite échelle la matière se comporte différemment de ce dont on a l'habitude à notre échelle. Et le mieux pour s'en rendre compte, c'est considérer un atome d'hydrogène. Un atome d'hydrogène, en apparence c'est simple : un proton, chargé positivement, et un électron, chargé négativement.
Et entre eux existe une force : la force électrostatique de Coulomb,
qui dit que les charges opposées s'attirent. Cette force, elle ressemble beaucoup à la force de Newton, et elle nous dit que l'électron doit tourner autour du proton. Cette description est simple, mais elle a un petit problème :
comme l'électron peut perdre de l'énergie, il va se mettre à tourner de plus en plus bas de plus en plus proche du proton
jusqu'à venir s'écraser sur lui. Un peu comme un satellite peut rentrer dans l'atmosphère. Si ça c'était vrai, les atomes d'hydrogène seraient instable, or, on voit bien qu'ils sont stables. La mécanique quantique va résoudre ce problème
en venant modifier la vision qu'on a de l'atome d'hydrogène. Tout d'abord, la mécanique quantique nous dit que l'électron n'a pas une trajectoire bien définie, il n'est pas en un point précis de l'espace sur un point bien défini de son orbite. Il est dans une superposition d'états comme s'il était un peu partout sur son orbite à la fois. L'autre grand changement, c'est que l'électron ne peut plus se trouver n'importe où, il n'a que certains niveaux d'énergie possibles. Ce qu'on symbolise souvent en faisant comme s'il n'avait que certaines orbites possibles, même si c'est pas tout à fait ça. L'électron peut être dans un certain niveau, dans le niveau suivant, mais pas entre les deux. Et du coup on leur met des numéros : niveau 1, niveau 2, niveau 3.
On dit que les niveaux d'énergie sont "quantifiés". Et c'est pour ça qu'on appelle ça la mécanique "quantique". Alors cette quantification des niveaux d'énergie elle a deux conséquences. La première, c'est qu'un électron peut sauter d'un niveau d'énergie à un autre en émettant ou en absorbant une quantité d'énergie bien déterminée sous la forme de lumière de longueur d'onde bien définie. Et ça on le vérifie tous les jours avec la couleur de la lumière qui est absorbée
ou émise par les différents atomes.
L'autre conséquence, c'est que l'électron ne peut pas descendre plus bas en énergie que le niveau 1, qu'on appelle "niveau fondamental", et en particulier ça l'empêche d'aller s'écraser sur le proton. Tout se passe comme si il y avait une espèce de force de répulsion due aux effets quantiques
qui protégeait l'atome de l'instabilité. Et on va voir que ça va jouer un rôle important dans notre affaire.
*jingle funky*
Relativité générale et mécanique quantique,
les deux énormes révolutions du 20ème siècle en physique fondamentale.
Et jusqu'à aujourd'hui, ces deux théories ont fonctionné merveilleusement bien. On l'a vu encore récemment avec la découverte des ondes gravitationnelles pour la relativité générale et la découverte du Boson de Higgs pour la mécanique quantique.
Et pourtant ces deux théories, elles sont complètement incompatibles.
La relativité générale nous décrit un monde qui est courbé mais lisse, déterministe.
À côté de ça, la mécanique quantique nous dit que, au niveau microscopique, le monde est discret, probabiliste, fluctuant.
C'est d'ailleurs assez bien reflété dans les outils mathématiques qui sont utilisés par les deux théories qui sont complètement différents.
Deux théories aussi bien vérifiées mais qui sont incompatibles,
les physiciens théoriciens détestent.
Si on pouvait remplacer ça par une seule théorie qui engloberait les deux, ça serait quand même vachement mieux.
Il faut voir que la volonté d'unifier ensemble des phénomènes a toujours été un puissant moteur de compréhension.
Il y a l'exemple que j'ai donné tout à l'heure de Newton qui unifie le mouvement de la chute des corps avec celui du mouvement des planètes.
Mais il y a un autre exemple encore plus fou :
James Maxwell, qui à la fin du 19ème siècle découvre l'électromagnétisme. Il montre que l'électricité et le magnétisme des aimants ne sont que deux aspects d'un truc plus fondamental : le champ électromagnétique.
Et quelques années plus tard, il comprend que la lumière est une onde du champ électromagnétique.
