Chapitre 4
La Terre n'est pas une planète quelconque ! On compte environ deux milliards de grandes personnes. Mais, les hommes occupent très peu de place sur la Terre. On pourrait entasser l'humanité sur un petit îlot du Pacifique. Le petit prince est très surpris en arrivant sur place de ne voir personne. Il a peur de s'être trompé de planète. Comme quelque chose bouge dans le sable, il dit :
– Sur quelle planète suis-je ?
– Sur la Terre, en Afrique, répond un serpent.
– Ah ! … Il n'y a personne sur la Terre ?
– Ici, c'est le désert. Il n'y a personne dans les déserts. La Terre est grande.
Le petit prince discute avec le serpent en regardant les étoiles :
– Regarde ma planète. Elle est juste au-dessus de nous… Mais, comme elle est loin.
– Elle est belle, dit le serpent. Que viens–tu faire ici ?
– J'ai des difficultés avec une fleur.
– Ah…
– Où sont les hommes ? On est un peu seul dans le désert…
– On est un peu seul aussi chez les hommes.
– Tu es une drôle de bête, mince comme un doigt.
– Mais, je suis plus puissant que le doigt d'un roi…
Pour lui montrer sa puissance, le serpent s'enroule autour de la cheville du petit prince en disant :
– Celui que je touche, je le rends à la terre. Mais, toi tu es pur et tu viens d'une étoile… Tu me fais pitié. Je pourrais t'aider si un jour tu regrettes trop ta planète.
Le petit prince continue sa route et arrive dans un jardin fleuri.
– Bonjour, dit le petit prince.
Là, toutes les roses ressemblent à sa fleur et toutes parlent.
– Bonjour.
– Qui êtes-vous ?
– Nous sommes des roses.
Le petit prince se sent très malheureux. Sa fleur lui a raconté qu'elle est seule de son espèce dans l'univers. Et là, il y a cinq mille fleurs toutes semblables dans un seul jardin.
Le petit prince repart. Une voix lui dit « Bonjour », mais il ne voit rien.
– Je suis là, sous le pommier.
– Qui es-tu ?
– Je suis un renard.
– Viens jouer avec moi, je suis tellement triste.
– Je ne peux pas jouer avec toi. Je ne suis pas apprivoisé.
– Qu'est-ce que signifie « apprivoiser » ?
– Tu n'es pas d'ici. Que cherches-tu ?
– Je cherche les hommes. Que signifie « apprivoiser » ?
– Les hommes, ils ont des fusils et ils chassent. C'est bien gênant. Ils élèvent aussi des poules.
C'est leur seul intérêt. Tu cherches des poules ?
– Non, je cherche des amis. Que signifie « apprivoiser » ?
– Ça signifie « créer des liens. »
– Créer des liens ?
– Oui. Tu n'es qu'un petit garçon semblable à cent mille petits garçons. Je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde.
– Je comprends… Il y a une fleur… je crois qu'elle m'a apprivoisée.
– C'est possible… Ma vie est monotone tu sais. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent et tous les hommes se ressemblent. Je m'ennuie. Mais, si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Tu as des cheveux couleur d'or. Alors, ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé. Le blé qui est doré me fera me souvenir de toi. Alors… s'il te plaît apprivoise-moi.
– Je veux bien. Mais, je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai beaucoup de choses à connaître.
– On ne connaît que les choses que l'on apprivoise. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais, comme il n'existe pas de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
– Que faut-il faire ?
– Il faut être très patient. D'abord, tu devras t'asseoir un peu loin de moi et ne pas parler. Et chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près.
Le lendemain, le petit prince revient, mais le renard dit :
– Il faudrait que tu reviennes à la même heure. Si tu viens à quatre heures par exemple, dès trois heures, je commencerai d'être heureux et plus l'heure avancera et plus je serai heureux. Je découvrirai le prix du bonheur. Il faut des rites.
– Qu'est-ce qu'un rite ?
– C'est ce qui fait qu'un jour est différent des autres jours. Par exemple, mes chasseurs dansent le jeudi avec les filles du village. Alors, le jeudi est un jour merveilleux pour moi !
C'est comme ça que le petit prince apprivoise le renard.
Mais, un jour, le petit prince doit partir et le renard dit :
– Ah ! … je pleurerai…
– C'est ta faute. Je ne te souhaitais aucun mal, c'est toi qui a voulu que je t'apprivoise.
– Bien sûr…
– Alors, tu n'y gagnes rien.
– J'y gagne à cause de la couleur du blé. Va revoir les roses, tu comprendras que la tienne est unique au monde. Je te dis mon secret. Il est très simple. On ne voit bien qu'avec le coeur. L'essentiel est invisible pour les yeux. C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. Les hommes ont oublié cette vérité. Mais, tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose…
– Je suis responsable de ma rose…