Comment l'Irlande est devenue indépendante ? (2)
pouvoir. Le Home Rule fait finalement éclater le parti Libéral et plusieurs ministres démissionnent
du gouvernement de Gladstone pour former une aile dissidente. Le Home Rule est rejeté par 343 voix
contre 313, avec 93 voix contre des Libéraux. Gladstone, qui a perdu son pari, dissout alors
le Parlement et de nouvelles élections sont organisées en juillet 1886. Les Conservateurs
en sortent vainqueurs et s'allient aux unionistes irlandais pour former un nouveau gouvernement.
Et ce nouveau gouvernement s'illustre à la fois par sa répression, parfois sanglante
comme à Mitchelstown où des manifestants sont abattus en 1887, mais aussi par de
nouvelles réformes agraires en faveurs des paysans pauvres, comme le contrôle des loyers
des terres par l'Etat notamment, toujours pour essayer de tuer dans l'œuf les revendications.
Le deuxième échec Gladstone, de retour
au pouvoir en 1893 grâce à une nouvelle alliance avec les indépendantistes irlandais,
présente à nouveau un projet de Home Rule. Le texte est voté par la Chambre des Communes,
mais rejeté par la Chambre des Lords qui est surtout composée de riches propriétaires terriens
unionistes. Au XIXe siècle cette Chambre Haute du Parlement britannique composée de membres nommés
à vie parmi les nobles et le clergé, possède le pouvoir de bloquer des décisions prises par les
députés de la Chambre des Communes. C'est pas très très démocratique en vrai quoi...
Gladstone, très âgé et fatigué, démissionne l'année d'après en 1894. La décennie suivante
voit une domination sans partage des Conservateurs à la tête de l'Etat, ce
qui interdit tout espoir concernant le Home Rule. Les élus modérés irlandais du Parti Parlementaire
collaborent avec les gouvernements successifs pour développer économiquement l'île et mettent
de côté le Home Rule. Seul le Sinn Féin, parti nationaliste créé 1905 en dénonce les réformes
gouvernementales, expliquant qu'elles ne font que détourner de l'objectif final, l'autonomie.
Durant les années 1890 à 1910, les indépendantistes irlandais restent donc divisés
sur la méthode à employer et sur les objectifs : indépendance, autonomie, en boycottant, en
collaborant, sous quelles conditions ? La question est relativement complexe vous l'avez compris.
Le troisième Home Rule C'est finalement une
crise constitutionnelle entre 1909 et 1911 qui favorise les indépendantistes. Les résistances
de la Chambre des Lords, deviennent trop gênantes pour le gouvernement. Le budget de 1910 prévoyant
un important impôt prélevé sur l'aristocratie, est évidemment rejeté par les nobles de la Chambre des
Lords. Après une longue paralysie politique et l'échec de la médiation du roi George V,
les députés décident de réduire les pouvoirs de la Chambre des Lords pour résoudre la crise. Le
roi ratifie cette modification en août 1911, les Lords n'ont désormais plus les moyens d'annuler
les lois votées à la Chambre des communes, mais peuvent toujours les différer pour deux ans.
Je vous le précise parce que ça va avoir son importance pour la suite. En tout cas,
c'est déjà une belle avancée ! Pour récompenser le soutien des
députés Irlandais dans toute cette affaire, les Libéraux au pouvoir se sentent donc obligés de
proposer un troisième projet de Home Rule. Du côté Conservateur, toujours fermement opposé
à ce projet, émerge alors l'idée d'un séparatisme de l'Ulster, pour laisser
l'Irlande catholique du Nord maître de son destin. Le troisième projet de Home Rule est présenté à la
Chambre des communes en avril 1912 et prévoit, comme le deuxième, une large autonomie de l'île,
hormis en matière militaire, diplomatique, policière ou religieuse. Après des mois de
débats houleux et d'oppositions de toutes sortes, notamment au sujet du sort de l'Irlande du Nord,
le Home Rule est voté par les Communes en janvier 1913, mais il est une nouvelle
fois rejeté par la Chambre des Lords. Pourquoi vous me direz ? Après tout,
ils ne peuvent plus empêcher le Home Rule d'être appliqué ! Oui, mais les Lords comptent bien
ralentir l'application du texte le plus possible, en espérant que le vent tourne entre-temps.