C'est-à-dire que d'un coup Maxwell unifie trois trucs qui avant étaient considérés comme indépendants : l'électricité, le magnétisme et la lumière. Et ça lui permet d'ailleurs de comprendre qu'il doit exister d'autres ondes électromagnétiques que la lumière visible. Et bah on les connaît aujourd'hui : les micro-ondes, les ondes radio, les rayons X. Bref, unifier des phénomènes, c'est un peu la classe mondiale en physique théorique. Alors on pourrait rétorquer que unifier la relativité générale et la mécanique quantique,
on s'en fout un peu. On l'a dit, la relativité générale, c'est une théorie des objets très lourds. À côté de ça, la mécanique quantique, c'est une théorie des objets très petits. Bah les objets très lourds, en général, ils ne sont pas très petits..
Ouais, sauf qu'il y a deux exceptions à cette règle. La première, c'est ce qui se passe au centre des trous noirs. D'après la relativité générale, toute la matière qui tombe dans un trou noir va se concentrer en son centre,
en un point infinitésimal,
un truc très lourd et très petit.
C'est ce qu'on appelle une "singularité". Autre singularité, les premiers instants du Big Bang.
On a vu tout à l'heure que si on utilisait les équations de la cosmologie, on arrivait à cette conclusion un petit peu étrange que, il y a 13,8 milliards d'années, l'univers aurait été un point infiniment dense. Oui, sauf qu'en fait on n'en sait rien. Puisque là on avait affaire à quelque chose qui était à la fois très lourd et très petit.
Donc on ne peut pas juste utiliser les équations de la relativité générale,
il faut prendre en compte aussi la mécanique quantique,
il nous faut une théorie unifiée.
Pour comprendre les premiers instants du Big Bang,
il nous faut une théorie de la gravité quantique.
Bon ok assez papoté, on la fabrique cette théorie la gravité quantique ?
*jingle très funky*
Pour comprendre comment on peut construire une théorie la gravité quantique,
il faut bien réaliser que la relativité générale et la mécanique quantique qu'on veut unifier, ce sont deux théories qui ne se situent pas vraiment sur le même plan.
La relativité générale, c'est une théorie qui décrit une force, la "force de gravité" (on devrait d'ailleurs plutôt dire une "interaction"). En gros, on peut la comparer à la force électromagnétique.
La mécanique quantique, c'est pas une force, c'est plutôt un ensemble de principes qui nous disent comment une force va se comporter au niveau microscopique.
On l'a vu tout à l'heure avec l'exemple de l'atome d'hydrogène : on a la vision classique qui ne marche pas
et la mécanique quantique vient modifier cette vision pour nous dire comment
les choses se passent à petite échelle.
Donc il ne s'agit pas tellement d'unifier la mécanique quantique et la relativité générale, mais plutôt d'arriver à appliquer les principes de la mécanique quantique à la théorie de la relativité générale. Habituellement, on dit qu'il existe quatre forces fondamentales dans la nature : l'électromagnétisme - qui explique quasiment tout ce qu'on voit autour de nous - les forces nucléaires forte et faible - qui assurent notamment la cohésion des noyaux atomiques -
et la gravité - décrite par la relativité générale.
Et on peut faire avec ces forces ce qu'on a fait avec l'atome d'hydrogène, c'est-à-dire leur appliquer les principes de la mécanique quantique. Et comme ça on peut par exemple passer de l'électromagnétisme à sa version quantique ce qu'on appelle l' "électrodynamique quantique". On peut faire ça aussi avec la force nucléaire forte et on obtient la "chromodynamique quantique" et avec la force nucléaire faible.
Ces trois forces dans leurs versions quantiques forment ce qu'on appelle "le modèle standard de la physique des particules". Parce que tout ce qu'on comprend aujourd'hui du comportement des particules élémentaires s'explique par ce modèle. Tout ce qu'on voit dans les accélérateurs de particules jusqu'à la découverte du Boson de Higgs au CERN s'explique par le "modèle standard". Alors, appliquer les principes de la mécanique quantique, ça a marché avec
les trois premières forces.
Bah il n'y a plus qu'à faire ça avec la quatrième : la relativité générale. Ouais, sauf que c'est là que ça se corse... Je ne vous ai pas dit comment on fait pour passer d'une théorie à sa version quantique. Cette opération s'appelle la "quantification" et il existe une sorte de procédure pour la faire.
