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Arthur Bernède- Belphégor, 1-12 Où le fantôme reparaît…

1-12 Où le fantôme reparaît…

Où le fantôme reparaît…

La nuit enveloppait l'hôtel de Mlle Desroches… Aucune lumière ne brillait derrière les persiennes fermées de la façade. Aucun bruit ne s'élevait, sauf le roulement sourd et vite éteint de voitures lointaines… Seules, deux fenêtres qui donnaient sur le jardin, dont les arbres confondaient leurs frondaisons avec les ténèbres de la nuit, étaient éclairées : l'une au premier étage, celle de la chambre de Simone ; l'autre au rez-de-chaussée, celle du salon où, à travers le tulle léger des rideaux, on apercevait les silhouettes d'Elsa Bergen et de Maurice de Thouars.

Ceux-ci venaient seulement de quitter Simone qui, après une très mauvaise journée, s'était enfin assoupie… Maurice de Thouars semblait particulièrement nerveux, agité… Un geste d'impatience lui échappa… et il grommela, avec un accent de colère qu'il contenait avec peine :

– C'est trop !… Je n'en puis plus !…

– Monsieur de Thouars, reprenait la Scandinave avec calme, voulez-vous me permettre de vous donner un conseil ?

Le bellâtre s'arrêta et eut un léger haussement d'épaules.

Mlle Bergen poursuivait :

– Si vous voulez atteindre le but que vous vous proposez… il faut vous armer de patience…

– Croyez-vous que je n'en ai pas ?

– Jusqu'à ce jour vous avez été raisonnable… Eh bien ! continuez.

– Je suis à bout.

– Faites appel à votre sang-froid… J'ai l'intime conviction qu'un jour ou l'autre, jour peut-être plus rapproché que vous ne le pensez, Simone ne manquera pas d'établir un parallèle entre celui qui lui a refusé de partager sa vie et celui qui s'est fait son véritable esclave.

– Son esclave ! répétait Maurice de Thouars. Vous avez dit le mot.

– Et, complétait Elsa Bergen, je ne doute pas que la comparaison ne soit toute à votre avantage…

« Voilà pourquoi je vous dis : patience ! Continuez à vous montrer envers elle celui que vous avez été jusqu'à ce jour… La confiance qu'elle vous témoigne n'est-elle pas faite pour justifier vos espérances ?

– Je voudrais être plus vieux de quelques jours, fit M. de Thouars d'un air sombre.

Minuit sonnait à un cartel suspendu à la muraille. Mlle Bergen appuya sur le bouton d'une sonnerie électrique… Presque aussitôt, Juliette, la femme de chambre, apparut…

– Allez donc voir si Mademoiselle n'a besoin de rien ? fit la dame de compagnie.

Juliette répliquait :

– Tout à l'heure, Mademoiselle a pris sa tasse de camomille… avec ses gouttes… Elle m'a dit qu'elle voulait dormir… et elle m'a recommandé de ne pas la déranger.

– Allez, vous dis-je… ordonnait Mlle Bergen avec autorité.

La femme de chambre obéit. Après avoir gravi l'escalier, elle s'en fut entrebâiller doucement la porte de Mlle Desroches et jeta un regard dans la chambre discrètement éclairée par la lueur d'une veilleuse.

Simone, étendue sur son lit, dormait profondément.

Au même moment, une scène étrange se déroulait dans le jardin de l'hôtel.

Surgissant d'un bosquet, une ombre se glissait derrière les arbres… Et cette ombre était le Fantôme du Louvre.

Drapé dans son suaire noir, coiffé de son capuchon, sans paraître nullement inquiété par les lumières qui continuaient à briller à l'intérieur de la maison, il se dirigea sans hésitation vers la fenêtre du boudoir qui était restée entrouverte, l'ouvrit avec précaution, et, sans provoquer le moindre bruit, avec une souplesse toute féline, il s'introduisit à l'intérieur de la pièce… Démasquant le volet d'une lanterne qu'il tenait à la main, il s'approcha, à pas de loup, du secrétaire dans lequel Mlle Desroches avait enfoui la correspondance de Jacques, introduisit dans la serrure un crochet de forme bizarre, le tourna et le retourna à plusieurs reprises, sans faire entendre le moindre grincement… Au bout de quelques secondes, le battant cédait… Alors, avançant la main, le Fantôme s'empara des lettres que Simone avait déposées sur une planchette… lorsqu'une voix qui s'élevait dans la pièce voisine le cloua sur place.

C'était Juliette qui revenait annoncer à Elsa Bergen :

– Mademoiselle repose et je n'ai pas voulu la réveiller.

Toujours à pas feutrés, le Fantôme se dirigea vers la fenêtre.

Mais, dans sa retraite, il heurta un petit meuble qui tomba en entraînant une potiche qui se brisa avec fracas.