Cette stratégie du pourrissement aggrave les tensions en Irlande. Les Unionistes en Ulster
continuent de s'opposer vigoureusement à l'application du Home Rule et réunissent
régulièrement plusieurs centaines de milliers de manifestants à Belfast. Dans le camps d'en
face au même moment, le mouvement nationaliste se radicalise et se structure pour préparer
une lutte armée, notamment en achetant clandestinement des armes à l'Allemagne.
En 1914, la situation est sur le point de dégénérer, au nord, des dizaines d'officiers de
l'armée britannique font savoir qu'ils refusent de réprimer les manifestants unionistes et de
faire appliquer le Home Rule. Pour contenir les dégâts et dans un contexte de tension militaire
extrême en Europe puisque je vous le rappelle nous sommes à la veille de la Première Guerre mondiale,
le gouvernement de Londres propose d'exclure temporairement 6 comtés du Nord de l'application
du Home Rule. Fin juillet 1914, une conférence réunissant les différents partis au palais de
Buckingham pour essayer de trouver une solution est organisée. Mais le 4 août,
l'Angleterre déclare la guerre à l'Allemagne et le Home Rule est suspendu. Tout d'abord pour un an,
puis lorsqu'il devient évident que les hostilités s'éternisent, pour toute la durée de la guerre.
On pourrait dire que la chambre des lords a eu du pif et que le vent a finalement tourné pour eux.
Guerre mondiale et guerre civile Le Parti Parlementaire irlandais accepte
de soutenir l'effort de guerre britannique et 210 000 volontaires irlandais rejoignent
le continent. Quelques milliers d'autres le refusent toutefois et préparent même une grande
insurrection pour obliger la Grande-Bretagne à se battre sur deux fronts. Les livraisons d'armes
en provenance d'Allemagne sont censées soutenir ce projet. Mais les navires sont interceptés et
lors du soulèvement de Pâques en 1916, ce ne sont qu'environ mille hommes mal armés qui tentent de
prendre les lieux de pouvoir à Dublin. Le leader de l'insurrection, Padraig Pearse proclame même
l'indépendance de l'Irlande. Les Britanniques réagissent avec force. Ils rapatrient 20 000
hommes aguerris du front et positionnent un navire de guerre au milieu du fleuve Liffey pour couper
Dublin en deux. Le cœur de la ville est pilonné au mortier, causant de très importantes destructions.
Les Britanniques arrêtent 3500 personnes, quinze hommes, identifiés comme des meneurs, sont
fusillés. Et oui, on connaît assez peu de cet événement qui a lieu en plein milieu de la guerre
de l'autre côté de la manche ce qui pourtant va profondément changer la donne pour l'Irlande.
La violence de la répression marque une profonde rupture entre l'opinion irlandaise et le
gouvernement de Londres. A partir de ce moment, le Parti Parlementaire irlandais qui a collaboré
de longue date, perd énormément de terrain, au profit des indépendantistes du Sinn Féin
qui parviennent à capter la colère populaire. En plus, en 1918, Londres à court de soldats
cherche à imposer la conscription en Irlande, comme c'est déjà le cas en Grande-Bretagne.
Le texte est voté mais jamais appliqué devant l'ampleur de la fronde. Tu m'étonnes. Genre
t'as la moitié de la ville qui est devant chez toi pour cramer ta baraque et tu tentes de les
calmer en leur disant “Ouais sinon vous voudriez pas me filer un coup de main ?”. Ça marche moyen !