Elle a été décrite par un des grands génies de la mécanique quantique :
Paul Dirac.
Dirac a proposé une sorte de recette de cuisine qui permet de prendre une
théorie classique
et de fabriquer la théorie quantique correspondante.
Il y a deux problèmes avec cette recette.
Le premier, c'est qu'elle nous demande de construire des objets mathématiques qui sont beaucoup plus compliqués que ce qu'on avait au départ et donc l'arsenal mathématique à utiliser peut devenir vite assez effrayant. L'autre problème, c'est que la recette de Dirac, elle est vague. Elle nous dit ce dont on a besoin, mais elle ne nous dit pas comment faire pour le trouver.
Si on applique cette recette à l'atome d'hydrogène on trouve la théorie quantique de l'atome d'hydrogène, mais si on essaye de l'appliquer à l'électromagnétisme, et bien ça coince déjà. Dans le cas de l'électromagnétisme, cette difficulté a été contournée en se limitant à des situations où les champs ne sont pas trop intenses.
Ou bien, une autre manière de le dire, où il n'y a pas trop de particules qui interagissent. C'est ce qu'on appelle l'approche perturbative. C'est un peu comme si vous vouliez comprendre les mouvements de la mer et que vous décidiez prudemment de vous limiter à l'étude des vagues, mais en ignorant les phénomènes plus globaux comme les courants ou les tempêtes.
L'approche perturbative, elle est par exemple suffisante pour comprendre ce qu'il se passe dans les accélérateurs de particules. Et cette approche, on la doit notamment à un autre grand génie de la physique quantique :
Richard Feynman.
Feynman a notamment introduit un outil qui maintenant porte son nom :
les diagrammes de Feynman.
Il s'agit de petits dessins qui représentent les interactions entre les particules, et si vous ouvrez un livre de physique des particules, vous en verrez à quasiment toutes les pages.
Alors pourquoi je vous raconte tout ça ?
Et bien parce que la raison fondatrice qui fait que
construire une théorie de la gravité quantique c'est compliqué, c'est que l'approche perturbative ne marche pas avec la relativité générale. Si vous essayez quand même d'appliquer l'approche perturbative à la relativité générale, vous allez toujours trouver l'infini. C'est-à-dire que vous allez construire une théorie qui quelque soit la question que vous lui posez va vous répondre l'infini. Pas très pratique.
Ce résultat c'est vraiment l'acte de naissance des différentes approches au problème de la gravité quantique, parce qu'on avait une méthode - la méthode perturbative -
qui a très bien marché pour les trois premières forces
- l'électromagnétisme, force nucléaire faible et force nucléaire forte - mais qui ne marche pas avec la relativité générale.
Donc il faut trouver autre chose.
Et à partir de là, le monde se divise en deux catégories :
ceux qui décident de s'accrocher à l'approche perturbative et ceux qui décident de l'abandonner. Alors je ne vais pas vous reparler aujourd'hui de la théorie des cordes, j'ai déjà fait un épisode dessus. Mais ce qu'il faut savoir, c'est qu'en théorie des cordes, on essaie de préserver l'approche perturbative. Et pour ça, on change un peu les postulats de départ, et ça se fait
au prix de l'introduction de quelques petits trucs exotiques comme des minuscules cordes,
des dimensions supplémentaires
et puis un certain nombre de particules nouvelles : les particules supersymétriques.
Une bonne partie de ceux qui ont voulu essayer autre chose que la théorie des cordes
ont décidé de laisser tomber l'approche perturbative et de revenir à la recette initiale de Dirac.
Et c'est une des origines de la gravité quantique à boucles. Mais avant de vous parler de ça, il faut que je vous explique
pourquoi les chercheurs de ce domaine
ont de bonnes raisons de penser que la méthode perturbative
ne pouvait de toute façon pas fonctionner.
Toute la philosophie de la relativité générale, c'est que l'espace-temps n'existe plus en tant qu'arène fixe dans lequel se dérouleraient les choses, mais l'espace-temps est un objet lui-même changeant, dynamique. Il y a une jolie phrase qui résume ça :
"En relativité générale, la scène disparaît et devient un des acteurs." Quand vous voulez faire une approche perturbative, vous êtes obligé de réintroduire
une sorte de scène figée sur laquelle se produisent les perturbations.