Dans le salon, surpris par ce tapage intempestif, Maurice de Thouars, Mlle Bergen et la femme de chambre, qui allait se retirer, eurent un sursaut simultané.

– Il y a quelqu'un dans cette pièce ! fit la Scandinave, tandis que Maurice de Thouars se précipitait vers la porte du boudoir et l'ouvrait toute grande.

Un cri lui échappa.

Il venait d'apercevoir, éclairé, trahi par la tramée lumineuse que projetait le lustre du salon, le Fantôme en train d'escalader le rebord de la fenêtre.

Courageusement, il s'élança vers lui… pas assez vite, cependant, pour entraver la fuite du mystérieux personnage.

Ainsi que Mlle Bergen et Juliette, qui l'avaient rejoint, il eut le temps d'apercevoir le Fantôme se faufiler le long de la maison… Les deux femmes, terrifiées, eurent une exclamation d'épouvante… M. de Thouars, sortant un revolver de sa poche, tirait une première balle dans la direction du Fantôme qui, traversant d'un bond une allée, disparut derrière un buisson rapproché.

Le jeune homme se précipita au dehors, laissant seules les deux femmes qui, en proie à une vive frayeur, étaient restées figées sur place. Les chiens du voisinage faisaient entendre de furieux aboiements. Aux lucarnes des étages supérieurs, des domestiques apparaissaient, brusquement réveillés dans leur premier sommeil.

M. de Thouars, décidé à ne pas laisser échapper le malfaiteur, s'approchait du bosquet dans lequel il l'avait vu disparaître… et tirait de nouveaux coups de revolver à travers le taillis touffu où il supposait que le Fantôme devait toujours se tenir caché.

Le chauffeur, qui couchait dans une petite chambre attenante au garage, près de l'atelier, accourait, simplement vêtu d'un pantalon et d'une chemise, et pénétrait dans le buisson avec Maurice de Thouars sans y rencontrer d'ailleurs aucune trace du mystérieux bandit qui, une fois de plus, semblait s'être évaporé.

Le jardinier, le valet de chambre, le cuisinier, qui étaient accourus, se joignaient à eux… improvisant une battue aux alentours.

Dans le boudoir, Mlle Bergen, retrouvant ses esprits, s'efforçait de rassurer la femme de chambre qui, épouvantée, clamait :

– Au secours ! J'ai peur !

J'ai peur !

Mais brusquement, la porte s'ouvrait… Pâle, échevelée, la figure hagarde, tragique en son déshabillé de nuit qui la faisait paraître plus pâle encore, Simone se précipitait vers Elsa Bergen et se réfugiait dans ses bras.

Et, d'une voix saccadée, avec un accent d'indicible épouvante, elle s'écriait :

– Le Fantôme ! je viens de le voir, de ma fenêtre, qui traversait le jardin.

– Oui, c'est lui, c'est lui !… répétait Juliette, prête à défaillir.

– Calmez-vous, ma chère enfant, disait Mlle Bergen à Simone, tout en l'aidant à s'asseoir sur le divan.

De nouveaux coups de feu retentissaient au dehors… Des pas précipités se faisaient entendre dans le jardin où dansait la lueur des lanternes qu'avaient allumées les domestiques… Les aboiements des chiens redoublaient, dominant par instants la voix de Maurice de Thouars qui ordonnait :

– Pierre, cherchez là-bas, près du mur ! Vous, Louis, regardez dans les arbres… Albert, allez voir si la petite porte est ouverte.

Tremblante, fiévreuse, haletante, affolée, Simone, qui avait saisi la main d'Elsa et celle de Juliette, répétait, en claquant des dents :

– Le Fantôme !… Le Fantôme !

Mais, soudain, son regard s'agrandit encore… Il venait de se poser sur le secrétaire. D'un seul mouvement, Simone se leva, et avant qu'Elsa Bergen ait pu la retenir, elle se dirigea vers le meuble, qui était resté entrouvert.

Elle se pencha… chercha, et s'écria :

– Les lettres de Jacques… On a volé les lettres de Jacques !

La demoiselle de compagnie et la femme de chambre la reçurent dans leurs bras… Sa tête se renversa en arrière. Ses lèvres s'entrouvrirent pour exhaler une plainte… un sanglot…

Maurice de Thouars reparaissait, son revolver à la main… Derrière lui se profilaient les silhouettes du chauffeur et du gardien.

– Simone !… s'écria-t-il avec angoisse.

Il allait s'élancer. Mais, d'un geste, Mlle Bergen le retint.

– Et le Fantôme ? demanda-t-elle, tandis que, figée de peur, la femme de chambre n'osait faire un mouvement.

Gravement, M. de Thouars répondit :

– Il a disparu !