Les élections de décembre 1918 montrent à quel point l'opinion publique s'est
renversée pendant la guerre : les modérés du Parti Parlementaire irlandais passent de 74 à 7 sièges,
tandis que les indépendantistes radicaux du Sinn Féin en obtiennent 73. Ce n'est toujours
pas assez pour espérer peser sur les décisions au Parlement et les élus irlandais le savent,
ils ont fait campagne en annonçant leur refus de se rendre à Westminster. Les députés élus du
Sinn Féin réunissent donc dans l'illégalité un Parlement à Dublin en 1919. En réponse,
Londres acte la séparation de l'Ulster à qui elle octroie également son propre parlement,
très majoritairement unioniste. Dans ce climat de tension extrême, en janvier 1919, une organisation
armée indépendantiste, l'IRA (Irish Republican Army) tue deux policiers et la répression s'abat
une nouvelle fois sur l'Irlande. La situation dégénère alors en guerre civile, ce que les
Irlandais appellent la « guerre d'indépendance ». Le récit des affrontements pourrait nous occuper
sur une vidéo entière clairement, mais résumer en deux mots, on peut dire que des incidents
ont lieu dans toute l'île, l'IRA harcèle l'armée britannique, qui réplique souvent avec férocité,
comme lors du Bloody Sunday le 21 novembre 1920. Ce jour-là à Dublin, quatorze agents britanniques
sont assassinés par l'IRA et la police réplique en tirant dans une foule qui assistait à un match
de foot, faisant une quinzaine de victimes. D'ailleurs le groupe U2 en a fait une chanson
que vous connaissez tous “Sunday Bloody Sunday”. Bref, le pays sombre dans le chaos.
L'indépendance L'aboutissement du conflit intervient
le 7 janvier 1922 avec la signature du traité anglo-irlandais reconnaissant la souveraineté
pleine et entière du Sud de l'île et le maintien de l'Ulster comme une province britannique.
Mais le drame n'est pas terminé, au conflit avec la Grande-Bretagne succède une nouvelle guerre
civile entre Irlandais. Les Républicains qui refusent la partition de l'Irlande s'opposent
au nouveau Gouvernement indépendant qui rentre en fonction. Une nouvelle année
de conflit endeuille la société irlandaise et le Gouvernement sort vainqueur en 1923, mais le pays
est plus divisé que jamais. L'organisation radicale du Fianna Fáil poursuit la lutte,
parvient même au pouvoir en 1932 et relance le bras de fer avec la Grande-Bretagne.
Aujourd'hui encore, la totalité des blessures de cette époque ne sont pas refermées. Dernièrement,
on a pu voir émerger la délicate question d'une frontière fermée entre les deux parties de l'île,
à cause du Brexit. On a vu resurgir à cette occasion le parti du Sinn Fein qui réclame
toujours l'unification de l'île sous le gouvernement de Dublin. C'est donc un sujet
qui reste pas mal d'actualité ! Merci à Lucas Pacotte pour la préparation de cette émission.
Je vous l'ai précisé au début de la vidéo, les éditions 10*18 viennent
tout juste de sortir le second roman de Ian McGuire : “celui qui sait”. Ian Mc Guire,
c'est un prof d'écriture originaire de Manchester qui officie maintenant au Texas et qui a sorti
en 2016 son premier roman “Dans les eaux du grand Nord”, qui a reçu un très bel accueil critique et
qui a été récompensé l'année de sa sortie. Pour ce nouveau roman, l'auteur situe son action en 1867,
en plein dans l'affaire des martyrs de Manchester, que nous avons évoqué dans cet épisode. On a deux
protagonistes principaux, d'un côté Stephen Doyle, un vétéran de la guerre de Sécession qui
prépare secrètement l'indépendance irlandaise et de l'autre un chef de police d'origine irlandaise,
O'Connor, qui veut l'arrêter. C'est un peu le jeu du chat et de la souris sauf qu'au milieu,
il y a le neveu d'O'Connor, Michael, qui joue les indics et qui ne sait pas trop de quel côté se
placer. Si on est sur une pure fiction qui prend son sel autour d'un événement historique, vous
apprécierez sans doute d'autant plus ce thriller policier en connaissant le contexte historique de
l'indépendance irlandaise. On a des voyous, des sombres histoires d'influences, le tout avec de
l'enquête, des interrogatoires, des morts évidemment mais je ne dirais pas qui ! Bref,
je vous le conseille d'aller faire un tour sur le lien en description et je vous propose de me
donner votre avis dans les commentaires une fois que vous l'aurez lu ! Merci à tous pour votre
soutien et on se retrouve très bientôt pour de nouveaux épisodes sur Nota Bene ! Ciao !