Et pour les puristes de la relativité générale, ça trahit un de ces principes fondamentaux
et donc c'est pas étonnant que ça ne fonctionne pas bien. Ok très bien, mais comment on fait pour appliquer le programme de quantification
de Dirac à la relativité générale sans utiliser les perturbations ?
Et bien, c'est dur... Et c'est tellement dur que personne n'a jamais réussi ...jusqu'en 1986. *jingle très funky*
En 1986, un physicien indien, Abhay Ashtekar, propose quelque chose de nouveau.
Il propose de reformuler la théorie de la relativité générale.
C'est-à-dire qu'il prend les équations d'Einstein et il les ré-écrit différemment.
Mathématiquement, les variables et les équations qu'il utilise sont différentes, mais physiquement c'est la même théorie. Elle est équivalente à la relativité générale, elle fait les mêmes prédictions.
Mais sa nouvelle forme la fait ressembler un peu plus à l'électromagnétisme. Et c'est ça qui va débloquer l'application du programme de Dirac. Ça, et puis les boucles bien sûr.
Alors ce qui va venir est un peu technique, mais je suis quand même obligé de vous expliquer
d'où vient le terme de "boucles" dans la gravité quantique à boucles. On a vu que la théorie de la relativité générale porte sur la courbure de l'espace-temps, mais comment on fait pour savoir qu'on est dans un espace-temps courbé? Parce qu'on est dedans, donc c'est pas forcément facile de s'en rendre compte. Et bien, on fait des boucles.
Imaginez que vous soyez sur un plan, et que vous teniez à la main une flèche
- par exemple une flèche d'arc devant vous. Déplacez-vous tout droit pendant un moment puis arrêtez-vous
et prenez un virage à 90 degrés sans changer la position de la flèche.
Continuez à marcher tout droit, puis recommencez à faire un virage à 90 degrés
sans bouger la flèche, et ainsi de suite jusqu'à votre position initiale. À la fin, la flèche est dans la même position qu'au départ. Maintenant on va jouer au même jeu sur une sphère, qui est un espace courbe.
Déplacez-vous tout droit,
puis tournez à angle droit sans changer la direction de la flèche,
avancez,
tournez à nouveau sans changer la direction de la flèche,
puis revenez à votre point initial.
Et bien là, la flèche n'est plus dans la même direction qu'au départ, et ça c'est le signe qu'un espace est courbe. Quand dans un espace courbe on fait une boucle, c'est-à-dire un tour et qu'on revient à son point de départ, les vecteurs se retrouvent dans une position différente.
Alors tout ça peut vous paraître affreusement abstrait, mais ce qu'il faut retenir c'est que faire des boucles ça permet de sentir la courbure de l'espace-temps, ça permet même de la mesurer en fait.
Et donc en remplaçant la notion de courbure par la notion de boucle,
on arrive à débloquer la situation
et à appliquer le programme de Dirac
à la relativité générale reformulée par Ashtekar.
Alors évidemment je ne vais pas vous décrire toute la théorie,
mais, par analogie avec l'atome d'hydrogène, je voudrais vous en faire sentir les résultats principaux. Le résultat le plus spectaculaire, il a été obtenu par deux chercheurs :
un américain, Lee Smolin,
et un italien Carlo Rovelli.
Je vous ai dit qu'un des apports de la mécanique quantique à l'atome d'hydrogène c'est que les niveaux d'énergie sont quantifiés, discrets, et notamment il existe un plus petit niveau d'énergie. Et bien en gravité quantique à boucles, il se passe la même chose avec la géométrie de l'espace-temps. En gravité quantique à boucles, les grandeurs géométriques sont
quantifiées - les longueurs, les aires, les volumes.
Il existe par exemple une plus petite aire possible que puisse posséder une surface,
et elle peut posséder certaines valeurs discrètes pour son aire, mais pas les valeurs intermédiaires.
Alors ces dimensions géométriques minimales, elles sont toutes petites.
La plus petite longueur est d'environ 10^(-35) mètres, ce qu'on appelle la "longueur de Planck". Donc, évidemment, à notre échelle on ne voit pas la différence.