1-12 Où le fantôme reparaît… 1-12 Wo der Geist wieder auftaucht... 1-12 Where the ghost reappears...

Où le fantôme reparaît…

La nuit enveloppait l’hôtel de Mlle Desroches… Aucune lumière ne brillait derrière les persiennes fermées de la façade. Aucun bruit ne s’élevait, sauf le roulement sourd et vite éteint de voitures lointaines… Seules, deux fenêtres qui donnaient sur le jardin, dont les arbres confondaient leurs frondaisons avec les ténèbres de la nuit, étaient éclairées : l’une au premier étage, celle de la chambre de Simone ; l’autre au rez-de-chaussée, celle du salon où, à travers le tulle léger des rideaux, on apercevait les silhouettes d’Elsa Bergen et de Maurice de Thouars.

Ceux-ci venaient seulement de quitter Simone qui, après une très mauvaise journée, s’était enfin assoupie… Maurice de Thouars semblait particulièrement nerveux, agité… Un geste d’impatience lui échappa… et il grommela, avec un accent de colère qu’il contenait avec peine :

– C’est trop !… Je n’en puis plus !…

– Monsieur de Thouars, reprenait la Scandinave avec calme, voulez-vous me permettre de vous donner un conseil ?

Le bellâtre s’arrêta et eut un léger haussement d’épaules.

Mlle Bergen poursuivait :

– Si vous voulez atteindre le but que vous vous proposez… il faut vous armer de patience…

– Croyez-vous que je n’en ai pas ?

– Jusqu’à ce jour vous avez été raisonnable… Eh bien ! continuez.

– Je suis à bout.

– Faites appel à votre sang-froid… J’ai l’intime conviction qu’un jour ou l’autre, jour peut-être plus rapproché que vous ne le pensez, Simone ne manquera pas d’établir un parallèle entre celui qui lui a refusé de partager sa vie et celui qui s’est fait son véritable esclave.

– Son esclave ! répétait Maurice de Thouars. Vous avez dit le mot.

– Et, complétait Elsa Bergen, je ne doute pas que la comparaison ne soit toute à votre avantage…

« Voilà pourquoi je vous dis : patience ! Continuez à vous montrer envers elle celui que vous avez été jusqu’à ce jour… La confiance qu’elle vous témoigne n’est-elle pas faite pour justifier vos espérances ?

– Je voudrais être plus vieux de quelques jours, fit M. de Thouars d’un air sombre.

Minuit sonnait à un cartel suspendu à la muraille. Mlle Bergen appuya sur le bouton d’une sonnerie électrique… Presque aussitôt, Juliette, la femme de chambre, apparut…

– Allez donc voir si Mademoiselle n’a besoin de rien ? fit la dame de compagnie.

Juliette répliquait :

– Tout à l’heure, Mademoiselle a pris sa tasse de camomille… avec ses gouttes… Elle m’a dit qu’elle voulait dormir… et elle m’a recommandé de ne pas la déranger.

– Allez, vous dis-je… ordonnait Mlle Bergen avec autorité.

La femme de chambre obéit. Après avoir gravi l’escalier, elle s’en fut entrebâiller doucement la porte de Mlle Desroches et jeta un regard dans la chambre discrètement éclairée par la lueur d’une veilleuse.

Simone, étendue sur son lit, dormait profondément.

Au même moment, une scène étrange se déroulait dans le jardin de l’hôtel.

Surgissant d’un bosquet, une ombre se glissait derrière les arbres… Et cette ombre était le Fantôme du Louvre.

Drapé dans son suaire noir, coiffé de son capuchon, sans paraître nullement inquiété par les lumières qui continuaient à briller à l’intérieur de la maison, il se dirigea sans hésitation vers la fenêtre du boudoir qui était restée entrouverte, l’ouvrit avec précaution, et, sans provoquer le moindre bruit, avec une souplesse toute féline, il s’introduisit à l’intérieur de la pièce… Démasquant le volet d’une lanterne qu’il tenait à la main, il s’approcha, à pas de loup, du secrétaire dans lequel Mlle Desroches avait enfoui la correspondance de Jacques, introduisit dans la serrure un crochet de forme bizarre, le tourna et le retourna à plusieurs reprises, sans faire entendre le moindre grincement… Au bout de quelques secondes, le battant cédait… Alors, avançant la main, le Fantôme s’empara des lettres que Simone avait déposées sur une planchette… lorsqu’une voix qui s’élevait dans la pièce voisine le cloua sur place.

C’était Juliette qui revenait annoncer à Elsa Bergen :

– Mademoiselle repose et je n’ai pas voulu la réveiller.

Toujours à pas feutrés, le Fantôme se dirigea vers la fenêtre.

Mais, dans sa retraite, il heurta un petit meuble qui tomba en entraînant une potiche qui se brisa avec fracas.