Ce que nous dit ce résultat, c'est que si on descend à l'échelle de la longueur de Planck, l'espace n'est plus continu mais il est discret. Il est fait de petits blocs indivisibles, des sortes de briques élémentaires de taille finie,
des espèces d'atomes d'espace. Pour représenter cette situation, on utilise un réseau qui symbolise
la manière dont les différents atomes d'espace sont reliés entre eux. Ce réseau, c'est un état quantique de la courbure de l'espace - on appelle ça un "réseau de spins". Une fois qu'on a compris ça, il y a une autre question essentielle : Comment cet espace évolue-t-il ? C'est-à-dire, à quoi ressemble l'espace-temps ? On a vu dans le cas de l'atome d'hydrogène que l'électron pouvait passer d'un niveau à un autre. Et bien ça se passe pareil avec notre représentation quantique de l'espace, on peut passer d'un réseau de spins à un autre. Et pour faire ça, il suffit d'imaginer une structure intermédiaire qui les relie - on appelle ça une "mousse de spins". Cette mousse de spin, c'est une représentation quantique de l'espace-temps. Et c'est important de comprendre que tout ça, c'est pas juste du dessin. En fait, derrière ces mousses de spins, il y a des équations
qu'on associe aux différents éléments la structure et qui permettent de décrire la probabilité que l'espace passe d'un état quantique à un autre. Et je vous passe évidemment les détails, mais ce qui reste c'est que la gravité quantique à boucles nous montre que l'espace-temps quantique n'est plus un truc lisse et continu comme en relativité générale. Il est fait de briques élémentaires de taille finie, quantifiées et qui sont fluctuantes
- qui peuvent sauter d'un état à un autre -, une sorte d'espace-temps bouillonnant. *jingle très funky*
Je vous ai décrit à grands traits la gravité quantique à boucles,
mais maintenant je voudrais vous expliquer la cerise sur le gâteau :
comment cette théorie va modifier notre vision du Big Bang ?
Dans les années 2000, il y a un jeune physicien qui s'appelle Martin Bojowald qui s'est amusé à appliquer les équations de la gravité quantique à boucles aux problèmes de la cosmologie,
et il a créé ce qu'on appelle la cosmologie quantique à boucles. Et je ne vais évidemment pas vous en donner les détails, mais je voudrais juste
vous faire comprendre les leçons qu'on en tire. La gravité quantique à boucles nous montre que l'espace-temps est fait de minuscules morceaux de taille finie, des atomes d'espace-temps. Une des conséquences de ça, c'est qu'on ne peut pas indéfiniment accumuler de la matière au même endroit.
Il y a une densité maximale qu'on peut atteindre : la densité de Planck. Cette densité, elle est monstrueuse :
c'est 5 x 10^96 kg/m3 c'est-à-dire "5" avec quatre-vingt-seize "0" derrière. Et cette densité maximum, elle change notre perception du Big Bang.
En cosmologie classique, quand on remonte vers le Big Bang, la densité est de plus en plus
élevée jusqu'à devenir soi-disant infinie. Mais en cosmologie quantique à boucles, la densité ne peut pas dépasser la densité de Planck,
donc quand on remonte dans le temps, au bout d'un moment ça coince. Et il se passe un peu la même chose qu'avec l'électron de l'atome d'hydrogène. Vous vous souvenez ?
L'électron ne peut pas aller s'écraser sur le proton parce qu'il ne peut pas descendre plus bas que le niveau fondamental, et donc tout se passe comme si il y avait une
espèce de force de répulsion quantique qui l'empêchait de s'approcher trop près du proton. Et bien c'est un peu la même chose qu'on a en cosmologie quantique à boucles, tout se passe comme si il y avait une espèce de force de répulsion qui empêchait de dépasser la densité de Planck.
Et donc ça change notre vision des débuts du Big Bang.
On passe d'une vision d'un Big Bang à ce qui pourrait être plus tôt un Big Bounce - un "grand rebond". Les calculs en cosmologie quantique à boucles nous montrent que l'univers à pu se créer de l'effondrement d'un univers précédent, rebondir à la densité maximale et s'étendre jusqu'à donner notre univers. Alors c'est encore spéculatif et les équations sont assez simplifiées, mais ça fait partie des possibilités.
Alors, mauvaise nouvelle ou bonne nouvelle, les calculs montrent que le rebond
a effacé toutes les traces du passé dans un espèce de grand bouillonnement quantique.
C'est-à-dire que, même si ça se révèle confirmé un jour, on aura pas de moyens de remonter pour savoir ce qu'était l'univers avant. *jingle très funky*
Voilà, vous en savez déjà beaucoup sur la gravité quantique à boucles,
il faut quand même retenir deux choses : la première, c'est que ça n'est qu'une tentative parmi d'autres, et la deuxième, c'est que tout est loin d'être complètement achevé dans cette théorie. Il y a encore plein de choses qu'on comprend pas et un certain nombre de choses qui, sur le plan mathématique, ne sont pas mises sur des bases solides.
Et puis de toute façon à la fin, ce sont quand même les résultats expérimentaux
qui trancheront et qui permettront de dire si la théorie est correcte ou pas.
D'ailleurs oui, parlons-en des résultats expérimentaux : sur quoi on va se baser pour vérifier cette théorie ? Et bah la première chose dont on peut se servir, c'est justement de la cosmologie. Vous savez peut-être que la meilleure preuve du scénario du Big Bang c'est le rayonnement du fond diffus cosmologique - qu'on appelle parfois le "rayonnement fossile". Et dans la manière dont ce rayonnement fluctue, on peut espérer trouver
des traces des premiers instants du Big Bang.
On est encore loin de pouvoir les discerner, mais récemment Abhay Ashtekar
et un physicien français, Aurélien Barrau,
ont réalisé des calculs pour essayer de comprendre quels seraient les signes de
la gravité quantique à boucles dans le rayonnement fossile.
Et c'est assez intéressant du point de vue de la philosophie des sciences, parce que ça veut dire que cette théorie, on peut la tester expérimentalement,
elle fait des prédictions - même si aujourd'hui on n'a pas encore la précision nécéssaire. L'autre moyen d'aller tester la théorie de la gravité quantique à boucles, ce serait d'aller sonder la structure de l'espace-temps. La situation, elle est assez proche de ce qu'on a avec la matière ordinaire. Si je prends un caillou et que je le regarde avec mes yeux ou même avec un microscope,
et bien il a l'air lisse, il a l'air fait de matière continue. Mais si je lui balance des rayons très énergétiques, comme des rayons x,
j'arrive à détecter sa structure discrète, son organisation en cristal, je vois ses atomes en quelque sorte. Et il pourrait se passer la même chose avec la structure discrète de l'espace-temps : si des rayons suffisamment énergétiques la traversent,
ils pourraient nous renseigner sur ces fameux atomes d'espace. Alors le problème, c'est que des rayons aussi puissants, on ne sait pas en fabriquer, mais ils peuvent se produire dans certains phénomènes astrophysiques et
donc on a peut-être une chance de capter des rayonnements très très
énergétiques qui portent en eux une signature de la structure quantique de l'espace-temps. Merci d'avoir suivi cette vidéo, si elle vous a plu n'hésitez pas à la partager, histoire qu'on ne parle pas toujours que la théorie des cordes. Comme souvent j'écris un petit billet qui accompagne cette vidéo et qui vous donnera quelques détails. Même si forcément je ne vais pas pouvoir tout expliquer.
Si vous aimez la physique fondamentale, j'ai pleins d'autres vidéos sur la chaîne qui en parlent. J'ai déjà parlé de Stephen Hawking, j'ai parlé de la théorie des cordes, de la mécanique quantique, des trous noirs, de la
constante cosmologique, de l'intrication quantique, etc. Une petite chose qu'il faut je précise avant qu'on m'en accuse c'est que je suis un petit peu partisan de cette histoire de gravité quantique à boucles
versus la théorie des cordes,
puisque en fait j'ai travaillé dans la gravité quantique à boucles, c'était mon sujet de thèse et j'ai eu la chance de travailler avec une partie des personnes dont j'ai parlé dans cette vidéo. Pour ceux qui voudraient me rencontrer en vrai,
je peux vous annoncer déjà que je serai le mercredi 5 octobre à l'Espace des Sciences à Rennes pour donner une conférence dans la salle Hubert Curien
donc voilà ça va être l'occasion de se voir là-bas. Comme toujours vous pouvez retrouver les actus de la chaîne sur facebook et twitter
et vous pouvez me souvenir sur Tipee. Merci à tous et à bientôt !