Dans le salon, surpris par ce tapage intempestif, Maurice de Thouars, Mlle Bergen et la femme de chambre, qui allait se retirer, eurent un sursaut simultané.

– Il y a quelqu’un dans cette pièce ! fit la Scandinave, tandis que Maurice de Thouars se précipitait vers la porte du boudoir et l’ouvrait toute grande.

Un cri lui échappa.

Il venait d’apercevoir, éclairé, trahi par la tramée lumineuse que projetait le lustre du salon, le Fantôme en train d’escalader le rebord de la fenêtre.

Courageusement, il s’élança vers lui… pas assez vite, cependant, pour entraver la fuite du mystérieux personnage.

Ainsi que Mlle Bergen et Juliette, qui l’avaient rejoint, il eut le temps d’apercevoir le Fantôme se faufiler le long de la maison… Les deux femmes, terrifiées, eurent une exclamation d’épouvante… M. de Thouars, sortant un revolver de sa poche, tirait une première balle dans la direction du Fantôme qui, traversant d’un bond une allée, disparut derrière un buisson rapproché.

Le jeune homme se précipita au dehors, laissant seules les deux femmes qui, en proie à une vive frayeur, étaient restées figées sur place. Les chiens du voisinage faisaient entendre de furieux aboiements. Aux lucarnes des étages supérieurs, des domestiques apparaissaient, brusquement réveillés dans leur premier sommeil.

M. de Thouars, décidé à ne pas laisser échapper le malfaiteur, s’approchait du bosquet dans lequel il l’avait vu disparaître… et tirait de nouveaux coups de revolver à travers le taillis touffu où il supposait que le Fantôme devait toujours se tenir caché.

Le chauffeur, qui couchait dans une petite chambre attenante au garage, près de l’atelier, accourait, simplement vêtu d’un pantalon et d’une chemise, et pénétrait dans le buisson avec Maurice de Thouars sans y rencontrer d’ailleurs aucune trace du mystérieux bandit qui, une fois de plus, semblait s’être évaporé.

Le jardinier, le valet de chambre, le cuisinier, qui étaient accourus, se joignaient à eux… improvisant une battue aux alentours.

Dans le boudoir, Mlle Bergen, retrouvant ses esprits, s’efforçait de rassurer la femme de chambre qui, épouvantée, clamait :

– Au secours ! J’ai peur !

J’ai peur !

Mais brusquement, la porte s’ouvrait… Pâle, échevelée, la figure hagarde, tragique en son déshabillé de nuit qui la faisait paraître plus pâle encore, Simone se précipitait vers Elsa Bergen et se réfugiait dans ses bras.

Et, d’une voix saccadée, avec un accent d’indicible épouvante, elle s’écriait :

– Le Fantôme ! je viens de le voir, de ma fenêtre, qui traversait le jardin.

– Oui, c’est lui, c’est lui !… répétait Juliette, prête à défaillir.

– Calmez-vous, ma chère enfant, disait Mlle Bergen à Simone, tout en l’aidant à s’asseoir sur le divan.

De nouveaux coups de feu retentissaient au dehors… Des pas précipités se faisaient entendre dans le jardin où dansait la lueur des lanternes qu’avaient allumées les domestiques… Les aboiements des chiens redoublaient, dominant par instants la voix de Maurice de Thouars qui ordonnait :

– Pierre, cherchez là-bas, près du mur ! Vous, Louis, regardez dans les arbres… Albert, allez voir si la petite porte est ouverte.

Tremblante, fiévreuse, haletante, affolée, Simone, qui avait saisi la main d’Elsa et celle de Juliette, répétait, en claquant des dents :

– Le Fantôme !… Le Fantôme !

Mais, soudain, son regard s’agrandit encore… Il venait de se poser sur le secrétaire. D’un seul mouvement, Simone se leva, et avant qu’Elsa Bergen ait pu la retenir, elle se dirigea vers le meuble, qui était resté entrouvert.

Elle se pencha… chercha, et s’écria :

– Les lettres de Jacques… On a volé les lettres de Jacques !

La demoiselle de compagnie et la femme de chambre la reçurent dans leurs bras… Sa tête se renversa en arrière. Ses lèvres s’entrouvrirent pour exhaler une plainte… un sanglot…

Maurice de Thouars reparaissait, son revolver à la main… Derrière lui se profilaient les silhouettes du chauffeur et du gardien.

– Simone !… s’écria-t-il avec angoisse.

Il allait s’élancer. Mais, d’un geste, Mlle Bergen le retint.

– Et le Fantôme ? demanda-t-elle, tandis que, figée de peur, la femme de chambre n’osait faire un mouvement.

Gravement, M. de Thouars répondit :

– Il a disparu !